Une déclaration de guerre de aux femmes

Publié le 31 janvier 2024

Il faut faire naître, titrait en 1924 la revue de l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française. C’est le cri d’alarme et le programme d’action de la France de l’entre-deux-guerres, dont l’objectif était la défense nationale. Aujourd’hui, le choix des mots « réarmement démographique » du Président de la République est révélateur d’une tentative de rasseoir son pouvoir de chef de l’État.

Pressé de faire oublier le record de l’utilisation du 49.3, de la promulgation de la honteuse loi Immigration, et tentant de clore la séquence du remaniement qui s’est achevé par le clash de sa ministre de l’Éducation nationale, Emmanuel Macron convoque de nouveau son vocabulaire martial ; après le «  nous sommes en guerre », « l’ennemi est là, invisible, insaisissable », lors de ses vœux le 31 décembre, il a utilisé pas moins de huit fois le mot « réarmer ».

Cette stratégie de communication vise à dramatiser les enjeux afin de mobiliser et créer l’union nationale autour d’un homme, un homme qui se pose en première ligne, en chef de guerre, et donc en homme incontesté et incontestable sur l’échiquier politique.

La dramatisation du chef de l’État ne répond pas à la réalité puisque la fécondité en France ne s’effondre pas.

Derrière un discours qui n’est pas sans rappeler le tristement célèbre « Travail, Famille, Patrie » du maréchal Pétain, Emmanuel Macron donne, s’il le fallait encore, un gage supplémentaire de soumission idéologique à l’extrême droite.

Comme le souligne la sociologue Charlotte Debest, derrière la peur de la baisse de la natalité « se glisse toujours la question de l’immigration et des thèses nauséabondes comme celle du grand remplacement, cette peur de se faire envahir par d’autres. » On rejette l’Autre mais on repeuple dans l’entre soi. Comment ne pas faire le lien avec le roman de Margaret Atwood la Servante écarlate ? Comment ne pas faire le lien avec « mon corps, mon choix » ?

Il n’est pas entendable, il n’est pas acceptable que le chef de l’État utilise le ventre des femmes comme un enjeu d’État, de l’ordre de la politique publique.

Les femmes n’ont pas à subir des injonctions de procréation de qui que ce soit. Personne n’a à imposer un bilan de fertilité aux hommes et aux femmes. Personne n’a à imposer l’âge auquel il faut se soumettre à cet examen invasif, qui enlève toute notion de choix personnel et intime. Personne n’a à nous imposer d’être « chosifié »au nom d’une obsession nataliste.

Ce bilan de fertilité, qui serait pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale, alors que l’ensemble de la population est confrontée à des dépenses de santé impactant toujours plus les restes à charge, fait l’impasse sur les difficultés réelles en matière de santé publique, à commencer par la disparition de la spécialité de la gynécologie médicale, en 1984.

Se pose également la question de la méconnaissance des causes de l’infertilité (pesticides, perturbateurs endocriniens, stress, dépistages tardifs imputables aux déserts médicaux, renoncements aux soins), sans aucune proposition du Président de la République.

Se pose enfin la méconnaissance, ou le déni, de ce que vit la majorité des jeunes, à savoir la pauvreté, la sélection sociale, le chômage, la précarité... Exiger de cette jeunesse qu’elle s’inscrive dans un projet parental relève pour le moins de ne pas prendre la mesure d’un désastre qui n’a rien de conjoncturel ou de provisoire.

Ce moment essentiel, où se dessine la vie future d’une femme ou d’un homme, doit impérativement devenir synonyme d’autonomie et d’émancipation.

Devenir parent ne se décrète pas mais se projette et se construit dans un environnement sécure.

D’autre part, au regard du désengagement de l’État en ce qui concerne la protection de l’enfance, il est légitime de se demander quelle est la véritable politique sociale et familiale que le Président de la République envisage.

Faire de l’ingérence dans la sphère intime, privée, des couples est non seulement une posture autoritaire, mais au-delà de l’injonction à procréer, pour l’avenir de la France, c’est nier les problématiques quotidiennes de la population en matière de précarité, de chômage, de pouvoir d’achat, d’accès à la santé, à la qualité de l’environnement, du logement …

Le chef de l’État va t’il rouvrir les maternités de proximité, des crèches publiques, des écoles ?

Le chef de l’État va t’il revenir sur l’abaissement du quotient familial, ainsi que sur l’abaissement de la PAJE (prestation accueil du jeune enfant) ?

Le chef de l’État va t’il proposer une politique familiale basée sur la compensation du coût de l’enfant et le retour de l’universalité de toutes les prestations familiales ?

Le chef de l’État va t’il proposer des allocations familiales dès le premier enfant ? Parce que le coût de l’enfant, ce sont les femmes qui le payent, à commencer par les familles monoparentales composées majoritairement de femmes.

Le chef de l’État va t’il enfin porter des mesures efficaces contre les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ? Il y a fort à parier que non. Emmanuel Macron s’est contenté d’évoquer la création d’un « congé de naissance », et les mots ayant un sens, il semble important de souligner la disparition du terme « parental » au profit du mot « naissance ». Ce congé parental qu’il diminue, passant de 3 ans à 6 mois.

Alors, si guerre il y a, c’est bien une déclaration de guerre faite aux femmes par le Président de la République. Après une réforme des retraites désastreuse, en premier lieu pour les femmes, les promesses non tenues en matière de violences sexistes et sexuelles, dont le budget représente 0,4 % du budget total, un propos dans lequel il s’émeut d’une « chasse à l’homme » contre un acteur visé par plusieurs plaintes pour viols et agressions sexuelles, et ce sans un mot pour les victimes, la composition de son nouveau gouvernement à parité, mais certainement pas à égalité puisqu’aucune femme nommée aux ministères régaliens, à l’image d’Aurore Bergé « rétrogradée » de ministre des solidarités à ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, la dernière attaque illustre, s’il le fallait encore, le mépris du chef de l’État envers les femmes.

À cette politique assumée d’Emmanuel Macron, nous opposons notre libre choix de la parentalité, l’exigence d’une politique familiale universaliste, la démocratie sociale et une réforme de progrès du financement permettant d’aller vers une véritable prise en charge à 100 % et la reconquête de la Sécurité sociale sur la base de ses principes fondateurs de solidarité et d’universalité des droits.

Notre réponse aux relents réactionnaires et paternalistes du Président de la République est notre exigence de progrès social par le développement des services publics.

Constitutifs de la nation, appropriation sociale collective au service de l’être humain et de la planète, les services publics sont un levier pour une nouvelle société d’émancipation sociale et écologique. Ils offrent à toutes et tous un égal accès à des instruments et activités essentiels. Ils garantissent à cette fin l’effectivité des droits, sans discrimination d’aucune sorte, dans le respect des principes d’égalité, de fraternité, de laïcité, de solidarités et d’unité territoriale, qui sont ceux de la République.

À l’injonction de « il faut faire naître », nous répondons « il faut faire être, il faut faire nôtre, il faut faire société ». Une société tournée vers l’avenir, une société créant l’espoir, une société refusant la guerre.

Véronique Sanchez-Voir

Fédération de l’Isère

membre de la commission nationale Santé et Protection sociale

Article pubilé dans CommunisteS, n°981, 31 janvier 2024.