Un compromis salarial en crise – Que reste t il à négocier dans les entreprises ?

Publié le 27 septembre 2023

En même temps qu’il affiche son plus profond mépris pour les organisations syndicales quand elles contestent les réformes libérales de la protection sociale et du marché du travail qu’il leur impose, le président Macron fait l’éloge de la négociation en entreprise, désormais définie comme le seul champ d’intervention légitime des syndicats.

Mieux, au motif de ne pas se substituer aux « partenaires sociaux » et ne pas entraver la compétitivité des entreprises, les gouvernements libéraux se refusent à intervenir directement dans la réglementation des relations de travail (pour fixer les salaires, lutter contre les inégalités femmes-hommes, préserver ou développer l’emploi) pour s’en remettre aux vertus supposées du sacrosaint dialogue social d’entreprise.

Les incantations du gouvernement pour inviter le patronat à mieux partager la valeur en sont l’ultime illustration, puisqu’elles ont pour corollaire le refus obstiné du gouvernement d’envisager toute mesure législative pour augmenter les salaires en réponse à l’inflation. Vendue comme le moyen de renforcer la légitimité des syndicats, la centralité donnée à la négociation d’entreprise dans la production des règles qui organisent le rapport salarial s’accorde en réalité à la logique des réformes néo-libérales du marché du travail et participe d’une entreprise politique de contournement et de domestication du syndicalisme.

D’abord parce qu’elle tend à enfermer les représentants syndicaux dans des espaces de négociation qui n’ont jamais été autant contraints et déconnectés des lieux de décision économique, sous l’effet de la financiarisation du capitalisme, de la généralisation de la sous-traitance et de l’asphyxie budgétaire que l’État organise lui-même sur les marchés qu’il réglemente (aide à domicile, petite enfance, etc.). Ensuite, parce que l’ancrage militant des organisations syndicales s’est réduit et reste surtout très inégal dans le monde du travail, 40 % des entreprises étant dépourvus de toute représentation syndicale. Or, des accords d’entreprise peuvent être désormais conclus avec des représentants non élus. Enfin, parce que les ordonnances « Travail » adoptées en 2017 ont parachevé un long processus de réformes libérales des règles de la négociation collective d’entreprise, consistant à la mettre de plus en plus au service des politiques de flexibilisation des rémunérations et des temps de travail.

Par rapport aux lois Auroux qui n’envisageaient les négociations d’entreprise que comme le moyen d’améliorer les conditions de travail et de rémunération des salariés, c’est donc à un renversement complet des finalités de la négociation collective d’entreprise auquel on assiste.

Dans quelle mesure les représentants du personnel sont-ils alors en capacité à obtenir des compromis salariaux encore favorables aux salariés par le moyen des dispositifs du dialogue social en entreprise ?

C’est à cette question que s’attèle à répondre cet ouvrage (1). Fruit d’une enquête collective mobilisant des données statistiques et des enquêtes en entreprise, il montre combien les salariés et leurs représentants sont mis sous la pression du marché et de ce fait très contraints dans leur capacité à négocier l’organisation de leur travail et à résister aux stratégies patronales d’individualisation et de financiarisation des politiques de rémunération. L’attention portée aux effets des contextes des négociations d’entreprise permet cependant aussi de montrer que la configuration de la relation salariale et la nature des compromis négociés dans les entreprises restent très variables, en fonction de la taille des entreprises, de leur position sur les marchés, de la présence ou de l’absence de syndicats et du type de main-d’œuvre plus ou moins qualifiée, et donc plus ou moins interchangeable.

En cela, cet ouvrage rappelle d’abord le rôle essentiel que les syndicats jouent pour créer les conditions de négociations moins déséquilibrées et limiter les risques du détournement des dispositifs de la négociation au seul profit des directions comme on peut l’observer en leur absence. Cette enquête montre aussi les profondes inégalités sociales que la priorité donnée aux négociations d’entreprise contribue à creuser, en renforçant la précarité des moins diplômés, ceux des petites entreprises comme les travailleurs « essentiels » de l’industrie et des métiers du lien dont le gouvernement ne cesse pourtant de louer le dévouement. Il est urgent pour cette raison de réimposer les enjeux du travail comme des enjeux politiques sans se défausser sur le jeu biaisé du dialogue social en entreprise et de repenser de fond en comble l’organisation de ce dernier. 

Baptiste Giraud

 

1. « Un compromis salarial en crise », B. Giraud et C. Signoretto, éditions du croquant, 20 euros. Acheter le livre auprès de l'éditeur.