Algérie: Le peuple inflige un revers cinglant au pouvoir sur la réforme constitutionnelle

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Après treize mois d’un mouvement populaire sans précédent, que seule la Covid-19 a momentanément interrompu, le pouvoir algérien, conspué et rejeté, court toujours après la conquête d’une nouvelle légitimité. La dernière élection présidentielle, qui a vu l’élection d’un homme du sérail, Abdelmadjid Tebboune, s’apparentait déjà à un passage en force pour celui qui demeure le chef de l’État le plus mal élu de l’histoire algérienne.

Ce scrutin, destiné à adopter une nouvelle constitution, organisé à la date symbolique du 1er novembre, était censé parachever la satisfaction des revendications exprimées par le Hirak. Replâtrage de constitutions antérieures, ne touchant en rien à l’architecture autoritaire du régime et aux prérogatives exorbitantes du président, cette réforme entérine la confiscation du pouvoir dans les mains d’une minorité corrompue qui a mis le pays en coupe réglée depuis l’indépendance. Les dirigeants se sont targués d’un «changement radical de gouvernance» avec la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels ainsi que l’élargissement du champ des libertés publiques(liberté d’association, de réunion ou de manifestation). Mais que valent ces promesses lorsque les libertés sont systématiquement violées en dépit de leur inscription dans les textes fondamentaux. Quant à l’armée, véritable colonne vertébrale du régime, elle voit son rôle consacré avec désormais l’autorisation d’intervenir au-delà des frontières.

Impatient de reprendre la main, de reconfigurer le champ politique et de briser toutes résurgences du Hirak,le pouvoir a profité de la pandémie pour interdire et réprimer toutes les voix discordantes, bloquer les sites d’informations critiques, sur fond de situation économique, sociale et sanitaire inquiétante. Plus de 80 animateurs du Hirak, journalistes, bloggeurs, militants… croupissent en prison dans l’attente d’un jugement ou sont déjà lourdement condamnés comme Khaled Drareni. Durant la campagne, verrouillée politiquement et médiatiquement, seuls les partisans du OUI ont pu s’exprimer comme si le Hirak n’avait jamais existé.

Les militants du Hirak, autour de la Plateforme d’Alternative Démocratique (PAD) ou de l’Appel du 22 octobre notamment, ont dénoncé cette mascarade qui n’offre aucune garantie politique, constitutionnelle et juridique sur lesquelles les algériens pourraient s’appuyer pour exercer et défendre leurs droits ou leurs revendications qui ne sont en rien satisfaites. Le peuple algérien est descendu dans la rue pour demander un changement de système, pour aller vers la démocratie, la liberté dans la perspective d’une assemblée constituante souveraine.Pour ces raisons, ces formations et mouvements ont appelé au boycott de cette tartuferie.

Quant aux islamistes, ils ont participé activement à la campagne en appelant à voter NON. Ils ont estimé que la constitutionnalisation du tamazigh comme langue nationale (déjà actée dans la constitution précédente) porterait atteinte à l’identité arabo-islamique du pays.Cette mobilisation n’est pas sans plaire aux dirigeants actuels qui y ont vu un moyen de doper la participation. Cependant la montée au créneau des islamistes sur la question berbère à côté d’un courant anti Hirak nationaliste et conservateur risque de peser dans le paysage post référendaire.

Alors que l’indifférence, la défiance et la colère populaires étaient immenses, la participation constituait le seul enjeu réel. Les résultats sont sans appel. Avec une participation de 23,7%, les algériens ont massivement boycotté le scrutin. Même si le OUI recueille 66,8%, il s’agit d’un revers cinglant pour les dirigeants actuels. De toute évidence, le pouvoir qui espérait neutraliser le Hirak n’en a pas fini avec lui et notamment avec sa jeunesse émergente.

Cette consultation devrait être suivie de nouvelles élections législatives et locales.Jusqu’à présent, la radicalité du Hirak s’exprimait par ses revendications mais aussi par son refus de principe de s’organiser sur un mode classique. Instruits des répressions successives, ils se sont auto-empêchés dans la représentation. Cette culture a exalté l’horizontalité au détriment de la verticalité. Mais privé de figure, le Hirak n’a pas pu discuter avec le pouvoir au moment où celui-ci était en position de faiblesse. Les tentatives pour combler cette faille se multiplient et pourraient bien marquer un tournant décisif.

Pascal TORRE
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient