93 contre Blanquer : l’intelligence découragée en temps de crise ?

Il faut regarder les choses en face et reconnaître non seulement qu’une éducation publique solide est essentielle pour construire une France solidaire et talentueuse, mais aussi que la population ainsi que la grande majorité des enseignant·e·s n’accepteront jamais les coupes punitives et une loi dite de la confiance qui consacre de l’apartheid social.

Il est évident qu’en France l’offre d’enseignement est devenue inégale. Il est question ici de la formation des enseignant·e·s et des ressources mises à la disposition des élèves : pédagogiques, informatiques, sans oublier les activités scolaires et parascolaires comme les voyages à l’étranger qui ont tellement d’importance.

Le ministre n’a pas pris la mesure du contexte prégnant lié à la réforme du baccalauréat qui génère de réelles angoisses des parents qui se trouvent en incapacité d’épauler leur enfant dans des choix d’orientation à 14 ans vers un métier et un avenir dont ils n’ont pas la maîtrise. Avec des options différentes selon les lycées, ils redoutent les jugements et la puissance des orientations recommandées ou forcées.

Alors, pour leurs enfants plus jeunes, vouloir de plus cantonner l’enseignement aux simples fondamentaux pour réduire encore les coûts suscite la colère des parents. Ces derniers ont déjà manifesté samedi et jeudi pour protester contre l’annonce de changer le contenu des enseignements et d’augmenter le nombre d’élèves par classe. Ils construisent de nombreuses actions et débattent en réunion de la loi Blanquer. « Nous avons aussi des cerveaux ! D’un côté la fabrique de basses qualifications pour les familles populaires et primo-arrivantes et, de l’autre, l’élite qui aurait des ouvertures européennes », disent-ils.

Pour accompagner des publics fragilisés de manière plus efficace, les écoles comme les collectivités ont besoin de directeurs·trices qui restent et soient déchargé·e·s. Leur rôle est fondamental dans l’inclusion des familles, dans la lutte contre l’obscurantisme, le sexisme, la transmission des valeurs républicaines, la sécurité, l’évaluation du climat scolaire.

Les familles sont mobilisées, car à La Courneuve, sur les écoles élémentaires et au lycée dès la rentrée 2019/2020, le DASEN (Directeur académique des services de l’Education nationale) a prévu l’abandon du financement des heures d’études du soir dites d’accompagnement éducatif (cela représente 330 000 €, auxquels s’ajouteront le financement des écoles maternelles privées) ; ce dispositif essentiel en réseau prioritaire contribue pourtant à réduire les inégalités depuis plus d’une vingtaine d’années. Après les Nouvelles activités périscolaires, les Toutes Petites Sections, les 52 classes dédoublées, encore une fois ce serait à la collectivité de se débattre seule pour lever les obstacles pour les élèves qui démontrent la moindre difficulté d’apprentissage.

La plainte pour discrimination territoriale portée par Gilles Poux et soutenue par la Halde avait révélé, il y a 10 ans, les inégalités, notamment en matière d’éducation, par comparaison avec la ville de Paris.* La Seine-Saint-Denis n’est malheureusement pas une exception. Il faut un plan de rattrapage pour consolider les développements sur le long terme afin de mesurer l’impact social généré. Faire de toute urgence les investissements requis pour que toutes les écoles aient des installations équivalentes et des ressources matérielles suffisantes, favoriser la stabilité des équipes-écoles. Des ambitions pour sortir de l’école défavorisée et réduire les inégalités dès la petite enfance.

Il est de la responsabilité de chacun de réagir et, au Sénat, plutôt que de débattre des symboles comme les drapeaux, d’exiger une école ambitieuse où la culture, la science, l’environnement, le sport guident tous les apprentissages. L’accès démocratique à un enseignement de qualité est un bien collectif à promouvoir. En opposition avec la loi Blanquer, il est effectivement temps de faire de la justice sociale à l’école un enjeu explicite.

Muriel Tendron-Fayt

adjointe au maire de La Courneuve, aux Droits de l’Enfant, réussite éducative et au développement du service public et au personnel communal

 

* Ces inégalités territoriales saisissantes, un rapport parlementaire cosigné des députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM) les pointait à nouveau du doigt en mai dernier. Après analyse de trois missions régaliennes – éducation, police, justice –, le texte intitulé “La République en échec” concluait à des « défaillances » dans l’action de l’État en Seine-Saint-Denis, réclamant à la fois des moyens et une vision plus globale et ambitieuse dans chacun de ces trois domaines.