Paradis fiscal, enfer social

Après Michel Sapin en 2016, Gérald Darmanin en 2018, voici donc Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, qui vient de publier son plan de lutte contre la fraude fiscale.

À grands renforts de communication 24 heures durant, les mesures ont ainsi été annoncées à l’opinion publique. On peut certes se féliciter que l’idée d’une COP de la fiscalité soit évoquée (une idée portée par mon frère Alain Bocquet et moi-même dès 2016 dans notre ouvrage Sans domicile fisc), de même que nous saluons le retour de la création d’un comité d’évaluation de la fraude fiscale, nouvelle mouture sans doute de l’Observatoire de la fraude fiscale, annoncé par Gérald Darmanin en septembre 2018 et qui n’a jamais vu le jour.

Ainsi donc, chat échaudé craint l’eau froide, nous jugerons aux actes concrets et suivons la mise en œuvre de ces deux mesures.

Bercy annonce la création de 1 500 postes afin notamment de renforcer le service d’enquêtes judiciaires des finances, soit ; mais il est toujours prévu que 3 000 emplois soient supprimés d’ici 2027 au sein de la Direction générale des finances publiques. Rappelons également que, depuis 2012, ce ne sont pas moins de 21 000 emplois qui ont disparu au sein de la DGFIP, dont 3 000 dans les services fiscaux. L’une des causes sans doute de la forte diminution du nombre des contrôles fiscaux des ménages les plus riches : 2 404 en 2021, quand il y en eut 4 166 en 2008.

On note également une nette évolution ces dernières années de la « doctrine » du contrôle, qui s’apparente désormais davantage à une sorte d’audit et de démarche d’accompagnement.

La grosse faiblesse de ce nouveau plan réside dans l’absence de prise en compte des paradis fiscaux existants, y compris au sein de l’Union européenne. G. Attal évoque bien des États et Territoires non coopératifs, jargon politiquement correct pour désigner les paradis fiscaux ; il cite le Panama, les Îles Vierges britanniques ou les Bahamas. Il reprend à son compte le concept selon lequel il n’existerait, au sein de l’UE, aucun paradis fiscal. Je citerai à ce stade un seul cas, celui du Luxembourg, un pays de 660 000 habitants au cœur de l’Europe, membre fondateur du Marché commun en 1957, ciblé par une enquête du journal Le Monde en février 2021. Nous y apprenions que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, parmi lesquelles 17 000 détenues par des citoyens français, cumulant ensemble 6 500 milliards d’actifs. N’est-on pas là au cœur de l’évasion fiscale ?

Enfin, les sanctions évoquées dans les propositions du Ministre font presque sourire tant elles sont faibles dans leur portée : déchéance de droits civiques (déjà prévue dans le Code général des impôts) et travaux d’intérêt général. Imaginons Patrick Balkany, pinceau à la main, repeignant la Perception de Levallois-Perret.

Je pense qu’il serait plus efficace de remettre en question le dispositif de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui permet aux gros fraudeurs fiscaux (McDonald’s ou Google) de négocier un chèque au Fisc contre l’abandon des poursuites judiciaires, une sorte de plaider-coupable à l’anglo-saxonne. Tous les ministres successifs soutiennent cette mesure mise en place par Michel Sapin en 2016 ; ils nous disent que cela permet de gagner du temps et de récupérer un peu d’argent dans les caisses.

Nous pensons plutôt que ce procédé nourrit dans l’opinion le sentiment d’une justice à deux vitesses.

« Selon que vous serez puissant ou misérable... »

Éric Bocquet