Liban: La révolte populaire face à l'effondrement du pays

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Face à l'explosion de la misère, plusieurs suicides ont suscité récemment l'émoi d'une large frange de la population libanaise. Le pays du Cèdre est dans la tourmente économique, sociale et politique.

Une situation de faillite

Depuis octobre 2019, le Liban connaît une véritable dégringolade économique et financière. L'endettement public représente 170% du PIB (84,4 milliards d'euros). Pour ces raisons, Beyrouth n'a pas honoré sa dette souveraine en mars, provoquant le premier défaut de paiement de son histoire. La Banque centrale et les banques privées affichent des pertes abyssales (100 milliards de dollars) et bloquent désormais l'argent des épargnants tout en favorisant la fuite massive des capitaux pour les privilégiés. La devise nationale s'est effondrée de 70% par rapport au dollar depuis le début de l'année. De plus, la nécessité de subvenir aux besoins des importations de première nécessité aggrave massivement l'endettement.

Dans ce contexte, la crise sociale atteint un niveau inégalé. Le chômage explose, le pouvoir d'achat s'effondre alors que 55% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La faim a fait son retour accentuée par les pénuries alimentaires ou de médicaments. L'émigration prend de l'ampleur alors que les travailleurs immigrés africains et asiatiques sont jetés à la rue par leurs employeurs en toute impunité. Pour autant, l'argent des grandes fortunes continue de s'afficher avec insolence au grand jour.

Cette crise multiforme trouve ses racines dans la vague néolibérale qui a déferlé dans les années 1990 confortée par le système politique. Après la guerre civile, une reconstruction hyper-financiarisée a été entreprise par Rafiq Hariri. L'appareil productif a été bradé, les services publics de l'eau et de l'électricité liquidés tandis que l'endettement débutait. Ces dix dernières années, la croissance a été nulle générant des importations massives. En septembre 2019, avec l'éclatement de la bulle spéculative et la fuite des capitaux vers les banques occidentales, le Liban est entré dans une spirale apocalyptique.

L'incurie de l'establishment financier, étroitement lié à l'oligarchie politique corrompue, a dilapidé et pillé les richesses nationales. Le pouvoir, incarné par des chefs communautaires inchangés depuis trente ans, a privatisé les ressources publiques pour s'enrichir et entretenir la dépendance clientélaire. Ces caciques ont fait du Liban l'un des pays les plus inégalitaires du monde. Afin de maintenir ce racket institutionnalisé, la classe dominante est prête à détruire la société pour assurer sa survie.

L'économie rentière, le néolibéralisme, la faiblesse de l’État, le système communautaire et la complicité des pays occidentaux sont à l'origine de tous les maux dont souffrent le pays. La crise sanitaire du Covid-19 et le confinement ont accentué cette tendance.

La situation internationale pèse également lourdement. Avec la guerre en Syrie, le pays a dû faire face à l'arrivée massive de réfugiés, 1 à 1,5 million de personnes, pour une population de six millions d'habitants. Cela constitue une charge considérable pour la gestion des ressources publiques (écoles, hôpitaux) alors que la paralysie de l'économie syrienne constitue en retour un handicap supplémentaire.

Dans la débâcle, des incertitudes grandissantes

Face à cet abîme, les dirigeants politiques libanais ont d'abord tenu le discours du déni, ont eu recours aux vieilles combines et aux réflexes sectaires.

En février, après cent jours de contestation, le Premier ministre Saad Hariri a été contraint à la démission. Dans un nouveau tour de passe-passe coutumier, le président du Parlement, Nabih Berri, et le président Michel Aoun ont tenté d'imposer la candidature de Mohammad Safadi, un ancien ministre des Finances impliqué dans une kyrielle de scandales politico-financiers. Devant l'indignation de la rue, la manœuvre a échoué.

Sur un fond d'effondrement économique, Hassan Diab, le nouveau Premier ministre, a été désigné par toutes les factions pour faire face à la catastrophe. Ce dernier s'est empressé d'élaborer un plan d'économies drastiques et a évoqué une restructuration du secteur bancaire. Mais surtout, il s'est refusé à ponctionner les grandes fortunes pour présenter la facture au peuple libanais. Depuis, ce gouvernement laisse filer la situation.

Hassan Diab a fait appel au FMI dans l'espoir d'obtenir un soutien de dix milliards de dollars mais il a aussi demandé le déblocage de 11 milliards promis lors de la conférence du Cèdre (Paris, avril 2018). Les conditions que veut imposer le FMI pour l'obtention de prêts sont draconiennes et irréalistes. Pour ces raisons, les négociations n'ont pas abouti. La perspective d'un rôle accru de cette institution financière internationale suscite des oppositions au sein même du Liban. Le Hezbollah y voit la tutelle américaine alors que d'autres forces refusent que l'on s'intéresse de trop près à la gabegie du système bancaire. A l'heure actuelle, aucun pays n'a proposé une nouvelle aide au Liban.

La confrontation régionale entre les États-Unis et l'Iran pèse lourdement sur la situation visant particulièrement le Hezbollah, allié de l'Iran. Washington multiplie les pressions, tentant d'entraîner dans son sillage les puissances occidentales, considérant qu'aucune réforme ne peut aboutir tant que la formation d'Hassan Nasrallah, toujours auréolée de sa victoire contre Israël, demeure associée au pouvoir. Ainsi, D. Trump empêche la Banque centrale libanaise d'injecter des dollars en quantité suffisante sur le marché sous prétexte que le Hezbollah enverrait ces devises en Syrie. La loi "Caesar", récemment adoptée aux États-Unis, vise à étrangler le régime de Bachar al-Assad en empêchant tout investissement ou collaboration économique alors que les entrepreneurs libanais misaient sur la perspective d'une reconstruction pour sortir du marasme. Le "plan Trump" sur la Palestine est également un facteur de déstabilisation nourrissant les ingérences croissantes.

Dans tout le Liban la révolte populaire gronde. Des manifestations puissantes, pacifiques, intercommunautaires, exprimant un rejet viscéral d'un système politique à bout de course ont provoqué la démission de Saad Hariri en février. Les foules immenses réclamaient déjà un nouveau gouvernement qui ne soit pas lié aux partis.

Avec le déconfinement, l'accélération des difficultés, la rue recommence à bouillonner car la colère est plus vivace que jamais. On y retrouve les slogans anticonfessionnels appelant à l'unité face à la corruption et l'incurie. Mais l'agitation devient plus chaotique, délétère, parasitée par des calculs partisans. Certains rassemblements ont dégénéré en confrontations communautaires. Les mots d'ordre clivants ressurgissent dressant les quartiers les uns contre les autres. Les partis au pouvoir cherchent le chaos en manipulant et en infiltrant les manifestants.

Dans ce combat, le Parti communiste libanais est aux avant-postes de la lutte. Cela fait des années qu'il alerte sur la déliquescence des institutions et de l'économie du pays et qu'il appelle de ses vœux la mise en place de nouvelles institutions non-confessionnelles afin d'établir un État laïc pour trouver une issue qui conjugue indépendance, justice et paix.

 

Pascal TORRE
responsable adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient