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Le retrait précipité des États-Unis, les scènes tragiques de l’aéroport de Kaboul, les appels au secours d’une partie de la population afghane ont constitué une onde de choc. De toute évidence, le régime en place discrédité et les humiliations récurrentes infligées par les gouvernements occidentaux ont conduit à un retour au pouvoir de l’obscurantisme taliban.

Quelques repères

Si l’Afghanistan est un pays composé d’ethnies diverses : Pashtouns (38%), Tadjiks (25%), Hazaras (19%) et Ouzbeks (6%), il ne se réduit pas à cette mosaïque. Depuis longtemps, il existe un fort sentiment d’appartenance nationale. En rompant avec la Perse au milieu du XVIIIe siècle, la dynastie Durrani a unifié le pays et a proclamé l’indépendance. Ce nouveau pouvoir monarchique s’organise de manière collégiale traduisant tout à la fois un désir d’État mais aussi une volonté de le tenir à distance.

Au cours du XIXe et au début du XXe siècle, les Anglais firent l’amère expérience de l’attachement des Afghans à l’indépendance. Les deux premières guerres anglo-afghanes (1842 et 1881), censées prévenir l’avancée tsariste en Asie, se soldèrent par de cuisantes défaites. Dans la troisième (1919), Londres dût faire face au développement du mouvement nationaliste et anticolonial aboutissant à l’indépendance du pays.
Au début du XXe siècle, le roi Amnullah (1919-1929) engage un processus de modernisation sur le registre occidental et le pays connaît une relative période de paix en dépit de putschs réguliers. En 1973, Mohammad Daoud Khan, à la suite d’un coup d’État, abolit la monarchie et proclame la République.

La période communiste

En 1978, le Parti démocratique populaire d’Afghanistan s’empare du pouvoir, sans l’aval des Soviétiques, sous la conduite de Mohammad Taraki.

Les communistes, porteurs de modernité tentent d’éradiquer les pratiques féodales. Ils abolissent les dettes paysannes et mettent en œuvre une réforme agraire. Ils proclament l’égalité des sexes, interdisent la dot et les mariages forcés, rendent obligatoire la scolarisation des filles et favorisent la promotion professionnelle des femmes. Les milieux aisés progressistes urbains accueillent favorablement ces réformes. Mais la tentative d’imposer un pouvoir fort du haut vers le bas, du centre vers la périphérie, suscite des résistances dans les zones rurales où les mollahs exercent une forte influence et impulsent une opposition armée.

Pour y faire face, le président Babrak Karmal, plus tard remplacé par Mohammad Najibullah au terme de dissensions internes, fit appel, en vertu d’un accord militaire, aux troupes soviétiques qui entrèrent dans le pays en décembre 1979.

Ce conflit s’inscrivait dans le contexte de la guerre froide. L’objectif des États-Unis était d’affaiblir l’URSS et de saboter toutes les tentatives de l’ONU pour trouver une issue pacifique fondée notamment sur le retrait de l’Armée rouge.

Financés par les États-Unis, les pays du Golfe et le Pakistan, les moudjahidines, à l’origine fractionnés, s’unifièrent et devinrent une force islamiste considérable au sein de laquelle les courants les plus extrémistes se renforcèrent. Ainsi se forma une génération de seigneurs de guerre et de combattants afghans et arabes.

Pour R. Reagan et les occidentaux, ils étaient les « combattants de la liberté » parés de toutes les vertus.

Au printemps 1988, M. Gorbatchev annonçait le retrait unilatéral des troupes soviétiques.

Mohammad Najibullah tenta de consolider le régime après le retrait des soviétiques en lançant une politique de réconciliation nationale. Le régime survécut encore pendant trois ans et il fallut la décision de l’URSS de ne plus livrer d’armes et la défection du général ouzbek Abdul Rachid Dostom pour le renverser en 1992. Réfugié pendant quatre ans dans les bâtiments de l’ONU, M. Najibullah fut assassiné dans des conditions atroces par les Talibans en 1996.

Au moment où les moudjahidines islamistes, sous la direction d’Ahmed Chah Massoud, s’installent à Kaboul et appliquent la charia, les occidentaux jubilent. Rapidement, l’Afghanistan n’est plus une priorité et le sort des femmes afghanes est vite oublié. Pour autant les affrontements ne cessent pas. Les différents groupes islamistes instaurent un niveau de violence sans précédent permettant aux Talibans de prendre le dessus et de conquérir Kaboul en 1996 avec l’appui massif du Pakistan, d’Oussama Ben Laden et de l’Arabie Saoudite.

Cette guerre civile aura meurtri le peuple afghan et aura permis la montée en puissance des Talibans.

Qui sont les Talibans ?

Cette organisation a été créée par les mollahs Mohammad Omar et Abdul Ghani Baradar en 1994 à Kandahâr. Issu de la base de la société, il s’enracine dans les zones rurales pashtouns. Certains de leurs membres viennent de madrasas du Pakistan voisin, dont celle d’Haqqaniyya, et sont épaulés par les services secrets et l’armée d’Islamabad.

Les Talibans se décrivent comme Afghans et « résistants ». Ils veulent imposer un émirat islamique reposant sur la charia, un gouvernement théocratique et rétablir la centralité de l’État. Cela explique leur succès auprès de la population lassée par la corruption et l’inefficacité des régimes successifs.

En vingt ans les Talibans ont connu des évolutions internes. La disparition du mollah Omar a produit un changement de structure interne de l’organisation qui est devenue plus collective. Ils n’ont jamais caché leur goût pour la formation d’un conseil religieux à l’iranienne qui aurait autorité sur les ministres et validerait les décisions selon leur conformité avec la charia. Les élections, comme principe de légitimation, ne sont plus exclues mais avec un contrôle des candidatures à l’iranienne.

Fondamentalistes, ils sont hostiles au travail des femmes et menacent la communauté chiite.

Les relations avec Al-Qaïda demeurent fortes mais ils s’opposent à leur expansionnisme international.

Ils se financent sur des taxes issues des activités économiques, y compris le trafic de drogue. Ils disposent de filières de financement en provenance du Pakistan et des pays du Golfe. Leurs armes ont été prélevées sur le stock de l’armée régulière.

La terreur talibane

Lorsque les Talibans entrent dans Kaboul en 1996, les sentiments dans la population sont ambivalents. Chez certains le soulagement de voir la fin de la guerre fratricide entre les anciens combattants du djihad l’emporte. D’autres redoutent l’établissement d’une théocratie de la terreur. Celle-ci ne tarde pas à se mettre en place puisque les nouveaux maîtres édictent leurs règles : interdiction pour les femmes de travailler et d’étudier tandis que le port de la burqa devient impératif. Dans le même registre, il devient prohibé de regarder des films, de jouer aux échecs ou d’écouter de la musique. Toute expression de la moindre contestation conduit à la mort. Les exécutions sommaires et les lapidations deviennent la règle.

A cette époque, les États-Unis s’accommodaient du régime islamique ce qui conduisait Madeleine Albright à déclarer que l’arrivée au pouvoir des Talibans était « un pas positif ».

Les attentats de 2001 et la guerre américaine

Les djihadistes ne tardèrent pas à se retourner contre les États-Unis. Les attentats du 11 septembre marquent un tournant provoquant leur entrée en guerre contre ce pays qui protégeait Oussama Ben Laden et son organisation.

Washington se lance alors dans une nouvelle croisade, une opération de vengeance, en envahissant le pays. Ils théorisent ce qui leur apparaît comme une ligne stratégique : la « lutte contre le terrorisme ». Or le terrorisme n’est pas un ennemi mais une forme d’action. Cela n’a pas empêché la France, droite et socialistes confondus, ainsi que les pays occidentaux de participer à cette entreprise.

Les États-Unis installent une République islamique avec de nouveaux dirigeants, d’Hamid Karzaï (2001-2014) à Ashraf Ghani (2019-2021), qui se voulaient plus modernes. Cependantils sont tous corrompus, élus frauduleusement et incarnent la domination étrangère. Cela la résurgence des oppositions d’autant que les promesses d’instaurer la démocratie, ainsi que les concepts fumeux de « State building » ou de « Nation building », restent lettre morte. De surcroît, l’aide étrangère a favorisé les dynamiques d’ethnicisation et de confessionnalisme, a alimenté la corruption tandis que le taux de pauvreté n’a jamais cessé d’augmenter.
Comme les Soviétiques, en dépit de la présence de 150 000 soldats, les États-Unis s’enlisent dans un conflit sans fin et sans espoir, frappant durement la population civile.
Vers le retour des Talibans

Vaincus, les Talibans n’ont jamais disparu. La solidarité du groupe a permis la continuation du mouvement même après la défaite de 2001. Ils ont déployé dans le pays, avec les différentes ethnies, une stratégie de négociations et de compromis, ils ont établi des juridictions jugées impartiales par les populations rurales, expliquant leurs succès dans le nord. Si bien qu’une grande partie des combattants sont désormais des Tadjiks et des Ouzbeks. En dehors des chiites hazaras, ils sont représentés dans tous les groupes sociaux et ont une assise nationale à la différence des partis légaux qui sont régionalisés et ethnicisés.

Dans la continuité du processus de retrait militaire qui débute avec B. Obama, D. Trump s’est empressé de débuter des négociations tout en n’hypothéquant pas les intérêts américains sur le long terme. Pour ces raisons, il fait notamment libérer de prison les principaux dirigeants talibans tout en les radiant des listes des organisations terroristes.

Les accords de paix signés à Doha le 29 février 2020 entre les seuls États-Unis et les Talibans stipulent que ces derniers s’engagent à interdire l’accès de leur territoire à tous groupes terroristes et à tous mouvements constituant une menace pour l’Occident. En échange du retrait de toutes les troupes étrangères, les Talibans promettent d’empêcher l’utilisation du sol afghan contre les États-Unis et leurs alliés et de s’engager dans des négociations de paix inter-afghanes.

Mais les discussions entre les Talibans et le gouvernement afghan ont tourné court et dès le retrait américain, la guérilla a poursuivi son offensive et a gagné rapidement du terrain pour finir par s’imposer lors de la chute de Kaboul le 15 août.

Le peuple afghan a été le grand oublié des accords de Doha. Les Américains ne pensaient qu’à partir et les Talibans piaffaient d’impatience de revenir faisant des déclarations vagues pour donner des gages à l’Occident et mettre en scène leur capacité à gouverner.

L’effondrement rapide de l’armée afghane bâtie par les Américains et entraînée par l’OTAN a stupéfait les opinions publiques. Composée de 300 000 soldats non professionnels surtout préoccupés de percevoir une solde pour nourrir leur famille, ils n’étaient pas disposés à donner leur vie pour un état-major et un gouvernement corrompus. Les généraux percevaient les salaires de régiments fictifs acquittés par Washington.

Le retrait a commencé le 1er mai 2021. Dans un premier temps, la situation était relativement stable entre les zones tenues par le gouvernement et celles contrôlées par les Talibans. Une évolution rapide s’est produite au début de l’été et en dix jours l’armée afghane s’est brisée.

Même si la population du pays n’a pas pris massivement la route de l’exil vers les frontières voisines, des milliers d’Afghans se sont rués à l’aéroport en quête d’asile. En dépit d’évacuations, les Américains et les pays européens ont abandonné une partie de leurs collaborateurs, parfois dans la violence. La France a mis un terme le 27 août au pont aérien établi évacuant 3000 personnes dont 2600 Afghans. Des contacts demeurent pour poursuivre les évacuations après cette date même si les Talibans ont déclaré que toutes les forces étrangères devraient avoir quitté le pays le 31 août.

La défaite américaine signe avant tout le fiasco d’une guerre ingagnable mais qui a constamment renforcé ceux que les Américains prétendaient combattre.

Les Talibans aux commandes

La population est en pleine sidération. Elle se sent abandonnée, trahie, délaissée mais elle éprouve un insatiable appétit de paix, de prospérité économique et exprime la volonté de voir se reconstruire l’État.

Des formes de protestation, minoritaires, s’expriment. La colère gronde dans les villes où les banques sont fermées et où l’économie est à l’arrêt. A Kaboul et dans de nombreuses villes des militantes féministes ont manifesté suscitant des réactions violentes des Talibans qui méthodiquement installent la terreur avec notamment la circulation de « murder lists ».

Les Talibans croyaient inspirer la confiance mais ils doivent faire face à l’image déplorable de milliers de leurs concitoyens fuyant le pays. Pour effacer cet effet désastreux, surmonter les contraintes nouvelles et soucieux de donner des gages de responsabilité, ils promettent un gouvernement inclusif avec les principales forces ethniques et politiques que le chef suprême des Talibans le mollah Haibatullah Akhundzada doit valider.

Des personnalités sont appelées à jouer un rôle de premier plan notamment le co-fondateur du mouvement, le mollah Abdul Ghani Baradar, signataire des accords de Doha et partisan d’une large ouverture. Il aura à ses côtés le clan des Haqqani proche du Pakistan et lié aux milieux d’affaires.

Des lignes de fractures existent entre les Talibans restés au Pakistan pendant les années de guerre, ceux qui ont combattu dans le pays et ceux issus des grandes madrasas pakistanaises. Au cours des négociations de Doha des tensions internes sont apparues.

Les Talibans sont aux commandes du pays et doivent désormais faire face à de nombreux problèmes les plaçant dans une situation de faiblesse :

Ils ont construit leur retour sur la promesse de reconstruire des services publics, l’État, de structurer et d’incarner une nouvelle forme de gouvernance. La remise en route de l’administration est une priorité ce qui explique l’amnistie des fonctionnaires.

Or le pays risque de se disloquer en raison de l’absence de liquidités. Les caisses sont vides et les États-Unis continuent de geler les fonds de la Banque Centrale. La situation économique est cataclysmique, accentuée par une sécheresse historique et la crise du Covid-19 faisant craindre le retour de la famine et rendant absolument nécessaire l’aide alimentaire et sanitaire.

Or rien n’est possible sans reconnaissance internationale. Les pays occidentaux finançaient déjà 75% du budget du pays tandis que la Banque Mondiale et le FMI viennent de bloquer l’ensemble de leurs fonds.

Les Talibans vont, d’autre part, être confrontés à la violence qui a repris avec les attaques de l’État Islamique.

Un nouveau sanctuaire terroriste

La résurgence d’un sanctuaire mondial du terrorisme est dans tous les esprits avec la présence d’Al Qaïda et de l’État islamique.

Idéologiquement, Daesh obéit à d’autres logiques que les Talibans. Localisés dans le nord-est du pays, ce sont des individus en rupture avec les maîtres de Kaboul et se définissent comme djihadistes. Cette branche de Daesh a été fondée en janvier 2015 pour prendre le nom de l’État Islamique au Khorassan (EIK). En son sein, on trouve aussi des militants venus d’Irak et de Syrie, des Talibans pakistanais chassés des zones tribales par l’armée d’Islamabad, des combattants ouïghours, d’Ouzbekistan, du Pakistan, du Tadjikistan, des Maldives, du Canada voire de France.

Ils sont actifs depuis quelques années puisqu’ils ont commis des attentats en 2018 et 2019 notamment contre les chiites de la minorité Hazara. L’opération menée le 26 août est l’opération la plus meurtrière contre l’armée américaine.

Les craintes sont grandes de voir les Talibans dépassés par des groupes islamiques plus radicaux.

De fortes répercussions régionales

Les Talibans ont établi des relations suivies avec la Chine, la Russie et l’Iran. Imaginer que la Chine et la Russie vont s’empresser de prendre la place des occidentaux dans ce pays qui a si efficacement fait preuve de sa résistance à l’occupant serait sous-estimer leur sagesse.

La Russie a établi avec les Talibans des contacts depuis plusieurs années mais la coopération reste prudente. Le Kremlin considère toujours les Talibans comme une organisation terroriste. Quatre sujets préoccupent la Russie : la sécurité de leurs intérêts en Afghanistan, le trafic d’héroïne, les menaces de l’État islamique et la stabilité de l’Asie centrale. Il y a une crainte de contagion en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kazakhstan même si ces régimes sont solides. L’objectif est de tenir à distance l’instabilité afghane.

La Chine n’a aucune affinité avec l’idéologie des Talibans et avance aussi prudemment. Elle veut encourager les Talibans à adopter une politique religieuse modérée et à combattre le terrorisme. Pékin craint l’instabilité dans la région et l’afflux de combattants ouïghours dans le Xinjiang.

En Iran, l’opération de légitimation des Talibans a aussi commencé. Si Téhéran se réjouit surtout du départ des Américains lui permettant de briser son isolement, il est trop tôt cependant pour présager de ce que pourront être les futures relations. Des craintes existent en raison des tensions passées avec les Talibans et de voir les Baloutches sunnites iraniens se lever contre le pouvoir central. Par ailleurs, Téhéran surveille de près les activités de Daesh.

L’Irak, affaiblie par des années de guerre présente des similitudes avec l’Afghanistan : pratiques clientélistes, corruption, faiblesse de l’État et de ses forces de sécurité. La crainte d’un scénario analogue s’exprime ouvertement en dépit des déclarations américaines rappelant sa volonté de garder une présence dans le pays. A cela s’ajoute la crainte d’une résurgence de l’État Islamique qui n’a jamais disparu du pays. E. Macron a participé à un forum de dialogue avec les pays de la région auquel assistaient aussi l’Arabie Saoudite et l’Iran. A l’occasion d’une rencontre avec le Premier ministre irakien Mustafa al-Khadimi, il a confirmé le maintien de ses forces armées (800 hommes).

L’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, qui avaient soutenu et reconnu en 1996 les Talibans, ont une attitude plus réservée même si les contacts demeurent et que le pragmatisme l’emportera. La proximité du Qatar avec le régime de Kaboul constitue pour eux un revers. Dans le sillage des printemps arabes, les monarchies du Golfe se sont lancées dans une guerre contre l’Islam politique, notamment lié aux Frères musulmans. La chute de Kaboul les a confortés dans l’idée que les États-Unis n’assureront pas indéfiniment leur rôle de protecteur du Moyen-Orient et de ce fait entendent poursuivre leur diversification d’alliances.
Finalement ce n’est pas sans appréhension que ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran, ni l’Irak, ni les pays du Golfe ne voient les Talibans s’installer.

Quant à la Turquie de R.T. Erdogan, elle courtise les Talibans afin d’accroître son influence en Asie centrale et endiguer l’arrivée de nouveaux migrants.

Les répercussions de ce séisme

L’humiliation infligée à la plus grande puissance mondiale soulève de nombreuses questions notamment sur son rôle dans le monde. Elle interroge aussi ses alliés qui suivent inconditionnellement ses orientations.

La guerre contre le terrorisme qui a tout de même mobilisé une quarantaine de pays se termine par un fiasco généralisé. Les Américains ont achevé la destruction du pays déjà bien entamé par les troupes soviétiques. Deux mille milliards de dollars dépensés et dilapidés. Sur le plan humain, le conflit aura coûté la vie à 47 000 civils et 70 000 militaires ou policiers tandis que les occidentaux perdaient 4000 hommes. A cela s’ajoute les dizaines de milliers de victimes, de déplacés et les innombrables crimes de guerre et contre l’humanité.

Ces guerres américaines auront contribué à multiplier partout en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient les foyers terroristes. Que ce soit en Afghanistan, en Irak et même au Sahel, la focalisation sur le danger islamiste occulte les conditions locales, la misère sociale, la corruption des pouvoirs locaux, l’hostilité aux occidentaux à la tête de mission quasi-coloniale et signe une stratégie vouée à l’échec. Il s’avère impossible d’imposer un ordre politique à un pays de l’extérieur. La décision des États-Unis de vouloir apporter leur ordre en Irak ou en Afghanistan dans leurs bombardiers constitue une catastrophe qui modifie les équations régionales et affaiblit les pays occidentaux. Il est urgent que la France en tire toutes les conséquences pour le Sahel, même si le contexte est différent.

Le désengagement du Moyen-Orient marque la fin d’un cycle de guerres américaines ouvertes après les attentats du 11 septembre. Cela sonne comme un avertissement notamment pour les européens qui n’envisagent pas d’autres alternatives que de se situer dans le sillage inconditionnel de Washington. Cela ne signifie pas le retrait des Américains des affaires du monde désormais focalisés sur un affrontement avec la Chine.

Et maintenant…

L’idée de faire plier l’Afghanistan en l’isolant est dangereuse et inefficace. Toute opération guerrière ou l’appui à une résistance militaire serait une impasse désastreuse. Alors, que faire pour que la solidarité internationaliste avec le peuple et les forces progressistes afghanes soit utile dans cette période dramatique ?

Pour cela, il faut tenir compte de la situation nouvelle de faiblesse des Talibans au pouvoir, des conséquences dramatiques que leur politique engendrera en termes de droits humains, de terrorisme et de trafics en tout genre et de notre capacité à pouvoir peser dans le cadre de marges de manœuvre étroites.

Si nous n’accordons aucun crédit aux déclarations des Talibans, Paris doit garder des contacts avec toutes les parties et de ce fait entrer en négociation avec elles sur des objectifs précis afin d’influencer des pratiques immédiates du pouvoir et sans aucune garantie de succès. L’Afghanistan doit impérativement sortir de la situation de misère et de guerre. Personne n’a intérêt au chaos. La Chine, La Russie, l’Iran, le Pakistan, les États du Golfe sont à la manœuvre. Il n’y a aucune raison de les laisser seuls se déployer même si nous ne sommes pas les mieux placés.

Dans cet esprit, l’ambassade de France devrait rester ouverte pour continuer à négocier le départ de ceux qui ont collaboré avec nous et de militants des droits humains. Toute aide internationale doit être conditionnée au respect de la liberté d’expression, des droits humains et plus particulièrement de ceux des femmes. Une coordination est possible, et elle a déjà commencé avec les Américains, sur le partage de renseignements sur l’État Islamique même si les Talibans protègent Al Qaïda.

Ces discussions n’impliquent aucunement la moindre reconnaissance préalable.

Dans ce contexte dramatique, l’accueil, la solidarité avec le peuple et les forces démocratiques afghanes constituent une priorité. Les communistes sont pleinement engagés dans ce combat.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient