Syrie - Turquie : Les nouveaux crimes de B. Al Assad et de R.T. Erdogan

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TURQUIE

Ampleur du séisme

Le tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie fait figure d’un des plus terribles du siècle. Il a touché dix provinces soit l’équivalent d’un tiers de la France. Actuellement on dénombre 47 000 morts, des milliers de personnes coincées sous les décombres, plus de 100 000 blessés et des millions de sans-abris désormais dans l’urgence humanitaire alors que l’hiver aggrave la situation.

Si de nombreuses infrastructures ont été détruites gênant l’arrivée des secours, les critiques fusent sur les retards, la désorganisation et l’abandon de certaines régions. Pour ces raisons, le gouvernement de R.T. Erdogan et plus généralement le Parti de la justice et du développement (AKP) en endossent la responsabilité.

Montée de la colère

Désespérées, abattues, des millions de personnes se sentent meurtries par la catastrophe, abandonnées à leur sort, à la mort et à la détresse. Mais désormais la colère s’ajoute au deuil et il faut s’attendre à ce que la population réclame des comptes.

Depuis l’arrivée de R.T. Erdogan, il y a eu un détricotage de l’appareil d’Etat alors que les ONG ont été reprises en main par des représentants du pouvoir souvent incompétents. Le chef de la Direction de gestion des catastrophes et des situations d’urgence (AFAD), est occupé par un théologien spécialiste du soufisme anatolien, véritable thuriféraire du régime en place.

Par ailleurs, l’armée n’est pas intervenue dans un premier temps. En 2010, R.T. Erdogan avait supprimé un protocole pour l’empêcher d’agir dans ces circonstances.
La nature des constructions est un second objet de révolte.

Désormais, l’enjeu pour R.T. Erdogan est de nier sa responsabilité, de faire comprendre qu’il n’est pas responsable et qu’il s’emploie à la reconstruction. Il encourage aussi la population à trouver refuge dans la foi.

La zone du sud-est de la Turquie a été la plus touchée et les observateurs observent des différences de traitement comme par le passé. Les régions alévies et kurdes sont délaissées. Des zones détruites par le séisme de 2011 à Van ne sont toujours pas reconstruites. C’est un nouveau tremblement de terre pour les oubliés de l’idéologie sociale-darwiniste du régime.

Remise en cause du modèle économique

La dynamique de croissance économique s’est faite dans l’expansion du secteur immobilier. Les constructions ont été réalisées à moindre coût, rapidement, dérogeant aux normes antisismiques, avec pour seul objectif le profit maximum. La catastrophe actuelle est donc le résultat direct de vingt années de gouvernement de l’AKP.

On touche ici aux limites du modèle économique turc. Les entrepreneurs sont liés au pouvoir de l’AKP et le système est bâti sur la corruption généralisée. R.T Erdogan prétend faire le ménage en arrêtant quelques entrepreneurs véreux, or il est partie prenante de ce système. Le patronat du BTP qui s’est beaucoup enrichi forme la base sociale du régime et le financeur de l’AKP. De plus, R.T. Erdogan a amnistié un grand nombre d’entre eux déjà condamnés.

Les sinistrés sont donc les victimes d’un crime commis par l’AKP et ces entrepreneurs du bâtiment. Depuis 2019, date du dernier grand tremblement de terre, rien n’a vraiment changé en dépit des promesses de R.T. Erdogan.

Conséquences politiques

A la veille des scrutins présidentiel et législatif qui devraient se tenir en mai 2023, R.T. Erdogan apparaît en mauvaise posture même s’il a toujours su rebondir. La situation économique désastreuse a aggravé considérablement le niveau de vie de la population. Face à cette situation, l’AKP finit aujourd’hui de vider les caisses de l’Etat en multipliant les offres clientélistes : hausse du Smic, abaissement de l’âge de la retraite, construction de logements pour les plus démunis si bien que l’espoir renaissait dans le camp islamo-conservateur.

Or, avec ce séisme, l’inquiétude ressurgit et la vie politique turque pourrait être à un tournant structurel.

