Présidentielle iranienne : Un nouveau coup de force du régime

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Une élection présidentielle se tiendra en Iran le 18 juin dans un climat de mécontentement général face à la crise économique, sociale et sanitaire. A la prévarication, à la corruption et à la mauvaise gestion structurelle des dirigeants s’ajoutent les sanctions illégales américaines qui écrasent le pays et placent Téhéran en marge de la scène internationale. En dépit de la permanence des conflits sociaux et des révoltes quotidiennes, de l’immense aspiration au changement, il serait hasardeux de faire des projections sur les évolutions ultérieures car le régime dispose encore de capacités de résistance, conforté par la faiblesse de l’opposition.

Le coup de force du Conseil des Gardiens de la Constitution

Depuis la révolution, les partisans du régime se divisent en trois pôles qui peuvent être en rivalité : le clergé chiite, les Gardiens de la Révolution (pasdarans) et les technocrates civils. Le clergé, qui se sait aujourd’hui impopulaire est dans une fuite en avant pour se maintenir au pouvoir.

En Iran, les candidats à la présidentielle sont sélectionnés par les religieux du Conseil des Gardiens de la Constitution. Cette institution s’est livrée à un véritable coup de force en verrouillant le scrutin puisqu’elle a éliminé tous les prétendants qui n’ont pas été jugés loyaux envers la République islamique, c’est-à-dire les réformistes et les conservateurs modérés si tant est que cette distinction puisse encore avoir un sens aux yeux des Iraniens. Sur les sept postulants retenus, on compte cinq ultras conservateurs et deux personnalités modérées très peu connues du public.

Le Guide suprême, Ali Khamenei, a pesé de tout son poids pour qu’Eharim Raïssi devienne le prochain président de la République. Ultraconservateur c’est-à-dire d’extrême droite, il occupe le poste de chef de la Justice et a su montrer qu’il percevait les activistes comme des menaces pour le système privilégiant la répression et la violation des droits humains.

Les enjeux et le projet politique

Même si le président de la République ne dispose pas de pouvoirs majeurs, l’importance des enjeux explique ce cadenassage du scrutin. Afin d’assurer dans l’avenir la succession du Guide suprême, âgé de 82 ans, les ultras conservateurs entendent contrôler tous les pouvoirs. De plus, l’ampleur de la crise amène une partie de la population à remettre en cause le système politique dont les candidats en lice sont tous de fervents partisans. Enfin, si les dirigeants actuels souhaitent le retour de l’accord de Vienne, ils entendent circonscrire les négociations au seul dossier du nucléaire. Enfin, le discrédit du président réformateur sortant, Hassan Rohani, est instrumentalisé par le pouvoir pour conforter le principe de Velayat-el Faqih (supériorité du religieux sur le politique).

Cette stratégie n’est pas sans risque car face aux difficultés économiques, les conservateurs ne pourront plus en attribuer l’exclusive responsabilité aux réformateurs.

Plus fondamentalement, la mainmise sur tous les organes de pouvoir vise à instaurer un projet plus global. Ali Khamenei souhaite transformer la République en régime islamique. L’élimination du républicanisme va de pair avec l’objectif de fonder une civilisation basée sur des valeurs exclusivement religieuses.

Si bien qu’en l’absence d’alternatives, l’abstention risque d’atteindre des niveaux records.

Des évolutions stratégiques régionales

Même si l’Iran entend conforter son influence en Irak, en Syrie et au Liban, provoquant de nombreuses tensions internationales, de sensibles évolutions se dessinent à l’échelle régionale qui pourraient avoir un impact significatif sur la situation.

Un nouveau cycle de négociations s’est enclenché pour renouer avec l’accord de Vienne (2015). Celui-ci encadrait la surveillance des activités nucléaires iraniennes afin que le programme civil ne débouche pas sur la fabrication de la bombe atomique. En échange, Téhéran pouvait bénéficier d’un assouplissement des sanctions. Quand les Etats-Unis de D. Trump ont quitté l’accord, l’Iran a riposté en faisant tourner ses centrifugeuses débordant le cadre d’un programme civil. Toutes les parties ont actuellement la volonté de voir aboutir les discussions.

De leur issue dépend la concrétisation de contrats avec la Russie et la Chine avec lesquelles l’Iran entretient des rapports stratégiques. Le partenariat avec Pékin demeure le plus prometteur. Il prévoit des investissements massifs (métro, télécommunications, chemins de fer, pétrole, mines) en contrepartie d’un approvisionnement stable en pétrole. De semblables accords ont été signés avec l’Irak, l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Les dirigeants iraniens, qui font preuve d’un certain pragmatisme n’excluent pas de renouer leurs relations commerciales avec des entreprises européennes.

L’élection de J. Biden et le départ de B. Netanyahou peuvent également encourager l’amorce d’un timide dialogue entre Riyad et Téhéran ouvrant la voie à une possible détente.

Les Iraniens attendent peu de choses de cette élection mais la levée d’une partie des sanctions constituerait un soulagement pour une population exsangue.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient