Webinaire "Célébration du 150e anniversaire de la Commune de Paris" du CPB, intervention de Lydia Samarbakhsh

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Célébration du 150e anniversaire de la Commune de Paris

Lydia Samarbakhsh, membre du Comité exécutif national, responsable du département International

Cher-e-s camarades, cher-e-s ami-e-s,

Je tiens tout d'abord à vous adresser le salut de la direction nationale du PCF et de ses membres, et à remercier très chaleureusement le Parti communiste de Grande-Bretagne et Robert Griffiths, son secrétaire général, ainsi que Liz Payne, John Foster, et Alex Gordon, président du Marx Memorial Library pour cette initiative et l'invitation qui m'a été faite d'y prendre la parole au nom du PCF.

C'est pour nous tous un rendez-vous important car si la pensée et les travaux de Marx retrouvent ces dernières années une vigueur nouvelle dans le champ intellectuel, et particulièrement à l'université, ils restent un enjeu d'appropriation toujours plus large par les femmes et les hommes de notre temps et pour qui vise le dépassement des logiques d'exploitation, de domination et d'aliénation de l'ordre capitaliste existant.

Ce jour anniversaire du décès de Karl Marx correspond en cette année 2021, vous l'avez souligné en décidant d'y consacrer notre rencontre, à un anniversaire important dans l'histoire du mouvement ouvrier international, le 150e anniversaire de la Commune de Paris, mais a lieu aussi dans un contexte mondial de pandémie et de crise sanitaire, économique, sociale, politique d'ampleur inédite mais qui favorise aussi des prises de conscience sur la nature et le sens du système capitaliste quelles qu'en soient les formes dans lesquelles nous y vivons où que ce soit dans le monde.

En France, ce 150e anniversaire se déroule un peu moins de trois ans après un mouvement lui aussi inédit et toujours sous-jacent, celui des « Gilets jaunes » qui, sans le savoir pour beaucoup, reprit à son compte le slogan communard « Le pouvoir au peuple », et qui, lui aussi, fut réprimé très violemment sur ordre du président Macron et de son ministre de l'Intérieur. Pour les classes dominantes françaises qui se sont plus volontiers émues des dégradations d'un monument public que des yeux et bras arrachés par les grenades et flashballs lancés sur les manifestant-e-s par la police, il n'est pas question de commémorer et encore moins de célébrer la Commune.

C'est ainsi que l'un de nos historiens les plus réputés, Pierre Nora, répondit sans ciller sur les antennes d'une radio nationale à la question « Faut-il commémorer le bicentenaire de Napoléon, et la Commune de Paris ? » : « Oui Napoléon, non la Commune ». Pour l'intellectuel de cour en tournée promotionnelle pour un livre de « mémoires », la Commune aurait « perdu sa charge subversive » tandis que Napoléon

« a une dimension tellement historique, qui a eu sur l'Europe une conséquence si positive, il a apporté la révolution dans les pays qu’il a conquis, il est l’héritier fondateur des institutions révolutionnaires. »

Et la Commune ? Pas de dimension historique ? Pas de conséquence – positive, notons bien la nuance –, pas héritière non des institutions mais de la portée révolutionnaire de 1789 ou 1793 ?...

Une, la bataille idéologique fait rage encore en ce 150e anniversaire ; elle se porte sur le front historique et la connaissance des faits, leur interprétation, et sur la ou les représentations de la Commune dans le champ mémoriel et donc politique.

La commémoration de la Commune de Paris est un combat politique. La Commune conserve sa « force propulsive » comme l'écrit mon camarade Patrick Le Hyaric, directeur de l'Humanité, en ce qu'elle a « pris, malgré tout, le temps de décider ce que les républicains mettront beaucoup de temps à mettre en œuvre, et pas toujours de façon élargie1 ».

Tout ce qui caractérisa la Commune, elle qui « dans son essence, fut dans son fond la première grande bataille du travail contre le capital » (Jean Jaurès) compose encore de nos jours les champs d'affrontement aigu entre forces du capital et forces du travail et de la création – qu'il s'agisse des enjeux sociaux, des modes et moyens de productions ou de l'enjeu du pouvoir et de la démocratie, qu'il s'agisse de la place et du rôle incontournable des femmes dans la société comme dans le mouvement révolutionnaire – et du potentiel émancipateur des luttes féministes pour dépasser l'ordre capitaliste, qu'il s'agisse de l'exigence d'internationalisme, de laïcité, de fraternité humaine et de paix.

Karl Marx, lui, a vu la Commune surgir, se battre, être écrasée dans le sang ; il en a tiré des analyses, lui comme nombre de révolutionnaires socialistes et anarchistes de l'époque mais, lui, plus que n'importe lequel de ses contemporains et camarades de combat sans doute, hormis certainement Louise Michel, demeure le plus haï et le plus détesté des révolutionnaires par les classes bourgeoises et l’État bourgeois lui-même, encore aujourd'hui. Il en est de même pour la Commune de Paris.

Malgré les 150 ans qui nous séparent de la Commune, elle représente l'épisode révolutionnaire le plus honni de la bourgeoisie française, et – avec la Révolution russe de 1917 – la plus calomniée par les bourgeoisies du monde entier, puisque c'est son pouvoir, son État, ses intérêts de classe qui y furent compromis par une « masse » populaire consciente.

« La révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. »

Ces mots de la Déclaration au peuple français du 20 avril 1871, la bourgeoisie les avait parfaitement entendus ; elle y répondit et y répond encore par une haine de classe sans fard ; elle n'a pas besoin, elle ne veut pas, faire semblant.

Ainsi l'ancien ambassadeur de France aux États-Unis ouvrit le bal sur Twitter, il y a 15 jours :

« La Commune de Paris, c'est un insurrection armée contre une Assemblée qui vient juste d’être élue au suffrage universel, qui incendie par esprit de destruction les monuments de la ville, le tout sous l’œil de l’ennemi qui sable le champagne. »

Résumé parfaitement farfelu sur le plan historique mais qui, sur le plan politique, vise un but précis que son collègue, actuel ambassadeur de France en Ukraine, Étienne de Poncins, s'empressa d'expliciter à qui n'aurait pas encore compris :

« La Commune est aussi une préfiguration du totalitarisme communiste soviétique par la terreur et les massacres accomplis. Sur le plan politique, c’était une référence permanente de Lénine pour 1917. »

Effectivement, il n'est pas faux d'y voir une « préfiguration » – mais non du « totalitarisme » (dont il ne faut rien connaître des faits historiques pour le dire ainsi) mais bien de l'enjeu central que Karl Marx énoncera très tôt avec clarté dans La guerre civile en France :

« la classe ouvrière ne peut pas se contenter de s'emparer telle quelle de la machinerie d’État et de la faire fonctionner pour son propre compte. L'instrument politique de son asservissement ne peut servir d'instrument politique de son émancipation. »

Dès lors, il est devenu impératif pour les classes dominantes d'imposer l'idée que la violence, la brutalité, le sang sont le fait des Communards – des forces du travail et de la création qui contestent l'ordre établi, de ceux qui cherchent à l'abolir, de ceux qui tentent l'édification d'un nouvel ordre social, défrichent des voies démocratiques nouvelles... – pas du côté de ceux qui cherchent, par tous les moyens, à entraver ce mouvement historique pour conserver leurs privilèges, et qui pour cela ont tué et sont prêts à tuer de nouveau.

Bien sûr, le tweet de Poncins2 sert à justifier, à l'aune de la morale bourgeoise, la féroce répression du pouvoir à l'encontre de celles et ceux qui alors avaient osé « monter à l'assaut du ciel ». Bien sûr, cela sert à rappeler qu'il en sera toujours ainsi et à imposer l'idée que les peuples en révolution, les communistes, d'hier ou d'aujourd'hui, sont, à l'aune de l'idéologie dominante, des destructeurs, et non des bâtisseurs.

Mais cette représentation fallacieuse de diplomate en mal de reconnaissance a bien pour objectif essentiel de masquer le plus important : c'était la guerre, rappelle Marx, et

« Paris ne pouvait cependant être défendu, sans armer sa classe ouvrière, sans l'organiser en une force effective et instruire ses rangs par la guerre elle-même. Mais Paris armé, c'était la révolution armée. Une victoire de Paris sur l'agresseur prussien aurait été une victoire du travailleur français sur le capitaliste français et ses parasites d’État. »

La répression terrible des Versaillais, d'une exceptionnelle violence, qui s'abattit sur la Commune constitua pour les classes bourgeoises une sorte de soulagement et elles la firent durer autant que nécessaire pour se rassurer d'avoir éloigné tout danger. Elles semblaient s'être repues ad nauseam du sang de leurs adversaires tel un trophée macabre : 10 000 morts de la Semaine sanglante de mai, plus de 4500 déportés en Nouvelle-Calédonie, près de trois cents condamnés aux travaux forcés et une centaine de condamnés à mort exécutés, la fuite en exil d'une dizaine de milliers de communards.

Cette violence implacable du pouvoir bourgeois demeure en réalité mal assumée par lui-même et par ses représentants, aujourd'hui encore. Il lui faut l'enrober de morale, je l'ai dit, de religion aussi. Hier, afin que « les Parisien-nes » mais surtout elle-même, en fait, se souvienne « à jamais » de l'angoisse qui fut la sienne mais aussi, peut-être ? de sa jouissance inhumaine à tenter d'exterminer toute menace à son existence en tant que classe, la bourgeoisie se fit bâtir une imposante basilique surplombant Paris.

Aujourd'hui encore, le pouvoir et l’État héritiers des Thiers et consorts, se doivent d'avilir leurs adversaires de classe pour obstruer toute alternative, pour diviser les forces du travail et de la création, pour justifier, enfin, la haine et la violence alors déchaînées contre ce mouvement populaire historique, « ce Sphinx qui tourment(a) si fort l'entendement bourgeois » pour reprendre les mots de Marx, et qu'ils déchaînent systématiquement dès que leur existence est remise en cause.

Oui, la commémoration de la Commune de Paris est un combat politique et les 72 jours de cette « révolution impromptue, ni voulue ni préparée3 » résonnent encore dans les mémoires et la conscience politique collective comme un « phare d'espoir pour les opprimés et un spectre effrayant pour les possédants4 ».

 

1- Roger Martelli, « Une place à part dans la mémoire » dans le Hors-série de l'Humanité, 150e anniversaire de la Commune de Paris : Un espoir mis en chantier, mars 2021 : https://boutique.humanite.fr/common/product-article/5938
2- L'aristocratie, d'Ancien Régime ou d'Empire, occupe encore des places de choix dans l'appareil d’État en France, particulièrement dans la diplomatie, et il n'est sans doute pas un hasard que l'ambassadeur de France en Ukraine se montre un farouche pourfendeur de l'ancienne Union soviétique au diapason de l'actuel gouvernement ukrainien et de l'extrême droite ukrainienne qui mène le jeu politique. C'est bien, de la part de la France, un signe fort de soutien au régime ukrainien actuel.3- Roger Martelli, « Une place à part dans la mémoire », Hors-série de l'Humanité, Un espoir mis en chantier4- Éditorial de Patrick Le Hyaric, Hors-série de l'Humanité, Un espoir mis en chantier