Afghanistan, Sahel, l'impasse de la "guerre contre le terrorisme"

visuel_afghanistan-us.jpg

Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Alors que le désastre de la politique américaine en Afghanistan apparait aux yeux du monde entier, des voix malines en profitent pour tenter d’étouffer tout débat et rendre indiscutable la présence militaire de la France au Sahel : « voyez ce qu’il se passerait si l’armée française n’était pas là ou si elle se retirait »…

Ce piège est à déjouer pour remettre les choses à l’endroit.

Qui réclame en effet un retrait de l’armée française sur le modèle de la démarche américaine ? Après avoir broyé le pays et nourrit par centaines de milliards de dollars le complexe militaro-industriel, celle-ci consiste à dealer la défense de ses propres intérêts quitte à sacrifier une fois de plus le peuple afghan et à laisser un cadeau empoisonné aux pays voisins. Les Afghans sont donnés en pâture aux obscures et dangereux talibans, qui rappelons-le ne seraient rien sans les apprentis sorciers US. Un soutien à l’époque, parmi la galaxie islamiste, à une secte pachtoune microscopique qui présentait un double avantage : servir les intérêts américains dans la guerre avec l'URSS et enfermer le peuple afghan dans une impasse pour perpétuer les dominations.

C’est au contraire afin d’éviter cette pente dangereuse et sortir de l’engrenage que des voix de la raison, dont celles des communistes français, appellent à changer de politique en Afrique et à créer les conditions du départ des troupes françaises au Mali.

Rappelons que ces voix de la raison n’ont pas attendu ce mois d’août 2021 et l’arrivée organisée des Talibans à Kaboul pour s’inquiéter et exiger de changer de paradigme. Elles s’exprimaient déjà il y a 20 ans lorsque W. Bush lançait ses troupes sur l’Afghanistan. La guerre n’est pas la solution, l’impasse est au bout du canon. Nous y sommes. Le scénario s’est répété en Irak en 2003, en Libye en 2011, en Syrie, au Yémen et ainsi de suite.

Le Sahel aujourd’hui est dans le bourbier. Disons-le clairement, l’État français se fait passer pour pompier. Il a pourtant mené des politiques pendant des décennies qui ont alimenté l’incendie. Faut-il continuer ainsi?

L’heure n’est-elle pas venue de tirer les enseignements des échecs qui ont eu lieu partout où le dangereux concept de « guerre contre le terrorisme » a été appliqué ? Plus largement n’est-il pas temps de tourner la page des interventions militaires des grandes puissances dans des pays africains pourtant indépendants ? L’opération Barkhane a constitué la 42e en la matière rien qu’en ce qui concerne la France. Huit ans après le début de l’expédition militaire au Mali, aucune des causes qui ont amené au chaos n’a été traité. Au Burkina Faso, la paix et la sécurité ont été mises à mal à la fois par le règne de Blaise Compaoré, pièce maitresse de la Françafrique, et par les conséquences de la guerre contre la Libye avec la déstabilisation du Sahel. Il y a encore quelques jours une horde de plusieurs centaines d’hommes armés, tantôt bandits tantôt djihadistes, jeunes pour la plupart, ont déferlé sur des 2 roues, pour s’attaquer à un convoi de véhicules civils sur la route de Dori, provoquant la mort de 85 personnes. Ne voit-on pas que cette violence se nourrit de la déstructuration des sociétés, d’un trop plein d’inégalités, de l’abandon des services publics de base, des trafics et de la gangrène de la corruption distillée comme un poison. Des jeunes sans perspective tombent dans le piège de l’obscurantisme, celui de l’extrême droite religieuse soutenue et financée depuis les pays du golfe. C’est sur ce terreau que recrutent les entrepreneurs de violence.

Face au chaos libéral, il n’y aura pas d’issue au Sahel sans redonner des perspectives, sans sécuriser la vie à tous les niveaux. Il faut permettre aux Maliens de décider, de reconstruire l’État, des services publics, avec des solutions africaines. La réappropriation des richesses du sol et du sous-sol dans toute la sous-région, la lutte contre les flux financiers illicites peuvent permettre le développement d’industries locales, de systèmes d’éducation, de santé avec une protection sociale solidaire. Les propositions ne manquent pas. Encore faut-il les encourager, ou tout au moins ne pas les empêcher.

Quant aux enjeux militaires, les récentes annonces de la transformation de la force Barkhane visent à répondre à la montée d’un sentiment anti-gouvernement français au Sahel, à se faire plus discrets, à réduire la voilure et partager les coûts avec d’éventuels partenaires européens, pour dégager des moyens d’intervenir dans d’autres régions d’Afrique ou de méditerranée. Cette reconfiguration poursuit des objectifs de politique intérieure, car les Français doutent du bien-fondé de la présence au Sahel. Elle témoigne aussi d‘un certain tâtonnement de la part de celui qui décide, seul, le président de la République, avec un cercle très restreint.

Le drame passé et présent de l’Afghanistan devrait pourtant inciter à prendre le contre-pied de la politique qui a conduit au bourbier, et à comprendre que l’obnubilation de la prétendue défense de « nos intérêts » qui se révèlent être surtout ceux des multinationales (conquête de marchés, contrôle de matières premières, ventes d’armes, etc.) assise sur le triptyque de la domination miliaire, politique et économique, conditionne cette impasse. Il faut en sortir et nos peuples ici et là-bas auraient tout à y gagner.

Notre appui militaire devrait être recentré sur le soutien aux armées locales, en retenant la formule d’un comité d’état-major conjoint des forces africaines qui exclue les puissances étrangères au continent. Il faudrait donc mettre en place un agenda précis du départ de nos troupes jalonné de mesures permettant à l’État malien de recouvrer l’intégralité de la souveraineté sur son territoire et aux populations d’améliorer leurs conditions de vie.

Dominique Josse,
responsable du collectif Afrique du PCF