Une catastrophe possible… sans les moyens de la conjurer !!

La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) puis son sauvetage ne concernent pas que le système bancaire. Ils sont annonciateurs de profondes difficultés qui peuvent s’étendre et que les gouvernants, mus par la logique du capital à tout prix, peuvent reporter sur toutes et tous. Pompiers et incendiaires en même temps, ils comblent les trous tout en renforçant les marchés financiers et en alimentant le feu de l’austérité. Cela montre qu’il faut faire tout autrement. Contrairement à ce qui est prétendu, les banques centrales ne sont pas armées pour agir comme il faudrait et ne font pas ce qu’il faut. Elles ne savent qu’augmenter les taux ou les baisser … pour tous les prêts, indifféremment.

Les faits. Le 10 mars, la banque SVB (Silicon Valley Bank, États-Unis) fait faillite, elle est sauvée par la banque centrale des États-Unis, la Fed. Puis, cela s’étend au Crédit Suisse : la Banque centrale doit lui apporter la somme énorme de 50 milliards de francs suisses, et la banque suisse UBS la rachète. Entre-temps, jeudi X mars, la BCE a continué à augmenter ses taux d’intérêts (de 0,5 point de pourcentage) pour « lutter contre l’inflation » et les gouvernants passent leur temps à rassurer, à dire qu’il n’y a pas de sujet.

Les mécanismes. L’augmentation des taux d’intérêt, engagée par une décision des banques centrales prétendant « lutter contre l’inflation », a pour effet de faire baisser la valeur du stock d’obligations existantes (1). La SVB avait beaucoup d’obligations dans son bilan. Or, elles y sont valorisées à leur prix de marché, presque en continu, et non à leur valeur « faciale », celle à laquelle elles ont été achetées. Du coup, panique des déposants de SVB qui se ruent pour retirer leurs dépôts « bank run ». La SVBN ne peut faire face. Elle est virtuellement en situation de dépôt de bilan.

La FDIC (fédéral deposit insurance corporation) garantit en principe les dépôts, mais jusqu’à une certaine limite (250 000 $). Mais la SVB est une « vraie » banque : les start up de la Silicon valley y ont leurs comptes courants, des milliards, y compris les salaires à payer… 100 000 à 200 000 emplois sont concernés. Ils pétitionnent et obtiennent que la Fed apporte des liquidités à la SVB pour garantir l’entièreté des dépôts. Pour cela, la Fed « innove » : comme contrepartie des liquidités apportées, elle accepte les obligations… à leur valeur faciale et non à leur valeur de marché, dépréciée !

Interprétation. Tout en déconnectant du marché la valeur des obligations, les banques centrales renflouent à fond les marchés. Elles redonnent donc du carburant à la spéculation. En plus, elles continuent à augmenter leurs taux, ce qui continue à fragiliser les bilans bancaires met à plat la croissance, les salaires etc., pourtant facteur fondamental de consolidation, et cela n’a qu’un faible effet sur l’inflation, car cette dernière est due à l’insuffisance d’emploi et de production, et à une production qui consomme trop de matières premières. Elles n’ont pas d’autre logiciel intellectuel que de taper l’emploi et la croissance pour agir sur l’inflation !

Risques. Une masse considérable de capitaux est concernée dans le monde, beaucoup de banques détiennent des obligations dans leur bilan. La contagion et l’extension sont possibles. Même Jean-Claude Trichet ne l’exclut pas. L’inquiétude a déjà fait dévisser les cours boursiers, provoquant les difficultés du Crédit Suisse, les banques « moyennes » comme SVB représentent aux États-Unis la moitié des prêts à l’économie.

De plus, le dollar peut être dans la tourmente : les bons du trésor américains sont la plus grande masse d’obligation. À travers elles, le financement de l’économie US, son attractivité sont concernés, donc le dollar lui-même.

Quant aux retraites par capitalisation dans le monde, gérées par des fonds de pension, elles vont en prendre un coup !

Perspectives. Est-ce à dire que le système bancaire va s’effondrer d’un coup ? C’est peu probable. Les tenants du système ont des moyens. Ils vont s’en servir. Ils viennent de le faire. Ils le feront, ils sont prêts à mettre des milliards… Mais combien de milliards faudra-t-il mettre ?

Des milliards qui n’iront pas à l’emploi, aux salaires, à l’hôpital, à l’école, aux autres services publics, à des dépenses écologiques ou au financement des systèmes de retraites… ! Sauf si… Sauf si des conditions nouvelles sont mises aux banques. C’est un enjeu politique majeur ! Au moins autant qu’en 2008.

Et ils vont continuer - plus prudemment peut-être - à augmenter les taux, continuant d’assumer ouvertement le risque de plonger les économies dans une grave récession à force de les « refroidir »…

Bref, ils chercheront à sauver le capital au prix de souffrances accrues.

Conclusion. En augmentant les taux les banques centrales mettent à mal l’économie (fragilisation des bilans bancaires, augmentation des intérêts payés par les États et les particuliers, durcissement des conditions de tous les prêts aux entreprises) et soufflent sur les braises en regonflant les banques. En baissant les taux, elles donnent du carburant aux spéculateurs pour qu’ils empruntent et nourrissent le feu. Les gouvernements doivent leur donner les moyens d’agir autrement. Elles doivent pouvoir pratiquer une sélectivité de leurs taux et de leur refinancement en faveur de l’emploi, de la formation et des services publics, et contre la spéculation, les pollutions, etc. Une évidence doit s’imposer : ce qui sécurise l’économie, nos vies et lutte contre l’inflation, c’est de développer l’emploi, la formation, les bonnes productions, les services publics, la valeur ajoutée efficace. Ces dépenses doivent être prioritaires et financées à très bas taux. Pour cela, il faut dans le même temps lutter contre le coût du capital et la finance. Cette sélectivité nouvelle est une exigence pour toute la société. Combler les trous ? Oui, si les banques utilisent leurs fonds pour financer l’emploi, les salaires, la formation, les investissements efficaces économiquement, socialement et écologiquement.

C’est une question politique ! Faire monter ces idées et perspectives, c’est faire de la politique autrement. C’est aussi un axe de convergence internationale entre forces progressistes d’Europe et du monde que nous pouvons faire progresser. Des prises d’initiatives sont à imaginer en ce sens.

Frédéric Boccara

économiste, membre du CEN du PCF et de l’exécutif du PGE (Parti de la gauche européenne)

______________________________

1. Car des nouvelles obligations étant sans cesse émises, les marchés préfèrent acheter les plus récentes, affichant un taux de rémunération plus élevé. Ils vendent les anciennes dont la valeur baisse alors.