Ne les laissons pas faire, nous en avons la force

Par Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime.

Après deux années de mandat marquées par une violence sociale inédite et des attaques sans précédent contre notre système de protection sociale à la française, le Président Macron a pensé être tout puissant pour détricoter l’architecture de nos retraites, héritage d’Ambroise Croizat, du sang et des larmes des combats de la Résistance et des « Jours Heureux » imaginés par le CNR.

Macron s’enferme désormais seul face au peuple en dégainant le 49.3 pour éteindre le débat à l’Assemblée nationale qui a mis en lumière la profonde injustice de son projet, ses très nombreuses zones floues et le risque majeur que comporte le renvoi aux ordonnances de points essentiels du système qu’il rêve d’instaurer.

Le Premier ministre, ce n’est pas un hasard mais un aveu de faiblesse, recourt au passage en force au moment précis où la discussion du texte allait venir sur la valeur du point, c’est-à-dire sur la garantie dans le temps du niveau des pensions et sur l’âge pivot notamment. Tout le mépris de l’exécutif pour le corps social tient dans l’utilisation de cette arme du 49.3 normalement prévue pour mettre en cohérence une majorité mais pas pour museler l’opposition, les oppositions.

Cette violence, le refus d’un véritable dialogue, d’une négociation avec les organisations syndicales, nous les avons observés dès la manifestation du 5 décembre. Il était clair que Macron et le gouvernement, qui cherchent politiquement à se refaire la gaufrette en donnant des gages à l’électorat de droite, avaient la ferme volonté de passer leur projet à points coûte que coûte. L’attitude du pouvoir, après la gifle du Conseil d’État qui a mis en pièces le texte gouvernemental, en est une flagrante illustration. Très rapidement nous avons donc réfléchi à la manière dont les députés communistes pouvaient être utiles au mouvement social, appuyer le mouvement social, le prolonger et faire entrer les voix du monde du travail à l’Assemblée nationale.

Depuis le début des débats, en commission spéciale le 4 février, et dans l’Hémicycle à partir du 17 février, notre engagement s’est appuyé sur une critique sans ambiguïté d’un projet de loi qui s’apprête à brutaliser le monde social. Pour accompagner le mouvement social, nous avons décidé avec André Chassaigne, le président du groupe GDR et des députés communistes à l’Assemblée, d’adopter une stratégie de confrontation sur le fond avec la majorité. Nous avons construit, projet contre projet, une réflexion sur l’avenir de notre système de retraite. Et nous avons présenté une proposition de loi le 28 janvier dernier afin de mettre dans le débat des arguments de progrès social tels que la retraite à taux plein dès 60 ans ou encore un calcul des droits à la retraite sur les 10 meilleures années pour le secteur privé.

Nous avons souhaité développer ces propositions au fur et à mesure de l’examen du texte. C’est pourquoi le groupe a déposé plus de 13 000 amendements. Nous refusons de parler d’obstruction car les amendements que nous avons déposés l’ont été pour servir le débat démocratique concernant un projet qui va bouleverser la vie des Françaises et des Français après 74 ans d’un régime par répartition, certes imparfait et qui mérite à ce titre des améliorations, mais qui nous est envié dans le monde entier. Décemment, le gouvernement pouvait-il penser que 15 jours suffiraient pour soumettre aux représentants du peuple une telle contre-réforme ?

Le gouvernement a choisi de passer en force, d’abord en fixant des délais intenables pour adopter une loi aussi fondamentale, puis par le 49.3. L’obstruction démocratique vient du gouvernement.

La manière dont se sont déroulées les discussions autour de la réforme des retraites traduit également les relents antidémocratiques de cette majorité. La suppression de près de 4 000 de nos amendements au cours des débats, sans qu’aucune justification ne soit apportée, la présence de 29 ordonnances dans le texte qui prive la représentation d’autant de débats, l’utilisation du 49.3, une majorité aux abois incapable de débattre voire même insultante ; tous ces éléments sont révélateurs de la brutalité de ce projet politique. Notre stratégie a été cohérente, et je crois qu’elle a permis de débusquer le piège dans lequel la majorité a essayé d’enfermer ce débat.

Un ensemble d'acteurs de poids

Le récit de cette bataille parlementaire c’est aussi celui d’une entrée progressive d’un ensemble d’acteurs de poids contre ce mauvais projet de loi. D’abord, les hautes institutions de la République, dont l’avis du Conseil d’État, qui a conforté notre analyse, puis le Haut Conseil à l’Égalité qui a dénoncé les faux-semblants sur la question des retraites des femmes. Nous nous sommes également inspirés de critiques plus larges, y compris celles en provenance des artisans de la réforme, dont la voix d’économistes ultra-libéraux, qui après avoir soutenu le projet ont reconnu la dangerosité de cette réforme.

Le débat a été aussi brutal sur le fond. La majorité nous a opposé un silence coupable lorsque nous avons demandé des explications sur la valeur du point, ou sur ce que signifiait une carrière complète dans le futur régime à points par exemple. Nous avons pu démontrer dans un travail collectif mené par tous les députés communistes en quoi les arguments affichés se révélaient être des éléments de langage, des artifices. Rien ne nous a été répondu hormis des slogans marketings et fallacieux. Ce gouvernement hors-sol, appuyé par une majorité docile et aveugle, n’a eu en vérité aucun argument valable à faire valoir pour défendre son projet. L’étude d’impact tronquée, les hypothèses retenues qui nient la réalité économique et sociale de notre pays sont autant d’exemples qui apportent la preuve de l’incapacité de cette majorité à apporter des réponses concrètes aux inquiétudes des Français. L’aveu est aujourd’hui cinglant avec ce recours au 49.3, qui marque la fin de non-recevoir démocratique de ce gouvernement.

Face à des députés « Playmobil » en Marche, comme je les ai qualifiés pour tenter de les faire réfléchir et réagir sur les conséquences pour le monde du travail du texte qu’ils soutiennent aveuglément, mécaniquement, ce débat nous l’avons pris avec sérieux, en questionnant sur le fond avec nos collègues de gauche toutes les lignes du texte soumis à l’Assemblée et nous voyons que cela a payé. Ce débat est une forme de renaissance pour les communistes qui sont enfin entendus dans le débat médiatique. Beaucoup ont compris et reconnu que nous avions la capacité à démontrer le caractère injuste et illisible de cette réforme, que nous étions les porteurs d’une espérance qui avait débuté avec le CNR et Ambroise Croizat à la Libération. Nous avons su concrétiser avec intelligence des moments forts, en travaillant avec l’ensemble des forces de gauche au sein du Parlement. Le dépôt de la motion référendaire le 17 février dernier, à l’initiative des députés communistes, a réussi à fédérer socialistes et insoumis, et au-delà même des membres du groupe Liberté et Territoires ainsi que quelques membres des Républicains. Nous allons pouvoir nous retrouver une nouvelle fois avec la discussion des motions de censure qui je le crois permettra de faire converger les colères et les critiques sur ce texte. Nous poursuivrons également le débat sur le projet de loi organique qui devra être discuté prochainement, et qui précise toute la logique libérale et austéritaire de cette réforme.

Je crois sincèrement que dans ce débat nous avons su raviver notre capacité de rassemblement. Nous avons su regagner confiance en nous. Le gouvernement a essayé de nous voler des références, de nous voler notre Histoire et de nous faire croire qu’il porte des mots comme justice et universalité. Avec le 49-3, le Président de la République entérine le fait que la guerre sociale qu’il mène depuis deux ans se double chaque jour davantage d’une guerre démocratique.

Ne les laissons pas faire, car nous en avons la force. Fort de l’hostilité d’une écrasante majorité de Français à ce projet, opposons notre dignité au bâillon du 49-3.