Taïwan, le message des urnes

Publié le 17 janvier 2024

La victoire de Lai Ching-te, candidat du Parti démocrate progressiste (PDP), élu le 13 janvier Président de Taïwan, n’a pas véritablement constitué une surprise après l’échec, en novembre, des pourparlers entre les formations d’opposition, le Kuomintang et le Parti populaire taiwanais (PPT) pour former une coalition.

Reste que ce succès électoral n’est en rien un raz de marée et que le vote pour le parti présidentiel est en net recul. Avec un score de 40,1 %, Lai Ching-te fait beaucoup moins bien que son mentor, la présidente sortante Tsai Ing-wen, élue en 2016 avec 56,12 % des voix puis réélue en 2020 avec 57,1 %.

Ses deux challengers, Hou Yu-ih, candidat du Kuomintang, et Ko Wen-je, leader du PPT, recueillent respectivement, 33,5 % et 26,5 % des suffrages. Quant aux résultats des élections législatives qui se sont tenues le même jour, ils font figure de camouflet pour le PDP avec la perte d’une dizaine de sièges et de sa majorité. Il est devancé d’un siège par le Kuomintang (51 contre 50). Le PPT, pour sa part, en gagne trois, passant à 8.

Autre caractéristique du scrutin, la hausse de l’abstention qui progresse de 5 points (à 30 %) comparé à 2020.

Ce bouleversement de l’échiquier politique de l’île est révélateur de l’état d’esprit des Taïwanais qui, par les urnes, ont exprimé leur refus de se laisse enfermer dans le seul choix qu’on veut leur imposer : l’indépendance ou la guerre. Il témoigne surtout de leurs inquiétudes quant à la stagnation du pouvoir d’achat et face au prix exorbitant de l’immobilier. D’où la baisse de confiance dans le PDP qui n’a pas réussi à répondre aux attentes dans les domaines sociaux et économiques et qui consacre désormais plus de 2,5 % du PIB à la Défense. Globalement, l’activité économique taiwanaise a fortement ralenti depuis le printemps 2022 et l’île a même entamé l’année 2023 avec une petite récession.
L’émergence du PPT a traduit ces préoccupations de la population. Ko Wen-je, qui n’a pas fait des relations avec Pékin un enjeu majeur de sa campagne, a préféré marquer sa différence avec ses concurrents en mettant en avant les questions sociales. Ce qui vaut à ce nouveau parti créé en 2019 un succès électoral, notamment auprès des jeunes frappés de plein fouet par la crise du logement. Entre 50 et 60 % des électeurs entre 20 et 29 ans lui ont accordé leurs voix.

Comme il fallait s’y attendre, Lai Ching-te a immédiatement reçu le soutien des États-Unis et de ses alliés. Pékin, qui perçoit le nouvel élu comme un « grave danger » capable de « promouvoir les activités séparatistes » - comme le préconise la charte du PDP qui donne pour mission au parti la quête d’indépendance -, a renouvelé ses avertissements. Ces derniers étant autant en direction de Taipei que de Washington. Joe Biden a sans attendre détaché une délégation à Taiwan et a réaffirmé qu’il n’y aura aucune faiblesse dans la coopération militaire avec l’île, bastion maritime stratégique de l’indo-pacifique américain dirigé contre la Chine.

Les grandes oreilles étatsuniennes pourront-elles entendre le message des urnes de samedi dernier ? Le PDP, qui n’a pas obtenu un mandat fort de sa population, aura une marge de manœuvre limitée face à une population qui se montre plus attachée au statu quo avec le continent que ne le proclament les bellicistes de tous bords. Car force est de constater que 54 % des suffrages se sont portés vers les deux partis, Kuomintang ou PTP, favorables à une coopération et à des discussions avec Pékin.

Dominique Bari

Publié dans CommunisteS, numéro 979 du 17 janvier 2024.