Algérie: Avec le Hirak, un an de luttes émancipatrices

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Le Hirak: un mouvement exceptionnel

Vendredi dernier, les Algériens, par dizaines de milliers, sont descendus dans les rues du pays pour la 53e semaine consécutive. Le Hirak, ce soulèvement pacifique, radical et fraternel, qui a débuté voici un an, s'est tout à la fois élevé contre la perspective d'un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika mais aussi contre la corruption, l'autoritarisme, le libéralisme rentier, le chômage, les inégalités conduisant parfois à l'exil forcé. La politisation des expériences personnelles des injustices, du mépris de la classe dirigeante, des humiliations accumulées s'est cristallisée dans un rejet du "système" et la volonté de voir émerger un État juste, un État civil, une éthique. Après avoir obtenu l'indépendance du territoire en 1962, le peuple algérien s'est engagé pour une nouvelle indépendance, celle du peuple par rapport à un régime honni.
Dans cette révolution, qui s'inscrit dans la longue durée, les acquis sont considérables. Les Algériens ont imposé le départ d'A. Bouteflika. Ils ont balayé les digues de la peur, se sont réappropriés l'espace public, ont dénudé la brutalité des mécanismes du pouvoir élargissant de manière irréversible le fossé entre le peuple et la caste qui le monopolise. Avec le Hirak, rien ne sera plus comme avant. Pour autant, on ne se débarrasse pas d'une dictature aussi facilement. Certes, le pouvoir a fait quelques concessions, des responsables politiques ou des dirigeants des milieux d'affaires ont été emprisonnés ou écartés mais les manifestants ne sont pas parvenus à démanteler le système autoritaire. L'état-major, qui détient la réalité du pouvoir, s'est opposé à toute transition et à toute solution négociée. Les généraux ont imposé leur agenda en organisant un scrutin présidentiel dans la perspective de rejeter tout changement profond et de régénérer le "système".

La contre-offensive du pouvoir

Candidat du défunt chef d'état-major Gaïd Salah, le nouveau président Abdelmadjid Tebboune, s'il restaure une apparence de normalité, n'a aucune légitimité auprès d'une grande majorité d'Algériens qui ont massivement boycotté cette consultation. Cet homme du sérail, qui n'est que la façade civile du pouvoir détenu par les décideurs de l'armée, accède à la magistrature suprême à la suite d'une véritable mascarade électorale.
Mal élu, il multiplie depuis les discours d'apaisement, les initiatives, dialogue, flatte le Hirak dont il prétend être l'incarnation, reçoit habilement des chefs de partis ou des personnalités semant ainsi un certain trouble, annonce une kyrielle de réformes tout en ménageant l'armée: "cette colonne vertébrale du régime".
Derrière ce simulacre de rupture, le "système" s'emploie à se reconfigurer en s'inscrivant dans le sillage de l'ordre ancien. Les libertés publiques continuent d'être bafouées. En dépit de la libération de quelques détenus d'opinion, 120 d'entre eux demeurent derrière les barreaux et 1300 procédures judiciaires sont en cours. Les provocations du régime et la répression demeurent brutales comme en témoignent les violences récentes en Kabylie. La liberté de réunion est toujours entravée alors que les journalistes font face au harcèlement constant de la police. Les institutions liberticides restent en vigueur. A. Tebboune a institué une commission visant à réformer la Constitution mais les premières annonces tonitruantes ne masquent pas un simple toilettage qui ne touche pas à la concentration des pouvoirs dans les mains du Président. Avec l'éventualité d'une consultation législative, le pouvoir pourrait être tenté de remettre en scelle une nouvelle génération d'islamistes dont les conceptions rétrogrades ne sont pas si éloignées de celles des chefs de l'armée. Le nouveau chef d'état-major Saïd Changriha dans la continuité de son prédécesseur use à l'égard de la population de la rhétorique de la peur, stigmatise les Kabyles et dénonce le "complot" étranger derrière les manifestations populaires. Enfin le pouvoir actuel joue le grand retour de l'Algérie sur la scène internationale. A. Tebboune multiplie les initiatives diplomatiques pour y puiser une légitimité extérieure et rappeler le rôle protecteur de l'armée dans la crise libyenne notamment. Cependant, pour qu'une diplomatie puisse se dessiner, il faut en avoir une idée claire et dégager des lignes stratégiques ouvertes sur le monde d'aujourd'hui. Cela est loin d'être le cas.
Le principal défi auquel se confronte le nouveau gouvernement demeure la situation économique totalement dépendante des hydrocarbures et des importations. La baisse des prix du pétrole limite les ambitions et surtout la capacité d'acheter la paix sociale. Il n'est pas exclu, comme en 1988-1992, que le pouvoir ait recours au FMI et impose une nouvelle cure d'austérité alors que la corruption et le pillage des ressources naturelles se poursuivent.
Dans ce contexte renouvelé et de montée des exigences sociales, le Hirak doit faire face à de nouveaux défis.

Quel avenir pour le Hirak ?

En dépit de quelques signes d’essoufflement, les mobilisations se poursuivent et le Hirak continue à structurer la vie politique. Ainsi une contestation structurelle, durable s'est installée dans le pays. Elle revêt un caractère pluriel unissant des forces sociales diverses, des idéologies et des projets parfois concurrents. S'il est non-homogène ce mouvement s'est uni autour de revendications claires pour mettre en œuvre une transition démocratique avec la nécessité de voir désormais le pays gouverné par des personnalités indépendantes, une mise à plat des institutions et l'élection d'une Assemblée constituante.
Les revendications pour l'égalité femmes/hommes demeurent un enjeu majeur d'autant que l'implication des femmes a été et demeure massive. La présence d'un carré dédié dans les manifestations leur a donné une immense visibilité. Cela ne constitue pas une nouveauté car les mouvements féministes se sont structurés tout au long du XXe siècle dans une société conservatrice. La tendance dans les mouvements présentant un caractère de globalité est souvent de remiser à plus tard les revendications des femmes mais celles-ci ont tenu bon. Le rejet de toutes les oppressions en Algérie, comme ailleurs, passe aussi par le bannissement de toutes les formes de domination patriarcale. Les droits des femmes sont consubstantiels de la démocratie et chacun a bien conscience que le pouvoir actuel, en décalage avec les évolutions sociétales, n'a pas l'intention de proscrire le rétrograde Code de la Famille qualifié de Code de l'Infamie.
La non-structuration du Hirak a constitué une force ne donnant aucune prise à la manipulation tout en formulant une critique du système politique représentatif. A l'étape actuelle, même si cela fait débat, sa structuration se pose d'autant que les partis politiques traditionnels sont largement discrédités et peinent à se réinventer. La tâche est malaisée car la société civile a été broyée par des décennies d'autoritarisme et le pouvoir algérien a empêché par tous les moyens l'organisation du mouvement. En dépit de ces entraves, des figures nouvelles ont émergé qui peuvent contribuer à l'organisation de la société civile pour atteindre les objectifs du Hirak.

Si le pouvoir a montré sa capacité de résilience, les Algériens viennent de poser les jalons d'un sursaut démocratique. Alors que le pouvoir s'étiole, le Hirak travaille à l'émergence d'une Algérie ouverte sur le monde, libre, juste et égale. Le Parti communiste français, dans le respect de l'indépendance du peuple algérien, exprime sa totale solidarité avec cette lutte émancipatrice.

Pascal TORRE
responsable adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient