Tunisie : une inquiétante dérive autoritaire

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Le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, s’est arrogé les pleins pouvoirs à la suite d’un coup de force le 25 juillet. Activant l’article 80 de la Constitution sur l’état d’exception, dont l’interprétation fait débat, il a limogé le Premier ministre, son gouvernement et gelé les activités du Parlement. Aujourd’hui la situation est bloquée et Kaïs Saïed exerce seul le pouvoir avec le soutien de l’armée.

Dans un pays au bord du gouffre, gangréné par la corruption, la paralysie des institutions et un paysage politique fragmenté, la formation dirigeante, issue de l’islam politique, Ennahda, a cristallisé tous les ressentiments. A cela s’ajoute une crise économique, sociale et sanitaire explosive, portant l’exaspération de la population à son comble. Plus d’un quart des Tunisiens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté alors que les couches moyennes sont laminées.

Dans la veine populiste qui l’a conduit au pouvoir, celui qui s’est fait élire comme un ultra-conservateur antisystème, surfe sur ce mécontentement entretenant sa popularité par un discours contre la corruption et la déliquescence de l’État.

Cependant, après une phase d’euphorie populaire qui a suivi le 25 juillet, l’image de celui qui s’affiche volontiers avec le peuple commence à pâlir. Près de deux mois après l’établissement d’un état d’exception, la confusion l’emporte, le provisoire s’éternise, les impatiences et les inquiétudes s’expriment.

Le processus démocratique apparaît désormais en péril. Kaïs Saïed évoque de plus en plus la refondation du système politique en vue d’amender la constitution. Il ne cache plus son ambition d’établir un régime présidentiel dans lequel il imposerait son pouvoir personnel éliminant les corps intermédiaires comme en témoignent ses violentes attaques contre les organisations syndicales.

Il veut accélérer le calendrier pour s’appuyer sur une popularité persistante et obtenir une victoire déterminante.

Les récentes prises de position de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) traduisent une accélération des réactions des forces démocratiques après le refus du président de la République de poursuivre le dialogue national. Son secrétaire général, Nourredine Taboubi, a mis en garde le pouvoir contre une remise en cause de l’État civil et démocratique. Il exige un retour au fonctionnement normal des institutions, un respect des droits individuels et des libertés publiques.

Les forces de gauche, affaiblies après l’éclatement du Front Populaire, renouent le dialogue afin de bâtir un Front Démocratique large excluant cependant l’islam politique, les populistes et les nostalgiques de Ben Ali.

A l’échelle internationale, la situation tunisienne sème le trouble. Plusieurs personnalités s’émeuvent de cette évolution comme du rapprochement avec l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et surtout de l’Égypte.

Le prochain sommet de la Francophonie devrait être organisé en Tunisie du 17 au 20 novembre 2021 devant près de 80 dirigeants. Cette conférence internationale ne peut se tenir dans un tel contexte sans un retour à l’État de droit, sans la suspension des mesures d’exception et sans l’organisation d’élections législatives anticipées.

La solidarité avec le peuple tunisien doit s’exprimer fortement. La France et l’Union européenne doivent être aux côtés des forces démocratiques et soutenir leurs revendications.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient