Mascarade électorale au Togo, le printemps n’est pas pour maintenant

Les résultats sont si grotesques qu’ils pourraient prêter à rire. Mais les Togolais en pleurent. Comment se fait-il que dans ce pays tenu par une dictature transmise de père en fils, responsable de milliers de morts violentes, et après d’immenses mobilisations de l’opposition réprimées ces dernières années, de tels scores existent encore?

Jugez plutôt: Faure Gnassingbé rafle 93% des voix avec 97% de participation dans la préfecture du Kpendjal-Ouest. Dans la région de la Kara, le score obtenu est de 95 %. C’est moins bien que les 99,46% de la préfecture de Mô. Voilà pour quelques régions du Nord. Dans le Sud, pour faire bonne figure et rendre crédibles des résultats destinés à être adoubés dans nombre de chancelleries et rédactions, les scores sont plus faibles. De manière à produire un résultat équilibré au plan national: selon la CENI, c’est-à-dire la Commission électorale nationale indépendante, qui est comme son nom l’indique aux mains du pouvoir, Faure Gnassingbé a été réélu avec 72,36% des voix, pour une participation de 76,63 %, le tout en forte progression sur le précédent scrutin. En face, l'ancien Premier ministre et opposant Agbéyomé Kodjo hérite de 18,37%, dénonce des fraudes et revendique la victoire. Des missions d’observation de l’Union africaine et de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) ont noté «la bonne tenue du scrutin». Selon la délégation de la CEDEAO, celui-ci se serait «déroulé sans incidents majeurs», ce qui est le cas. Mais avec seulement 79 observateurs, quel crédit donner à cet exercice obligé et ce langage policé visant à ne pas faire de vague et à maintenir l’équilibre sous-régional de l’ordre existant. Les 79 délégués ont-ils eu les moyens et le temps d’observer y compris la phase de dépouillement, de centralisation et l’annonce des résultats avec une vitesse stupéfiante, quelques heures seulement après la fermeture du scrutin?

En fait, comme le Parti communiste français l’indiquait début février, plusieurs semaines avant l’élection, toutes les conditions étaient réunies pour la tenue d’un scrutin dont les résultats allaient être trafiqués. La société civile tenue à l’écart, et, pour reprendre le communiqué, «même l’église a été sommée de renoncer à l’observation du scrutin. La mainmise du régime sur les institutions, le refus par avance de publier les résultats bureau par bureau, indiquent qu’une forfaiture électorale se prépare». L’opposant Agbéyomé Kodjo parle même d’inversion des résultats, un grand classique. En réalité, le trucage de la participation, le bourrage d’urnes, et l’arrangement des résultats ont été réalisés à huit-clos de telle manière que personne ne connaîtra réellement le résultat.

Après 14 ans de pouvoir, Faure Gnassingbé remet les compteurs à zéro. Il compte ainsi poursuivre son règne pour longtemps. En 2019, la révision constitutionnelle adoptée par 90 députés sur 91 (sic) lui assure deux mandats de 5 ans, jusqu’en 2030. Les mandats précédents ne comptant bien sûr pas. L’expérience de la répression au lendemain de l’élection de 2005, où plusieurs centaines de Togolais ont été tués, incite à la prudence. Le régime fourbit ses mitraillettes, prêt à un nouveau bain de sang s’il le faut. Les opposants veulent éviter de nouveaux massacres.

Le tripatouillage constitutionnel et cette élection, auquel s’ajoute un silence, au mieux, des chancelleries européennes, obligent sûrement l’opposition et les démocrates togolais, divisés depuis longtemps sur la marche à suivre, à un complet aggiornamento. La question qui est posée dorénavant est la suivante: que faire puisque tout semble désormais verrouillé sur le plan institutionnel? Le mécontentement et l’espoir de démocratie et d’un État de droit, ne se sont pas volatilisés. La jeunesse togolaise aspire à vivre mieux et à sortir du long hiver de 53 ans de dictature. Mais le printemps n’est pas pour tout de suite. En attendant, il sera toujours temps de reprendre la rue.

Collectif Afrique