CN mars 2022 / Intervention Lydia Samarbakhsh, membre du CEN, chargée de l'International

Guerre en Ukraine, l'urgence d'un cessez-le-feu et de la construction dans le même élan d'un immense mouvement populaire pour la paix et pour un nouvel ordre international.

J'aimerais d'abord saluer les militant·e·s et élu·e·s communistes qui, dans le feu de la campagne présidentielle, se sont mobilisé·e·s en nombre dès le 24 février contre la guerre en Ukraine, en solidarité avec le peuple ukrainien et tous les réfugié·e·s. C'est un mouvement remarquable qui va être déterminant dans la construction d'un large mouvement pour la paix en France et en Europe.

De même que je salue le rôle du journal l'Humanité, en particulier depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine avec le travail réalisé par ses envoyés spéciaux Vadim Kamenka, Emmanuelle Chaze et Pierre Barbancey, pour faire connaître la réalité terrible de ce conflit et faire entendre les voix des populations assiégées, des réfugié·e·s et des forces de la paix.

Je ne reprends pas ici les éléments donnés par Igor dans son rapport et auxquels je souscris ni ceux qui figurent dans la proposition de déclaration que nous discuterons et voterons, et j'aimerais pousser le débat entre nous sur le troisième point soulevé par lui s'agissant de la guerre (« changer de mondialisation économique »).

Je soumets donc quelques idées au débat – qui doit nous aider à envisager tous les cas de figure d'évolution de la situation et à prendre les meilleures décisions de direction pour que le Parti joue un rôle significatif permettant l'obtention d'un cessez-le-feu et l'ouverture de négociations ainsi que, dans la foulée, faire émerger avec force l'exigence d'un autre ordre international. Car, j'insiste, il ne s'agit pas de changement uniquement des logiques économiques de la mondialisation mais bien – parce que cette guerre incarne les limites de l'ordre international imposé par les puissances occidentales – de permettre à un nouvel ordre mondial d'émerger, un ordre qui garantisse la sécurité humaine collective – c'est-à-dire embrassant toutes les dimensions de ce que recouvre l'exigence de sécurité : la sécurité physique mais aussi alimentaire et sanitaire, les enjeux sociaux-économiques, la sécurité de l'emploi, de la formation, de l'éducation, les droits culturels, démocratiques, environnementaux (PNUD : 1994).

Si nous voulons porter une perspective politique – et nous en portons une : la construction de cadres communs de coopération et de sécurité collective pour remplacer les logiques d'alliances, à commencer par L’OTAN –, nous n'opposons pas les questions de sécurité (c'est-à-dire : la défense nationale, la lutte contre le terrorisme, le désarmement et la dénucléarisation) aux enjeux sociaux-économiques, nous les articulons car il ne peut exister d' « îlots de prospérité dans un océan de misère » ; cela n'existe pas et n'existera pas dans un monde aussi interdépendant – et qui le sera de plus en plus, et c'est, pour nous, une bonne chose car l'interdépendance pose comme jamais, que cela plaise ou non aux forces du capital, la question de la solidarité entre les peuples et entre les travailleurs.

Il n'y aura de sécurité pour aucun peuple si l'ordre du monde ne change pas.

La guerre en Ukraine déclenchée par Vladimir Poutine est symptomatique de la dangerosité d'un ordre international fondé sur les logiques de puissance, de compétition entre les peuples et de pérennisation de la domination occidentale – et particulièrement des prétentions hégémoniques US – sur le monde ; il est également la manifestation des conséquences de la poussée violente des extrêmes droites en moins de 20 ans en Europe et dans le monde – cet aspect idéologique doit être considéré avec sérieux.

Nous avons, à maintes reprises ici, souligné que, dans un contexte de profonde crise du capitalisme, d'explosions des inégalités à l'échelle internationale comme nationale, et de crise démocratique du modèle « occidental », cette poussée des extrêmes droites qu'elle soit dans les urnes, dans les rues ou dans les consciences – et malheureusement quelquefois les 3 à la fois –, pouvait mener au pire surtout lorsque, face à elles, les forces de la gauche de transformation sociale sont affaiblies et divisées.

Nous y sommes presque en Europe : c'est déjà le pire pour les Ukrainiens, et sous une autre forme pour le peuple russe. Le pire est encore devant nous si nous ne nous battons pas sur le plan politique et idéologique, j'insiste, pour qu'il en soit autrement. Car il peut en être autrement : l'immense majorité des peuples aspire à la paix et à la solidarité internationale1.

Les risques d'aggravation, d'escalade et d'extension militaire sont forts et il est nécessaire de les prendre très au sérieux, j'en cite les faits récents les plus marquants selon moi :

  • avec la décision mise en œuvre avant même son annonce officielle de livraisons notamment via la Slovaquie de matériels militaires lourds (défense aérienne, chars etc.) organisée par les États-Unis à l'Ukraine (en échange de l'abandon – temporaire ? – par Volodymir Zelensky de la revendication d'une Zone d'exclusion aérienne aux forces de l’OTAN) ;

  • le début effectif du réarmement de l'Allemagne avec l'achat, par exemple, de 35 avions de combat américains – ce qui apparaît comme un abandon de fait du projet d'avion de chasse européen porté surtout par la France ;

  • le déploiement de missiles tactiques nucléaires russes sur le terrain est attesté par des sources diplomatiques – même s'il faut prendre l'information avec la plus grande des prudences : le conflit a permis en Biélorussie, fin février, d'abroger par référendum l'art de la constitution qui garantissait la dénucléarisation du pays : c'est là un signal à ne pas sous-estimer ;

  • La tournure du débat en Finlande qui envisage à présent une adhésion à l’OTAN alors qu'elle y était, sa population comme la majorité de ses responsables nationaux, opposée ;

  • les tensions renaissantes dans les Balkans mais aussi émergentes et très préoccupantes en Lituanie et dans les pays baltes ;

  • les pressions politiques exercées par l'UE sur la Moldavie et d'autres pour qu'elle adhère à l'Union européenne ;

  • enfin, la volonté des dirigeants européens, Emmanuel Macron le premier, d'une part de faire maintenant de l'UE un « pilier autonome » (cela veut dire sans intervention militaire directe des USA) de l'OTAN et, d'autre part, afin de préserver les intérêts du capital, d'engager notre pays dans une économie de guerre.

Ces risques peuvent se concrétiser par l'action conjuguée sur le plan politique et idéologique des forces néolibérales et d'extrême droite. Nous devons mener la bataille politique et idéologique sur ces deux fronts tout en consacrant nos efforts au rassemblement et à la prise d'initiative des forces de la paix et de gauche en France, en Europe et au plan international, l'émergence d'un vaste mouvement populaire et la mise en mouvement des forces du travail et de la création pour contribuer à construire ce mouvement populaire. Et que nous prenions des décisions en ce sens à cette réunion du Conseil national.

Même élargi « partiellement », ce conflit en se régionalisant et en devenant, comme avant lui le furent les conflits en Syrie, Afghanistan et Irak au Moyen-Orient, la guerre en Ukraine peut rapidement devenir une zone de guerre longue en Europe – et pas nécessairement de « basse intensité » pour autant.

 

1Voir les deux enquêtes qualitatives : https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/french_shapingourfuturetogether_executivesummary.pdf et https://www.euractiv.fr/section/non-discrimination/news/la-cooperation-internationale-indispensable-a-la-creation-dun-avenir-meilleur-selon-un-sondage/