Tunisie : Une situation lourde de menaces pour les acquis de la révolution

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La Tunisie a connu dimanche des manifestations populaires pour protester contre le gouvernement et réclamer la dissolution du Parlement face à la multiplication des crises qui plonge le pays dans le désarroi.

Dans la nuit, avec le soutien de l’armée, le président de la République, Kaïs Saïed, s’appuyant sur le controversé article 80 de la Constitution a limogé le Premier ministre Hichem Mechichi, suspendu l’activité du Parlement pendant 30 jours et levé l’immunité des députés. Dans un même mouvement, de manière inédite, il s’est octroyé la totalité des pouvoirs prenant en charge l’exécutif, dont la justice, en attendant la nomination d’un prochain chef de gouvernement.

Conservateur autoritaire, amené au pouvoir par les islamistes, Kaïs Saïed, qui se pense comme le père et le sauveur de la patrie, prétend ainsi rétablir l’autorité de l’Etat tout en menant le pays dans une crise institutionnelle lourde de conséquences.

Après cette annonce, des affrontements se sont produits devant le Parlement alors que son président, l’islamiste Rached Ghannouchi, se voyait interdire par l’armée l’accès à l’Assemblée. La coalition au pouvoir composée des partis islamistes Ennahdha et Al-Karama mais aussi de Qalb-Tounès a fustigé un « coup d’Etat ».

Le mouvement Courant Démocratique (social-démocrate) a dénoncé dans les mêmes termes ces évènements tout en imputant la responsabilité de la situation aux partis au pouvoir. Seule, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a estimé que la décision du président était conforme à la constitution tout en appelant à la poursuite du processus démocratique.

Depuis les élections de 2019, la crise structurelle qui affecte la Tunisie ne cesse de s’aggraver et les gouvernements islamistes qui se succèdent ont mis le pays à genoux. Les caisses sont vides, la dette atteint 100% du PIB alors que le chômage frappe 3 millions de personnes pour 12 millions d’habitants. Les salaires sont misérables, les classes moyennes s’appauvrissent tandis que des masses de déshérités sombrent. La crise du Covid-19 a exacerbé les tensions saturant les services hospitaliers déjà délabrés par la destruction des services publics. Avec 18 000 morts, la Tunisie a l’un des taux de mortalité les plus élevés du monde. Dans ce contexte, les ressentiments se sont accumulés d’autant que la corruption bat son plein et que la morgue et l’arrogance des classes dominantes ne se démentent pas.

Le Parlement, miné par des conflits, les tensions entre le gouvernement et le président de la République, qui ne cache pas depuis des mois son hostilité à la Constitution, ont paralysé et désorganisé l’action publique. Cela explique en partie les scènes de liesse qui se sont produites dans le pays car la décision de Saïd Kaïes, qui surfe sur les frustrations, est apparue dans un premier temps comme une tentative de donner un nouveau souffle au système après des mois de blocage.

Depuis la révolution et la chute de la dictature sanglante de Z. Ben Ali, qui ont permis de conquérir la liberté d’expression, les attentes de justice et d’égalité demeurent intactes mais sont constamment ajournées par des régressions récurrentes.

Les pays occidentaux et les institutions internationales comme le FMI portent une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation actuelle. Les promesses de soutien après la révolution de 2011 ne se sont jamais concrétisées alors que les accords de libre-échange Tunisie-UE ont fragilisé l’économie. Dernièrement, Paris et les pays de l’UE ont multiplié les pressions sur Tunis pour externaliser la gestion des flux migratoires. Enfin, la guerre en Libye a accentué la déstabilisation ainsi que la menace terroriste.

La Tunisie entre dans l’inconnu. Les acquis de la révolution peuvent être remis en cause et cela constitue un danger pour la seule démocratie issue des « Printemps arabes ». A n’en pas douter, cela entraînera des répercussions sur l’ensemble de la région.

Dans ce contexte, les communistes expriment leur solidarité avec toutes les forces démocratiques tunisiennes. Il n’y a pas d’autres issues que la liberté, le respect du droit et la justice pour faire triompher les idéaux qui ont prévalu pendant la révolution.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient