Sénégal : Macky Sall n’est pas le sauveur suprême !

Publié le 23 mai 2023

Depuis deux ans, le Sénégal, « pôle de stabilité remarquable et modèle démocratique en Afrique » et pays pivot du Sahel et de la partie septentrionale de l’Ouest africain, connaît une tension politique et socioéconomique qui va crescendo à mesure que l’on s’approche de l’échéance présidentielle du 25 février 2024.

Le président Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, qui avait promis de s’en tenir à l’esprit et à la lettre constitutionnelle qui limite à deux le nombre de mandats, entretient le flou sur ses intentions et fait dire à ses partisans et ses ministres qu’il a droit à… un nouveau quinquennat. À coups d’arguties juridiques et d’arguments spécieux, le camp présidentiel prend prétexte de la réforme constitutionnelle de 2016, pour revenir sur les divers et multiples engagements publics de Macky Sall sur le sujet du nombre de mandats à la tête de l’État.

L’opposition et des organisations de la société civile sont fortement mobilisées contre cette candidature en approche. Elles rappellent à juste titre qu’en 2012, Macky Sall a été élu sur la promesse de faire respecter le principe de la limitation des mandats. En 2016, lors de la campagne référendaire pour l’adoption de la réforme constitutionnelle, il en a fait un argument de poids pour convaincre les Sénégalais de la voter. Et en 2019, pour la campagne présidentielle de sa réélection, il est revenu sur le sujet en disant que ce sera son dernier mandat. Les opposants à Macky Sall refusent de faire d’une éventuelle candidature du Président une question juridique à laisser à l’appréciation des institutions compétentes. Ces institutions sont considérées par eux comme des instruments au service des intérêts politiques du président Macky Sall.

La justice n’inspire guère confiance puisqu’elle « exécute des commandes pour neutraliser » ceux qui sont perçus par le camp présidentiel comme des menaces à son hégémonie. Dernier exemple en date, le 8 mai 2023, le principal opposant - Ousmane Sonko, le maire de Ziguinchor - a été condamné pour diffamation et injures publiques à 6 mois de prison avec sursis et 300 000 euros de dommages et intérêts à payer à un ministre. Il a été condamné pour avoir dit que le ministre a été « épinglé par un rapport ». Si la sentence prononcée le 8 mai est confirmée en cassation, il perdra son éligibilité. Plus de 350 militants et responsables politiques sont en détention préventive pour des chefs d’inculpation comme « appel à l’insurrection », « diffamation de corps constitué », « atteinte à la sûreté de l’État », etc. Les journalistes, les activistes et youtubeurs ne sont pas épargnés. L’utilisation de la justice comme instrument de régulation politique apparaît comme une stratégie délibérée du pouvoir.

Les partisans d’un nouveau mandat du Président avancent comme arguments « son excellent bilan économique » dans un contexte sous régional de crise avec une « ceinture de feu autour du Sénégal ». La réalité est moins simple. Le Sénégal comptera à la fin de cette année 2023, un peu plus de 18 millions d’habitants. Il reste un pays rural (51 % de la population), jeune avec un âge médian (celui qui divise la population en deux parts égales) de 18,5 ans. Chaque année, ils sont des dizaines de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans trouver un emploi. C’est le secteur dit informel qui crée l’essentiel des emplois. Ceux-ci sont précaires et donnent des revenus irréguliers. La croissance économique tant vantée par les pouvoirs publics est erratique, vulnérable aux chocs extérieurs et est portée par la consommation privée et les investissements publics financés par l’endettement extérieur.

La croissance économique n’est pas inclusive et le taux de pauvreté reste élevé (37 % de la population). Les inégalités se sont creusées, la part de la richesse nationale détenue par les 20 % les plus pauvres n’a pas augmenté depuis vingt ans. Le Sénégal est dans une région marquée par l’instabilité. Les voisins que sont le Mali, le Burkina et le Niger sont confrontés à des mouvements insurrectionnels d’obédience djihadistes qui prospèrent sur des terreaux de contradictions sociales et de crises de l’État. Dans ses périphéries, le Sénégal présente des vulnérabilités similaires à celles des pays de la sous-région en difficulté et la solidité relative de l’État découle d’un processus historique irréductible à la stature d’un homme. La volonté de Macky Sall de briguer un troisième mandat, outre d’être en porte-à-faux avec ses engagements, est source de tensions sociopolitiques qui peuvent déstabiliser le pays.

Pour toutes ces raisons, fidèle à ses engagements historiques en faveur de l’émancipation politique, économique, monétaire des peuples d’Afrique, le PCF attache une grande importance aux liens avec les forces de gauche du Sénégal. C’est ainsi qu’une délégation de la direction du Parti a rencontré le lundi 22 mai Babacar Diop, maire de Thiès, 2e ville du Sénégal, qui joue un rôle important dans la reconstruction de la gauche au Sénégal et qui est candidat à l’élection présidentielle. Le PCF suivra avec attention l’évolution de la situation dans les prochaines semaines et se tient prêt à prendre les initiatives nécessaires en solidarité avec les progressistes sénégalais en cas de coup de force de Macky Sall.

Félix Atchadé
Collectif Afrique du secteur International du PCF