Où en est-on à quelques semaines du sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel?

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Des «succès tactiques» et une déstabilisation du Sahel qui se poursuit

Le commandant de la force française Barkhane a mis en avant des «succès tactiques» dans la zone des trois frontières (du Mali, Burkina et Niger). La mort d’Abdelmalek Droukdal, chef d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) tué par l'armée française le 4 juin viendrait étayer ce «succès». A ceci près que le sinistre personnage ne jouait plus qu’un rôle secondaire, effacé par l’émergence de l’EIGS (Etat islamique au grand Sahara) et les rivalités avec le GSIM (Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans) issu de la fusion d’Ansar Dine et AQMI. Sa disparition facilitera peut-être des négociations avec les Touaregs du septentrion malien. Mais le lendemain, l’optimisme laissait déjà place aux dures réalités de l’engrenage de la violence. 26 personnes étaient assassinées lors d’une attaque meurtrière dans un village du centre du Mali, sans que les auteurs ne soient encore identifiés.

Au Burkina Faso voisin, le week-end de la Pentecôte aura été particulièrement meurtrier. Dans l’Est du pays, 25 civils au moins, ont été tués. Dans le Centre nord, une autre attaque a visé deux convois humanitaires avec pour bilan provisoire cinq civils et sept gendarmes tués. Chaque jour ou presque apporte son lot de drames.

Un sommet des chefs d’État du G5 Sahel avec Emmanuel Macron, pour décider quoi?

La déstabilisation du Sahel se poursuit, sept ans après le début de l’intervention militaire au Mali.

L’État français peut-il réussir à éteindre un incendie qu'il a lui-même alimenté avec – pour ne citer que ces faits d'arme - la guerre de Sarkozy contre la Libye et la mise à l'abri en Côte d'Ivoire de l'autocrate burkinabé Blaise Compaoré, pion de la Françafrique, déstabilisateur de la sous-région? Au-delà d’énièmes annonces qui se voudront optimistes - comme à chaque fois - début juillet lors du prochain G5 Sahel à Nouakchott, avec la participation annoncée d'Emmanuel Macron (à distance ou en présentiel), se posera-t-on enfin les bonnes questions?

Au fur et à mesure de son expansion, le conflit se complexifie. Les causes multifactorielles s'amalgament. Tout se mêle et contribue à propager le désastre : misère, absence de perspective, États faillis ou fragilisés, trafics, banditisme, obscurantisme, dominations extérieures, conflits locaux... De fait, les réponses deviennent chaque jour plus difficiles.

Rompre avec toute logique qui contribue à la déstabilisation

Les États-Unis, qui ont fait le choix du chaos en Afghanistan ou en Irak - pour ne citer que ces deux pays - en savent quelque chose. Ils ont assumé cette logique de domination militaire, politique et économique, et ses conséquences, quel que soit le prix du désastre humain. La résolution des conflits n'était pas à leur agenda car ils l'estimaient contraire à leurs intérêts immédiats. On en voit chaque jour les conséquences.

Au Sahel, il faut s'écarter de cette approche. Même l'idée d'une déstabilisation «contrôlée», qui soufflerait le chaud et le froid, justifiant une présence militaire et une domination politique et économique de long terme, ne constitue qu'une dangereuse illusion. Ce scénario n'est pas durable car il finit toujours par produire des monstres incontrôlables. Au final tout le monde y perd, même l'apprenti sorcier.

Pour des solutions politiques et africaines…

Il est maintenant évident que la perspective de la seule réponse militaire est inopérante. L'objectif ne peut plus être simplement de dominer militairement mais de résoudre le conflit. Au bout de sept ans, les «succès tactiques» ne suffisent plus. On ne peut plus se contenter des propos rassurants d'un Jean-Yves Le Drian évoquant de premières “victoires” sur les jihadistes.

Il y a nécessité de s'atteler à des solutions politiques et africaines, et commencer à s'attaquer aux racines du conflit, au terreau sur lequel prolifèrent les entrepreneurs de la violence. Les États ont été affaiblis, désarmés par l'ajustement structurel libéral. Ces logiques se poursuivent plus que jamais, et ce ne sont pas les quelques dons ou prêts octroyés par les puissances commanditaires qui changeront la donne.

On nous parle de logiques sécuritaires alors même que la sécurisation de la vie, les conditions de vie des habitants, ne sont jamais abordées. Voilà pourtant l'ordre du jour, rappelé cruellement par la pandémie du Covid-19 et ses conséquences sociales et économiques. Sécuriser la vie grâce à l'accès à l'éducation, à un système de santé solidaire, à des services et des biens publics. En permettant aux africains de reprendre la maîtrise des richesses du sol et du sous-sol, de leur souveraineté. C’est coopérer, transférer des savoirs, des compétences, permettre de produire sur place, favoriser une économie de réponse aux besoins vitaux. Il faut donc cesser d’interférer dans les systèmes monétaires, donner la priorité à la lutte contre l’évasion fiscale qui est un véritable pillage du continent. Un chantier immense est à ouvrir pour redonner un espoir, des perspectives. C'est au prix de cette mobilisation des peuples autour de ces objectifs qu'une issue sera possible. La France et notre peuple auraient tout à y gagner.

… y compris sur le plan militaire

Concernant la coopération militaire entre l’État français et ses anciennes colonies, il faut arrêter les faux-semblants et l’hypocrisie. Cela fait 60 ans que la France affirme aider ces pays à s’autonomiser en matière militaire, pour le résultat que l’on connait. Or, les armées africaines ont subi les mêmes logiques de délitement qui ont conduit à affaiblir les États depuis des décennies. Et pour certaines d’entre elles, comme au Mali, l’armée est considérée comme force supplétive, inféodée aux troupes françaises. De plus en plus de voix se font entendre pour dire que les pays concernés n’ont pas besoin de plusieurs centaines de soldats français supplémentaires, qui s’ajoutent aux milliers déjà présents, français et étrangers, mais d’un transfert de technologie véritable et efficace à leurs armées nationales. Ces transferts pourraient venir de France et d’ailleurs en vue de rompre avec une relation quasi exclusive avec l’ancienne puissance coloniale et de mettre en place des solutions africaines viables. Car il ne s’agit pas de remplacer une puissance tutélaire par une autre. Un retrait des troupes françaises devrait s’inscrire activement dans une telle démarche et ne pas être remis aux calendes grecques. La priorité doit aller au contraire vers le désarmement général de tous les groupes armés et le départ des troupes étrangères s’inscrivant ainsi dans la feuille de route de Lusaka 2016 adoptée par l’Union Africaine qui vise à faire taire les armes sur le continent et contient beaucoup de propositions concrètes pour y parvenir.

Pour toutes ces raisons, on ne peut faire l'économie d'un aggiornamento. Et d'urgence, il est question de changer de politique et de paradigme.

Collectif Afrique du PCF