Il n'y avait pas de hasard de calendrier dans le choix du 8 janvier par les bolsonaristes pour envahir et saccager les bâtiments des pouvoirs exécutif et législatif du Brésil. L'occasion était sans doute trop belle, une semaine après l'investiture de Lula, de « commémorer » la « prise du Capitole » en organisant un coup d'éclat semblable à Brasilia. Forts de puissants soutiens étrangers, et particulièrement étatsuniens en la personne de Donald Trump et celle de Steve Bannon, les fascistes brésiliens – en l'absence de leur gourou, Jair Bolsonaro, reclus en Floride – entendent paralyser le pays par la violence. Non seulement ils rejettent le verdict des urnes mais, plus fondamentalement, ils cherchent à détruire les institutions censées garantir les principes démocratiques de la nation. Message reçu : les extrêmes droites dont la conception du pouvoir repose sur un nationalisme viscéral et le suprémacisme, l'autoritarisme, l'éradication (symbolique et physique) de toute opposition, la violence (d'État quand ils le contrôlent) et le culte de la personnalité ne peuvent admettre de le perdre. Elles qui prêchent l' « ordre » à tout va honnissent le seul qui vaille, l'ordre démocratique.

Il est probable qu'enfant, vous vous soyez souvent demandé comment un Hitler avait pu parvenir au pouvoir par des élections en Allemagne et comment, en moins de vingt ans, les nazis avaient pu méthodiquement ôter la vie à des millions de juifs, éliminer leurs adversaires politiques puis lancer l'armée allemande à l'assaut de l'Europe et du monde. Adolescent, vous avez probablement cherché à comprendre en vous rendant à Auschwitz, en étudiant, en lisant, et en écoutant d'anciens résistants. La pauvreté et des inégalités insupportables, les humiliations, la crise financière, des syndicats et forces de gauche affaiblies, divisées et en conflit, des boucs-émissaires désignés sur critères racistes puis xénophobes, l'illusion des bienfaits d'un sauveur suprême et la violence politique qui l'accompagne : autant de conditions qui, combinées à la violence économique capitaliste, fraient aux extrêmes droites le chemin de la prise du pouvoir par les urnes ou par les armes ; voire les deux, s'il le faut. Adulte, vous avez vu Franco se maintenir en Espagne, peut-être aussi les généraux grecs mettre leur pays à genoux ou, au Chili, Pinochet exécuter le président socialiste démocratique élu, Salvador Allende. Mature, vous avez vu les Erdogan, Poutine, Orban, Modi..., tous les harangueurs de haine, remporter élection après élection. Depuis trente ans, vous constatez l'avancée de l'extrême droite en France et en Europe, vous la voyez étendre ses tentacules dans et hors des institutions. En plein confinement, un quarteron de généraux français en a appelé au putsch en France même – tapis dans l'ombre, ils attendent leur moment tout en tissant leurs réseaux.

À présent, qu'il s'agisse de la Hongrie, de l'Italie ou même de la Suède dont le gouvernement de droite dépend du soutien de l'extrême droite du cru, les exemples ne manquent pas de faire réfléchir ; à commencer par la guerre en Ukraine lancée par un Poutine grand-russien. Voici deux fois que Marine Le Pen accède au deuxième tour de l'élection présidentielle. Elle siège dans l'Hémicycle avec un groupe de 88 autres députés dont certain(e)s, vice-président(e)s de l'Assemblée. Nul besoin d'être devin pour comprendre que, si rien ne bouge, si de puissants mouvements de luttes sociales et politiques ne se lèvent et ne s'unissent, il n'y aura pas de troisième chance pour la France, et que 2027 sera « la bonne ».

Parmi les atouts des forces d'extrême droite, se trouvent leur certaine adaptabilité rhétorique, évoluant en fonction de leurs cibles électorales (voir Sylvain Crépon dans l'Humanité du 11 janvier), leurs convergences internationales ainsi que leur promesse de « sécurité ». Or lorsque, à la brutalité des politiques néolibérales, s'agrègent la complaisance à l'égard des idées d'extrême droite (en s'appropriant ses mots, ses images, son « roman »), la banalisation de sa présence active dans le débat politique (« ils représentent une partie des électeurs »...) et, pire, la porosité des esprits bien-pensants à ses diatribes contre les immigrés, contre les musulmans et/ou les arabes, les principaux facteurs facilitant sa montée et son ancrage sont en branle et, renforcés quand, dans le même temps, tous les facteurs de division des forces de gauche sont exploités un à un, quelquefois même par leurs propres membres. Pourquoi faudrait-il que, sur le plan idéologique, doivent d'abord s'aligner toutes les forces de gauche avant de mener le combat pour la transformation sociale ? En quoi serions-nous incapables de fixer sous l'impulsion et le contrôle des forces populaires un agenda commun de rupture avec les politiques néolibérales – et même avec le capitalisme – tout en acceptant que les questions qui nous divisent ou nous opposent soient débattues démocratiquement dans le feu de l'action ? C'est la raison pour laquelle, pour sa part, la bataille qui s'engage contre le projet gouvernemental de réforme des retraites pourrait, au-delà de l'objectif de mettre ici exécutif, droite et patronat en échec, contribuer à ouvrir une perspective.

Tandis que le RN se drapera de la défense des intérêts des seuls « travailleurs français » (en réalité, « du patronat français, d'abord ») – tout en préservant soigneusement, donc, le capital –, serons-nous capables de contribuer au rassemblement et à l'expression d'une majorité populaire qui, forgée en conscience, crée les conditions d'un changement de gauche, durable, au service des forces du travail et de la création ? On ne transige pas avec l'extrême droite, on la combat.

Lydia Samarbakhsh
Responsable des relations internationales du PCF