R.T. Erdogan serait tenté de reporter les élections afin de gagner du temps. Il doit faire face cependant a une limite constitutionnelle qui les fixe théoriquement avant juin. Ce ne serait pas la première fois qu’il prendrait des libertés à l’égard de l’ordre constitutionnel. Dès les premières heures du séisme, R.T. Erdogan a multiplié les mesures pour reprendre la situation en main : menaces et arrestations contre ceux qui expriment des critiques, interruption d’internet quelques heures, suppression des cours en présentiel dans les universités et proclamation de l’état d’urgence qui risque bien de devenir permanent. La volonté de prendre le contrôle sur l’aide apportée aux victimes a également freiné le secours aux populations.

Dans l’éventualité d’une tenue du scrutin, les craintes de fraudes n’ont jamais été aussi grandes dans la mesure ou l’AKP mobilise toutes les ressources de l’Etat. De plus, le dépouillement sera effectué par une association proche de l’armée.

L’unité d’une partie de l’opposition, qui compte six formations, demeure très fragile et ne semble pas avoir la capacité de profiter de la situation. Quant au Parti démocratique des peuples (HDP), une procédure d’interdiction a été engagée par le pouvoir sans entamer son influence.

Avec ce scrutin, il y a un risque réel d’ancrage et d’institutionnalisation de l’autocratie.

Les réfugiés syriens

Depuis plusieurs mois, il y a eu un basculement de l’opinion publique à l’égard des 3,5 millions de Syriens accueillis. Ils sont divisés en trois groupes : ceux ayant acquis la nationalité turque (150 000), ceux ayant un permis de travail (150 000) et ceux qui sont sous le régime de la protection temporaire (3 millions). Ces derniers travaillent dans l’économie informelle et sont des boucs-émissaires de tous les maux du pays.

Les réfugiés syriens sont livrés à eux-mêmes, victimes de lynchages, de pillages et exclus d’une partie des aides. La xénophobie s’est renforcée d’autant que le projet de R.T. Erdogan de les reloger sur les terres kurdes du nord de la Syrie est désormais impossible.

Ne pouvant retourner en Syrie, malmenés en Turquie, nombre d’entre eux devraient reprendre le chemin de l’exil et frapper aux portes de l’Europe. A n’en pas douter, R.T. Erdogan devrait agiter à nouveau la peur des migrants pour exercer des pressions sur les pays de l’Union totalement marginalisés dans la région.

SYRIE

Avec ce tremblement de terre, la Syrie se rappelle façon tragique et brutale au monde. Ici, le malheur s’ajoute au malheur : guerre civile, Covid-19, séisme. Là aussi, compte tenu du contexte, le bilan ne peut être que provisoire dans le nord du pays dont Alep. Le nombre de victimes s’établirait autour de 2000 morts et 5000 blessés. Dans les zones sinistrées, la situation est catastrophique : des immeubles se sont effondrés et les principaux dégâts se situent dans les quartiers populaires. L’absence de structures sanitaires accroit les souffrances des populations.Les conséquences pour les civils sont accentuées par la répression, la guerre barbare conduite par le régime et les sanctions occidentales qui ont un impact sur l’approvisionnement alimentaire et l’accès aux médicaments.

Jusqu’à présent, Damas refusait toute assistance humanitaire qui ne passait pas entre ses mains. En raison de l’ampleur de la catastrophe, les Russes et les Turcs qui sont les seuls habilités à prendre ces décisions, ont ouvert deux points de passage à la frontière. De nombreux observateurs ont pu constater que la Turquie capte, à son profit, une grande partie de cette aide.

Le régime déshumanisant de Bachar al-Assad qui a brisé son peuple sous les bombardements et la torture avec ses alliés russes et iraniens, tente de saisir l’opportunité du séisme pour se repositionner et retrouver une légitimité. Il profite de l’indifférence internationale pour faire porter la responsabilité exclusive de la situation aux sanctions occidentales et exige une normalisation politique.

De toute évidence, seuls les Kurdes de l’administration autonome peuvent ouvrir une porte de sortie dans cette impasse.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient