Après la crise sanitaire : Comment éviter une explosion de la pauvreté ?

La crise sanitaire agit comme un révélateur de l’aggravation des inégalités et de la paupérisation de toute une partie de la population. Aux personnes à la rue, victimes de la fermeture des accueils de jour et des centres de distribution alimentaire à la mi-mars, s’est ajoutée une inquiétante paupérisation des ménages dans les quartiers populaires.

L’explosion de la demande d’aide alimentaire de ces familles subissant la fermeture des cantines et une baisse des revenus d’activité souvent liée à des fins de contrats précaires ou d’activités informelles est le révélateur d’une crise sociale profonde. L’allongement des files d’attente aux distributions alimentaires dans le nord-est de Paris, à Marseille ou en Seine-Saint-Denis, avec l’émergence de nouveaux demandeurs (familles monoparentales, étudiants, classe moyenne paupérisée) est d’une violence inouïe. Comme les appels au 115 de personnes en situation de faim. Pour éviter une crise humanitaire, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures : la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet, le versement d’aides financières ponctuelles aux familles et à certains jeunes, la mobilisation de 20 000 places d’accueil pour les sans-abri ou encore le renforcement du soutien aux associations d’aide alimentaire. Des décisions nécessaires face au risque de malnutrition et d’explosion sociale dans les quartiers. Mais ces mesures ponctuelles suffiront-elles à éviter une catastrophe sociale dans les mois à venir ?

L’effondrement des ressources pour des millions de citoyens laisse également craindre des difficultés à payer les loyers et charges dans le parc social, et encore davantage dans le parc privé. Conscients des risques d’impayés, de nombreux bailleurs sociaux s’organisent pour échelonner les paiements et accompagner les ménages en difficulté. Mais dans le parc privé, où ces ménages ont souvent des taux d’effort à 50 %, les fonds de solidarité logement gérés par les départements ne sont pas assez réactifs pour les protéger de l’endettement locatif et d’une expulsion, une fois la trêve levée.

La gravité de la situation exige une prise de conscience, au sommet de l’État, de la nécessité d’un plan de relance pour les plus précaires. Il faut rapidement augmenter les minima sociaux, en particulier le RSA dont le montant est gelé depuis 2017 (hors inflation) alors qu’il avait augmenté de 10 % sur le précédent quinquennat. Il faut également l’ouvrir aux 18-25 ans qui ne bénéficient pas de la solidarité familiale et qui sont les premières victimes des fins de contrats précaires. L’ampleur du mal-logement nécessite également un plan d’investissement massif en faveur de l’hébergement et du logement très social, avec en priorité le doublement de la production de logements PLAI (soit 60 000 par an) et la mobilisation du parc privé vacant en faveur des plus modestes. L’urgence est aussi d’empêcher les expulsions locatives sans relogement. Au-delà de la nécessaire prolongation de la trêve hivernale sur toute l’année 2020, l’État doit aider les ménages à bas revenu à se maintenir dans leur logement en revalorisant significativement les APL (annulation des coupes budgétaires) et en créant un fonds d’aide au paiement des loyers doté de 200 millions d’€ sur l’année 2020, évitant aux plus pauvres de s’enfoncer dans la dette.

Ce plan de relance doit aussi être l’occasion de sortir de la pauvreté des centaines de milliers de personnes sans titre de séjour ou en situation administrative précaire. Il faut régulariser ces ménages en leur accordant un titre de séjour stable leur permettant d’accéder à l’emploi et au logement.

Enfin, face à l’augmentation du chômage de masse, il faut annuler la réforme de l’indemnisation et mobiliser massivement - et très rapidement - l’emploi solidaire par un plan de soutien à l’insertion par l’activité économie (IAE) ciblé sur les quartiers et territoires les plus touchés par la crise. Concrètement les associations proposent le triplement des postes de salariés dans les chantiers et entreprises d’insertion ainsi que la relance d’un programme de contrats aidés en soutien à l’activité des moins qualifiés. L’économie sociale et solidaire crée des biens communs, des activités et services qui profitent à l’ensemble de la population, dans un cadre non lucratif et non concurrentiel : elle est une solution d’avenir pour redonner des perspectives d’émancipation aux populations qui subissent la violence de la crise dans leur quotidien.µ

 

Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (1).

 

1. La Fédération des acteurs de la solidarité regroupe 870 associations et organismes de lutte contre l’exclusion agissant pour l’accès au logement, à l’emploi et à l’asile des personnes en situation de précarité.