Le Secours rouge international – La mobilisation contre « l’enfer du bagne » (3)

À la fin de l’été 1923, une enquête d’Albert Londres sur les bagnes de Guyane, publiée dans Le Petit Parisien, provoque de vives réactions en France. L’opinion publique découvre alors avec stupeur les pratiques inhumaines que l’administration pénitentiaire réserve aux forçats, ces condamnés aux travaux forcés dans les bagnes coloniaux.

Le Secours rouge, peu après sa fondation, s’empare du sujet en réclamant la suppression des conseils de guerre et des bagnes militaires. Dès 1924, André Marty met la lumière sur la détention à Cayenne de communistes hongrois, qu’il avait croisés fortuitement quelques années plus tôt lors de leur transit dans une prison du sud de la France. Capturés par l’armée française en 1919 lors de l’écrasement de l’éphémère République des conseils de Hongrie, puis envoyés en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, ils sont libérés – pour ceux qui survivent aux rudes conditions de vie du bagne – grâce à l’action du SRI. Le Secours rouge échoue cependant à faire gracier Cheikou Cissé, un tirailleur sénégalais condamné en 1918 à la déportation à vie pour « excitation à la guerre civile ».

Au tournant des années 1930, c’est un autre nom de bagnard, Paul Roussenq, qui résonne dans toutes les têtes. Emprisonné dès ses 18 ans pour vagabondage et violences à magistrat, ce jeune anarchiste écope en 1908 (à 23 ans) de vingt années de travaux forcés pour avoir mis le feu à sa cellule, lors de son service militaire dans un corps disciplinaire d’Afrique du Nord. Transporté en Guyane, celui que l’on surnomme « l’Inco » (l’incorrigible) continue d’accumuler les sanctions et de nouvelles peines d’emprisonnement. Tenant tête inlassablement à l’administration, il totalisera, durant ses années au bagne, près de 4 000 jours au cachot, enferré et sans lumière…

Le Secours rouge se saisit à partir de 1928 de l’affaire, en érigeant Paul Roussenq en symbole du combat pour la fermeture des bagnes. Une première victoire est arrachée, le forçat obtenant une grâce le 6 août 1929. Reste toutefois un hic : s’il n’est plus soumis aux travaux forcés, il demeure astreint à la résidence perpétuelle en Guyane – une mesure réservée aux condamnés à des peines supérieures à sept années de travaux forcés.

La mobilisation redouble alors d’intensité. En plus des subsides envoyés chaque mois à Paul Roussenq et à sa mère, les actions du SRI se multiplient dans tout le pays : meetings, fêtes, manifestations, souscription, brochures et même une pièce de théâtre mettent à l’honneur le bagnard. Une pétition réunit 600 000 signatures pour réclamer sa libération. Le calvaire se termine finalement le 6 août 1932, avec l’annulation de son obligation de résidence en Guyane, qui ouvre la voie à son rapatriement en métropole.

Vingt-quatre années après son départ pour le bagne, Paul Roussenq débarque à Saint-Nazaire le 28 décembre 1932. Deux jours plus tard, des milliers de Parisiens se massent devant la gare d’Austerlitz et repoussent les charges de la police pour faire un triomphe à ce « damné sortant de l’enfer ».

Sitôt arrivé, l’ancien forçat s’engage corps et âme avec le Secours rouge. Ambassadeur du combat pour l’amnistie et la libération des prisonniers, il sillonne le pays et anime des dizaines de meetings. « Je souhaite que mon retour soit le signal du renforcement de la lutte à outrance et sans répit contre les crimes du régime », écrit-il dans l’Humanité.

Mais l’éternel insoumis, en proie au doute après un séjour en Union soviétique et renouant avec ses idéaux libertaires, s’éloignera quelques mois plus tard du SRI et du mouvement communiste.

Corentin Lahu