Renouvellement des accords de Cotonou : comment instaurer une coopération entre l'Europe et l'Afrique au service du développement et des populations ?

Intervention de Maïte Mola, vice-présidente du parti de la gauche européenne
- Colloque international - 26/01/2022

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De la part du Parti de la Gauche Européenne, je remercie la Fondation Gabriel Péri, la Fondation Rosa Luxemburg et le Parti de l'indépendance et du travail du Sénégal, et le SUDES – Enseignement supérieur, d'avoir organisé ces importantes journées de travail, de débat et d'étude sur les relations entre l'Afrique et l'Europe : les analyses concrètes des dynamiques concrètes sont le meilleur outil pour proposer des alternatives à la réalité que nous vivons.

Depuis la gauche européenne, nous devons jouer un rôle critique vis-à-vis des politiques et programmes de coopération internationale et des instruments mis en oeuvre par l'Union européenne, y compris les accords de Cotonou, car ils partagent le même modèle de développement fortement lié à une croissance économique non durable, qui génère des inégalités et dévaste l'environnement (bien que la lettre dise le contraire). L'UE devrait obliger le Nord à changer son modèle de production, afin de pouvoir coopérer véritablement au développement du Sud.

L'objectif théorique d'éradication de la pauvreté, de développement économique, culturel et social, a fini par reproduire un mythe néolibéral et les contradictions fondamentales entre pays riches et pays plus pauvres, loin d'être réduites ou résolues par la coopération et les investissements internationaux, tendent à rester liés à la vision néocoloniale. En outre, au niveau géopolitique, l'UE reproduit la dynamique de la concurrence avec la Chine, la Russie, l'Inde et la Turquie qui investissent en Afrique et, en partie, s'impliquent même dans les conflits en cours. La France est également fortement impliquée dans les opérations commerciales et militaires sur le continent, avec une ouverture claire pour l'UE. Cependant, nous n'aborderons pas ces questions ici, sachant que le militaire et le commercial restent étroitement liés.

De plus, ce sont des éléments qui ont été pris en considération par les politiques néolibérales des dernières décennies développées par l'UE, qui se caractérisent par des privatisations, des coupes sociales, des ajustements démocratiques, le poids de la dette extérieure et des relations commerciales de plus en plus inégales.

Il est donc clair que le commerce, à travers les Accords de Partenariat Economique (APE), reste le domaine d'activité privilégié des accords tels que Cotonou, afin de profiter de l'ouverture des marchés des 79 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) aux économies européennes, pour continuer à développer une dynamique de dépendance.

En fait, pendant la phase du capitalisme industriel, la coopération au développement des pays dits du tiers monde a contribué au développement des premiers, mais dans cette phase du capitalisme financier, elle a servi à tenter de masquer les inégalités tout en essayant de créer une plus grande dépendance des pays dites sous-développés vis-à-vis des pays développés.

Promettant un plus grand pouvoir d'achat et de consommation, l'UE utilise des mots tels que "économie à visage humain", "économie solidaire", "développement équitable" et tant d'autres qui restent seulement des mots.

Ces concepts de développement ont servi non seulement à conditionner économiquement mais aussi à contrôler politiquement, à légitimer l'architecture militaire, policière et judiciaire qui garantit la sécurité des marchés dans le monde entier.

La croissance économique ne conduit pas au développement social ou à la réduction des inégalités. Seul un développement synonyme de changement social, de changement productif, de justice sociale et économique est efficace, aussi toute politique de coopération devrait-elle emprunter cette voie. En 1987, le rapport Brundtland a proposé l'objectif du "développement durable", qui visait à rendre la croissance économique compatible avec les idéaux conservationnistes de l'environnementalisme, ce qui permettrait d'atteindre une croissance économique infinie et, de cette façon, de surmonter le conflit entre la souveraineté nationale et l'écologie, mais nous constatons que cela n'a pas été possible, comme en témoigne la signature de l'accord de libre-échange entre les blocs du Mercosur et l'Union européenne, et l'accord de Cotonou lui-même.

De plus, il suffit de regarder les désastres environnementaux qui se produisent surtout dans le Sud globale pour comprendre que ces évaluations et programmes dits « durable » étaient erronées.

Par la suite, après l'implosion du camp socialiste au début des années 1990, la Banque mondiale a lancé le concept de "croissance économique avec équité".

Le nouveau modèle de développement capitaliste, qui n'avait plus de contrepoids mondial, était fondé sur une accumulation et une concentration des richesses qui excluait encore davantage la distribution, car elle approfondissait le modèle d'inégalité et de dépossession. L'alignement de l'Union Européenne s'inscrit totalement dans la logique ultra-libérale d'institutions telles que le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce.

Ces institutions, qui ont promu et diffusé le processus de mondialisation, n'ont pas été en mesure d'arrêter les fortes contradictions qui le caractérisent. D'un côté, nous avons une intégration frénétique de la population mondiale avec des avancées technologiques, une plus grande offre de produits, une réduction des temps de production et de distribution, ce qui était impensable il y a encore quelques décennies, mais en même temps, une grande partie de la population ne peut accéder à ces phénomènes que la mondialisation génère.

En raison de causes multiples, nous voyons la contradiction entre l'accumulation et la croissance économique et les distorsions structurelles du système économique, telles que la répartition inégale des revenus, la précarité de l'emploi et le chômage, comme une armée de réserve de main-d’œuvre.

Autre que le commerce, moteur des inégalités tant qu’il est à présent, les autres domaines d'activité de ce type d’accords de partenariat, sont le développement durable et les migrations.

Dans le cadre du nouveau budget à long terme de l'UE pour la période 2021-2027, l'UE finance la plupart de ses programmes de développement en faveur des pays partenaires ACP par le biais de l'instrument de coopération internationale, de coopération au développement et de politique de voisinage - L'Europe dans le monde (IVCDCI), pour un montant total d'environ 79,5 milliards d'euros.

Les secteurs concernés sont notamment la transition numérique et écologique, l'emploi, la paix et la mobilité. Pour chacun d'entre eux, nous pourrions analyser les quelques actions et propositions positives et efficaces qui ont été mises en place. Surtout en reconnaissant que même en Europe ces sujets sont abordés de façon tout à fait insuffisante.

Au sein de ce modèle économique, le modèle de coopération de l'UE a servi à reproduire des économies plus dépendantes dans les pays sous-développés, c'est-à-dire à renforcer la dépendance économique afin de renforcer la dépendance politique.

Dans certains cas, nous constatons que les crédits de la coopération internationale au développement sont conditionnés à la gestion commerciale des ressources de base qui ont fait l'objet de processus de privatisation, comme par exemple l'eau.

La Gauche Européenne est pour des ruptures concrètes avec la logique capitaliste et productiviste et donc contre les Accords de Libre Echange, en préférant plutôt un échange commercial plus équitable, car on obtiendrait plus de bénéfices et une meilleure répartition, mais nous voyons dans divers accords commerciaux régionaux comment l'aide à la coopération fait partie des conditions qui rendent les échanges économiques entre pays développés et pays sous-développés inégaux.

La bataille contre les accords de partenariat économique est fondamentale car ils sont le symbole de la stratégie commerciale néolibérale passée de l'Union européenne. Nous nous battons contre eux et nous continuerons à nous battre contre les accords de libre-échange en général en sachant que nous pouvons gagner avec une mobilisation à grande échelle : prenez le TTIP entre les États-Unis et l'UE, par exemple. On pourrait appeler cela la véritable bataille paneuropéenne avec laquelle nous avons assisté à une énorme mobilisation
de tout le continent qui a conduit au rejet de ce type d'accord, sachant que ceux qui allaient payer pour la libéralisation étaient les travailleurs et travailleuses, le résultat étant la perte des services publics.

La même stratégie néolibérale se cache derrière le texte écrit et les valeurs que l'UE a toujours mis en avant. Les clauses relatives aux droits de l'homme et aux droits sociaux, ainsi que les paragraphes incluant la vérification du statut des femmes dans les pays afin de signer les accords (une bataille qui a été menée très fortement au sein du Parlement européen, notamment par les féministes du groupe de gauche) sont, pour la plupart, des principes qui restent lettre morte. La discordance entre proclamations et actes reste évidente.

D’ailleurs, malheureusement, la même tactique s'est répétée pendant la période de la pandémie avec les vaccins : alors que dans les discours officiels, la solidarité et l'aide étaient fondamentales, il n'y a pas eu de véritable coopération au sein de l'UE pour faire face à la crise sanitaire. De plus, alors qu'on débattait sur l’envoie des vaccins aux pays les plus pauvres, les pays les plus riches, y compris l'UE, ont finalement décidé de maintenir les brevets au sein de l'OMC afin de s'asservir aux entreprises pharmaceutiques et de leur permettre de réaliser davantage de profits.

Cependant, Bruxelles reste le principal partenaire économique de l'Afrique et le plus grand fournisseur d'aide au développement et d'investissements directs.

D'où la propension de l'UE à négocier progressivement des accords dans certains secteurs. La migration, par exemple, car l'Europe d'une part considère l'arrivée d'Africains sur son territoire comme une menace potentielle, tandis que les Africains et Africaines de l’autre réclament leur droit à la mobilité et à l'entrée légale dans l'UE. L'externalisation de la gestion des flux migratoires par l'UE est intolérable. La question doit être prise au sérieux, car il est inacceptable de continuer à considérer la Méditerranée comme le cimetière de trop nombreuses
vies de ceux et celles qui ne cherchent qu'une vie meilleure.

Les défis auxquels nos sociétés sont confrontées sont communs et ce type de rencontres est essentiel pour discuter des alternatives que nous devons construire ensemble. Il est de notre devoir de soutenir les luttes qui peuvent faire la différence (femmes, jeunes, paysans, pour n'en citer que quelques-unes) en commençant à se parler réellement afin de renverser ces accords et logiques néolibérales. Nous savons très bien que le capital peut facilement parvenir à des accords, il est donc temps pour nous aussi d'unir nos synergies pour construire une coopération égalitaire à long terme, un partenariat égalitaire fructueux qui favorise la solidarité en son cœur.

Les alternatives restent difficiles dans le capitalisme mais nous devons bloquer de tels traités, et nous le pouvons comme avec le TTIP.
Comme nous l'avons également dit dans les webinaires que nous avons organisés l'année dernière, pour améliorer les conditions de vie, il est nécessaire de repenser une large coopération dont les objectifs contribuent à la souveraineté alimentaire, au renforcement des secteurs industriels et économiques avec une forte protection sociale et à la lutte contre le changement climatique. À cette fin, sur les deux continents, nous devons privilégier le respect de l'environnement dans la production et la distribution, donner la priorité aux énergies renouvelables et éliminer les paradis fiscaux, aussi que l'obligation de déclarer les bénéfices et les impôts pour les multinationales opérant dans les pays ACP.

Ce n'est que dans une société où les valeurs de solidarité, de paix, de préservation de l'environnement et d'égalité prévalent que l'harmonie planétaire sera atteinte.

Il est important que les forces progressistes, environnementales et de gauche, ainsi que les mouvements sociaux et les syndicats, travaillent ensemble pour créer un autre monde, qui est bien sûr possible.