[CN] Situation internationale - Intervention de Lydia Samarbakhsh

Intervention de Lydia Samarbakhsh à l'occasion du Conseil national du 7 novembre 2020.

Je voudrais dans cette intervention apporter quelques éléments de réflexion à verser à l'analyse de l'évolution de la situation internationale et de la phase de crise systémique dans laquelle le monde a basculé avec la pandémie de Covid19.

D'abord, un message à l'adresse des peuples boliviens et chiliens, et de nos camarades chiliens et boliviens pour leur redire combien les batailles électorales qu'ils viennent de remporter, dans des climats répressifs intenses, rouvrent l'espoir pour tous les peuples et pays du monde. Et pour les assurer de notre soutien continu et de notre totale solidarité dans les tentatives et menaces de déstabilisation qui persistent et qui sont encouragées en premier lieu par l'Administration Trump mais aussi, en Bolivie en ces jours d'investiture présidentielle, et au Chili dans la campagne pour l'élection au suffrage universel de l'Assemblée constituante; de ce point de vue, la France, les pays membres de l'UE et l'UE elle-même se sont révélés en-dessous de tout depuis le coup d'État de 2019 en Bolivie, et devant la victoire du OUI au référendum au Chili.

Sur les élections générales et la présidentielle aux États-Unis, je vous renvoie à l’Édito de la NewsLetter Lettres des relations internationales (NLLRI) publiée hier. Biden n'est pas encore élu à cette heure mais il ne s'agira pas d'une victoire «étriquée» puisqu'il a 4,5 millions de voix de plus que Trump et qu'il devrait atteindre, et peut-être dépassera-t-il les 270 délégués, alors que Trump en compte 214 et trois des États où le décompte se poursuit ou bien un recomptage est engagé seraient favorables à Biden; et enfin que l'élection des représentant-e-s de la gauche de transformation sociale du Parti démocrate a été rendu possible par le rassemblement cette fois de toutes les forces de gauche derrière le candidat démocrate. Il faudra certes analyser l'essoufflement de la dynamique l'empêchant de remporter dès le 3 une victoire franche et nette sur Trump mais c'est surtout l'ancrage du «trumpisme» qui survivra à Trump qu'il faut analyser de près et qui traversent toutes les classes sociales, et qui imprègnent classes dominantes et moyennes, «blanches», étasuniennes.

L'essentiel de mon propos tente d'élargir la focale comme nous y invitait fin mai, Didier Fassin dans un entretien au Monde, où il soulignait que la crise pandémique «avait rétréci notre vision du monde...Sous l’effet de la mondialisation qui n'est pas nouvelle en soi, qui connaît plusieurs phases historiques chacune aux caractéristiques spécifiques, une mondialisation qui est un processus géo-historique, un système qui est à la fois politique, économique, stratégique et dont chaque phase historique présente des caractéristiques spécifiques (cf. rapport du CN de janvier 2020), nos sociétés connaissent des ruptures dans leur fonctionnement et leur développement – dont il faut bien percevoir les dimensions contradictoires.

Dans quel contexte la pandémie et la crise sanitaire sont-elles intervenues?

Tout d'abord je veux rappeler que la pandémie s'est développée dans un contexte de crise économique et sociale qui allait et va en s'aggravant, c'est vrai, et aussi sur fond d'un mouvement à l'échelle mondiale de luttes et mobilisations populaires contre les inégalités sociales générées par les politiques néolibérales austéritaires, contre les confiscations des pouvoirs, droits et libertés, la corruption, l'autoritarisme et les violences sociales et politiques, les violences faites aux femmes en particulier qui ont pris des dimensions de luttes nationales (je pense en particulier au Chili, à la Pologne, aux États-Unis).

Et la crise sanitaire – qui, je le rappelle aussi, a pour l'une de ces particularités premières d'avoir révélé au grand jour l'incapacité à juguler et endiguer la pandémie dans les pays développés, y compris de la 1ere puissance mondiale c’est-à-dire partout où les politiques publiques de santé ont été sacrifiées sur l'autel du marché et de la finance–, cette crise sanitaire a jeté un violent coup de projecteur sur l'expérience commune aux peuples du monde: tout le monde est menacé et sans solidarité effective, aucune maladie ne peut être vaincue dans un seul pays ou sur un seul continent. C'était vrai au XVe ou XVIe siècles, c'est deux fois plus vrai aujourd'hui parce que les échanges humains et commerciaux ont considérablement augmenté. La crise a ainsi violemment rappelé que la mondialisation est «une construction dynamique, instable et conflictuelle» est qu'elle est «le fruit de rapports de forces». Mais la coopération internationale, incomplète, qui a été développée par exemple sous l'impulsion de la Chine ou de Cuba, ou encore au sein de l'UE et à une plus petite échelle entre l'Allemagne et la France, ou encore, au contraire, les épisodes de vols de masques sur les tarmacs ont aussi ouvert un espace politique pour porter l'exigence d'un monde plus solidaire et d'une mondialisation pour l'humain et la planète d'abord plutôt que les profits.

Pour autant, le cloisonnement, la séparation, la stigmatisation de l’Autre («virus chinois») gagnent partout du terrain. Avec le re-confinement, nous devons contribuer à empêcher l’idée que c’est en érigeant des barrières que l’on résoudra les problèmes, et en cela s'appuyer sur les ressorts des mobilisations massives de 2019 malgré leurs contradictions ou lacunes mais qui ont imposé sur la scène politique l'exigence de satisfaction des besoins des peuples et des travailleurs en matière d'enjeux sociaux, économiques, politiques et écologiques tout ensemble.

Sur les mouvements politiques et sociaux de 2019 que la crise sanitaire a relégué à l'arrière-plan mais qui persistent, d'abord 2 remarques :

  • Après la chute du mur de Berlin, la mondialisation néolibérale s’est imposée, asphyxiant le social puisqu’il devait désormais résulter du prétendu «ruissellement» et ce faisant a contribué à délégitimer le débat et l'action politique en l'asservissant aux injonctions économiques.

  • Depuis le début du XXIe siècle, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de dynamique des mouvements politiques et sociaux qui se mondialisent mais qui ne s'internationalisent pas, qui ne forment pas encore une internationale, à quelques exceptions près mais même celles-ci dans des proportions limitées: printemps arabes, Occupy wall Street, Indignés, Gilets Jaunes, #MeeToo, #ClimateChange... avec un rebond et des élargissement en 2019 avec le mouvement de solidarité suscité par l'assassinat de George Flyod. A côté de leur simultanéité, ils connaissent des points communs: dignité, rejet des systèmes en place et du néolibéralisme, dégagisme...Ils peuvent remporter des succès (Bolivie, Chili) mais aussi des revers (pays arabes, Pologne). Ils s’enracinent dans leur contenu et leur forme dans des mouvements antérieurs mais ils portent des caractéristiques nouvelles.

  • Tous véhiculent une forte radicalité mais ne portent pas de projets politiques ou idéologiques alternatifs d’ensemble; ils ne sont pas structurés autour de structures politiques et organisationnelles parce qu’il n’y a pas de forces transformatrices suffisamment fortes à mêmes de transformer les frustrations, les humiliations et les souffrances en une demande articulée.Tous les mouvements cherchent à se relier dans une perspective locale, nationale et internationale. Mais les nouvelles cultures sont sans dimension internationalistes au sens classique du terme. Tous ces mouvements se reconnaissent comme faisant partie d’un même élan démocratique et d’émancipation. Mais le cadre national reste celui dans lequel ils s’organisent et que les populations se mobilisent.

Tous ces mouvements sociaux, féministes, environnementaux... expriment une défiance à l’égard du politique, des partis et des institutions et prennent leur distance avec les stratégies qui ont structuré les mouvements révolutionnaires au XXe. Sans rejeter les élections, ils ne croient plus vraiment à l’idée que la transformation de la société proviendra seule de la conquête du pouvoir d’État par les partis institués. Tous ces mouvements incorporent les évolutions philosophiques, culturelles et politiques de long terme: bien(s) commun(s), sécurité humaine, «démocratie réelle», critique des modes de production et développement, et «égalité réelle».

Toutes ces dynamiques sociales sont soient incomprises, soient ignorées ou méprisées par les «politiques»; le plus souvent, pour ce qui nous concerne, nous courrons après. Seule la Covid 19 est parvenue à les contenir mais l’approfondissement de la crise devrait accentuer leur durabilité.

Enfin, ces luttes peuvent avoir des dimensions progressistes mais aussi réactionnaires d’autant que la mondialisation si elle favorise la conscientisation, elle nourrit aussi les peurs que de nombreuses forces ont fait leur ligne de combat politique pour contenir les demandes sociales et politiques.

Dans les luttes actuelles, il n’y a rien de spontanément révolutionnaire a fortiori dans une situation persistante de l'éparpillement et de l'affaiblissement des organisations communistes et d'émancipation humaine. Les issues sont opaques et le danger est grand de voir les forces populistes et ultra-réactionnaires marquer des points.

Qui des forces progressistes ou réactionnaires l’emportera?

Rien n’est fait mais si nous sommes partisans qu’une autre mondialisation s’impose, la question n'est-elle pas de, tout à la fois, dépasser les logiques de domination capitaliste et de concevoir une co-gouvernance (il ne s'agit pas d'un «gouvernement mondial» mais de règles communes et de logiques motrices) de ce monde fondée sur les principes de solidarité internationale des peuples et des travailleurs, où tous les peuples compteront pour un.

Pour conclure: Un parti communiste de son temps qui lutte pour la sécurité humaine collective dans toutes ses dimensions sociales, économiques et politiques, et contre la domination du capital se doit d'être à la hauteur de ces enjeux et d'en travailler les contradictions. Partir du réel pour le transformer plutôt que de croire qu'il est tel qu'on voudrait qu'il soit au risque de passer complètement à côté des mouvements sociaux et politiques qui traversent et mobilisent les peuples et travailleurs, et, finalement, laisser la bourgeoisie le conserver en l'état.

Enfin, je veux souligner ici la persistance des carences d'information interne des communistes, qui ne date pas d'hier mais qui en période de pandémie et de confinement ou de couvre-feu devient un obstacle à l'action des communistes – et aussi à leur unité: je propose par conséquent que les productions régulières (bulletins) de tous les secteurs de travail du CN soient systématiquement envoyées à tous les adhérent-e-s dont nous avons centralisé les adresses électroniques.