La Tunisie du président Kaïs Saïed : Austérité, répression et racisme

Dans un contexte de grave crise économique et politique, la Tunisie, berceau des « révolutions arabes » de 2011, connaît une dérive autocratique très préoccupante.

Depuis que le président Kaïs Saïed s’est attribué tous les pouvoirs en juillet 2021, et après la suspension puis la dissolution du parlement, les tensions politiques n’ont jamais cessé. Le chef d’État s’emploie, avec détermination, à détricoter tous les acquis de la décennie post-révolutionnaire. La révision de la constitution a permis d’instaurer un régime hyper présidentiel, proche de celui du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, alors que les prérogatives du parlement sont désormais réduites.

Un régime autocratique s’installe, dans l’instabilité, mais sans convaincre en raison de la dégradation de la situation économique. L’abstention record (89 %) qui a marqué le scrutin législatif de janvier dernier délégitime largement le président Kaïs Saïed, sans qu’il s’en émeuve, et crée un effet de loupe sur la crise politique aiguë.

À l’heure actuelle, les formations d’opposition, sans poids réel, peinent à mobiliser au-delà de leurs rangs même si les rassemblements populaires demeurent pour exprimer la colère.

L’économie tunisienne est au bord de la banqueroute et risque un défaut de paiement de sa dette. Elle connaît des pénuries alimentaires et de médicaments. L’inflation avoisine les 10 % et le chômage 15 % de la population active. Cette déroute, accentuée par le conflit mondialisé ukrainien, se traduit par une baisse du pouvoir d’achat.

Pour ces raisons, les dirigeants tunisiens tentent de gagner les bonnes grâces des bailleurs de fonds et devraient obtenir un nouveau prêt du FMI de 1,9 milliard de dollars qui apportera certes une bouffée d’oxygène au régime mais sera loin de couvrir les besoins budgétaires pour 2023. Mais le FMI entend bien imposer des réformes austéritaires d’une grande violence telles que la levée des subventions sur les hydrocarbures, la réduction des dépenses publiques ainsi que la baisse drastique de la masse salariale dans la fonction publique.

Le FMI exige des autorités tunisiennes qu’elles endossent publiquement la responsabilité de ces mesures afin d’endiguer la contestation sociale. Le désaveu politique, le marasme économique ainsi que la volonté de rassurer les marchés financiers font craindre des révoltes sociales de grande ampleur.

Pour ces raisons, le président Kaïs Saïed a déclenché une vague répressive tous azimuts qui vise à étouffer les critiques et qui inquiète le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains (OHCHR).

Des vagues d’arrestations sans précédent depuis la chute de Ben Ali frappent tous les milieux d’opposition, de la société civile, des médias mais aussi des syndicalistes de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Pour justifier cette répression, Kaïs Saïed manie la rhétorique du complot contre le régime en qualifiant ses opposants de « traîtres », de « mercenaires » ou de « terroristes » et en les accusant de crimes imaginaires.

Une profonde inquiétude gagne une partie de la population.

Récemment, le président Kaïs Saïed, tout autant par conviction que par volonté de faire diversion, s’est approprié le discours de l’extrême droite sur le prétendu « grand remplacement » provoqué par les mouvements migratoires. Il a semé l’émoi en laissant entendre que la venue de migrants subsahariens en Tunisie relèverait d’un complot visant à affaiblir l’identité arabo-islamique du pays. La communauté subsaharienne de 30 000 à 50 000 personnes est assimilée à une « horde de clandestins » qui serait à la source de « violences, des crimes et d’actes inacceptables ».

Kaïs Saïed encourage ainsi la parole raciste et les discours de haine qui ont pris de l’ampleur dernièrement, légitimant les agressions et les arrestations de migrants. De tels propos nauséeux, opportunistes et populistes ont choqué de très nombreux Tunisiens qui multiplient les gestes de solidarité et ont manifesté massivement le 25 février.

L’extrême droite française et européenne n’a pas manqué de saluer les déclarations de Kaïs Saïed. Combattre l’extrême droite, le souverainisme et les conceptions identitaires nécessite tout à la fois de dénoncer les politiques néolibérales et guerrières mais aussi d’affirmer, dans notre monde interdépendant, le droit absolu de libre circulation afin de faire prévaloir une mondialité ouverte et solidaire.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient