Commission Duclert/ Rwanda : Contribution du collectif Afrique du PCF

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Le rapport de la commission Duclert ne doit pas servir à solder tout compte dans les relations entre la France, le Rwanda et l’Afrique

27 ans. Il aura fallu 27 ans avant qu’une commission officielle établisse la lourde responsabilité de la France dans le déclenchement et le déroulement du génocide au Rwanda.

La commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis, couramment appelée commission Duclert, a été créée le 5 avril 2019 par Emmanuel Macron, pour ouvrir et étudier certaines des archives de l’État français. Elle conclut à de lourdes responsabilités du pouvoir français dans ce génocide, mais exclut, tout comme l’actuel ministre des Affaires étrangères rwandais Vincent Biruta, la notion de complicité basée sur le partage de l’intention des génocidaires. Le rapport estime que la France officielle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux du régime Habyarimana. Elle a adopté « un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’“ougando-tutsi” pour désigner le FPR [1]». Elle a en outre, comme toutes les autres puissances sur place, tardé à réagir face au génocide qui s’y déroulait.

Ce rapport constitue une rupture, car il met fin à une période de 27 ans de déni de la France officielle. Pour autant, le travail des historiens doit se poursuivre, avec l’ouverture et l’accès à toutes les archives, afin de mettre à jour les responsabilités tant intérieures qu’extérieures dans ces massacres.

Le député communiste Jean-Paul Lecoq, à l’occasion de l’audition de la commission Duclert le 11 mai dernier, a d’ailleurs critiqué les institutions qui ont refusé d’ouvrir leurs archives à la commission, au premier rang desquelles l’Assemblée nationale. Richard Ferrand n’ayant pas accepté cette demande d’ouverture des archives de la mission d’information de 1998 sur le génocide rwandais[2].

Ce qui a prévalu dans la politique française au Rwanda comme ailleurs en Afrique était de maintenir une zone d’influence, quels qu’en soient le coût humain et la déstabilisation que cela engendrerait. Cette approche qui a contribué au déchainement de forces infernales au Rwanda est malheureusement toujours celle de l’impérialisme français en Afrique. Au lieu de prendre date et réfléchir à un changement de paradigme, la France a continué avec le même logiciel au grand dam des peuples africains.

Malheureusement le génocide rwandais n’est pas la seule abomination qui a eu lieu dans la région des Grands Lacs.

Publié en octobre 2010, le rapport Mapping commandé par les Nations unies recensait de nombreux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de possibles crimes de génocide commis entre 1993 et 2003 en République démocratique du Congo (RDC), dont beaucoup font suite au génocide rwandais. Il est à rappeler que les deux guerres du Congo constituent, avec une estimation de plus de 5 millions de morts, l’un des dix conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité et le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais depuis dix ans, aucun de ces crimes n’a été jugé et les recommandations du rapport Mapping restent lettre morte. Des multinationales ont et continuent de bénéficier de cette situation en toute impunité. Ainsi que des puissances comme les États-Unis, devenus la nouvelle force tutélaire de la région. Des pays voisins ont été impliqués dans des crimes qui se sont déroulés en RDC, à savoir le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Zimbabwe. Ces pays n’ont sans doute pas été pour rien dans cette impunité.

Comme cela a été fait pour le génocide rwandais, il faut mettre sur pied une juridiction traitant ces abominations. C’est ce qu’ont demandé des eurodéputés à ce sujet dans une résolution adoptée à une large majorité en septembre 2020, qui exige la création d’un tribunal pénal international et de chambres mixtes avec des magistrats congolais et internationaux au sein de juridictions congolaises pour poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme. C’est aussi et surtout le combat du docteur Mukwege, prix Nobel de la Paix, que les communistes soutiennent pleinement.

La politique de rapprochement et l’agenda économique entre la France et le Rwanda ne doivent pas éclipser cette exigence. Cela ne devrait pas passer sous silence le caractère autocratique du pouvoir rwandais, et les innombrables crimes commis, dénoncés y compris par d’anciens compagnons de route de Paul Kagamé.

Chaque pays a scénarisé un rapprochement, un pas vers l’autre. La France a autorisé une commission officielle qui a pointé ses propres responsabilités. Et après le rendu de la commission Duclert, le Rwanda a opéré un revirement et publié son rapport dans lequel disparaît la notion de « part active dans la préparation et l’exécution du génocide », écartant de fait une complicité juridique de la France. « Ce sont des avancées considérables », a déclaré l’Élysée.

Pour autant, il est impératif que les autorités françaises n’acceptent pas, en l’échange de l’abandon des poursuites judiciaires par le Rwanda a son encontre sur le génocide rwandais, de maintenir sous silence le rapport Mapping, dans lequel les plus hautes autorités militaires rwandaises sont impliquées.

De ce fait, cela ne doit pas interrompre la poursuite nécessaire du travail d’historiens. Des zones d’ombre persistent, et non des moindres, par exemple sur les livraisons d’armes aux génocidaires. Quant à la notion de complicité de génocide, la définition la plus étroite a été retenue, selon laquelle le complice doit partager l’intention. Or les commanditaires de la politique de la France au Rwanda n’avaient bien sûr pas pour objectif d’éliminer les Tutsis. Mais c’est le soutien complice et « jusqu’au-boutiste » à des forces préparant et poursuivant un génocide qui est en cause. Sans ce soutien déterminé au régime rwandais de l’époque, l’histoire dramatique ne se serait pas déroulée ainsi.

Le rapport de la commission Duclert est une étape. Il ne doit donc pas constituer un solde de tout compte pour cette période dramatique. Il peut participer à ouvrir de nouvelles relations entre la France et le Rwanda, mais ne peut être le jouet d’un deal pour figer les choses, ne plus y revenir, et fermer les yeux sur les crimes économiques et de sang passés et qui se poursuivent dans la sous-région.

27 ans de déni, 27 ans d’impasses

En 1994, les abominations commises au Rwanda auraient dû constituer un électrochoc pour l’État français, incitant à une remise à plat complète du logiciel des relations que la France entretient avec un certain nombre de pays africains. Constatons qu’il n’en a rien été depuis 27 ans, ou si peu. La responsabilité de la France en 1994 est la conséquence directe d’une organisation dangereuse de nos institutions, qui fondamentalement n’a pas beaucoup évolué depuis. Un petit cénacle politique et militaire décide de la politique africaine, loin du peuple et de ses représentants à qui l’on sert une histoire enjolivée et déformée.

Au nom d’une prétendue raison d’État, de la défense d’influence, d’intérêts stratégiques ou économiques, la France officielle s’est fourvoyée dans le pire. La leçon à retenir aujourd’hui est que nous n’en avons pas fini avec ce que l’on peut appeler des dérives d’aveuglement, de méconnaissance et d’arrogance qui sur le long terme produisent des catastrophes.

Finalement, ce que dit en creux le rapport Duclert, c’est le fonctionnement même de la Françafrique, pris dans un exemple extrême. Et il démontre que c’est bien l’architecture de la Ve République qui porte la responsabilité de cette dérive : mise à l’écart de fonctionnaires civils et militaires qui alertaient sur la situation, possibilité pour le Président de la République de déclencher une intervention militaire sans l’aval du Parlement, ou encore mise en place de cellules intouchables qui donnent des ordres en outrepassant hiérarchies civiles et militaires ont mis en place la défaillance des schémas de décision.

En 1994, le crime est si immense, les responsabilités si lourdes, que certains acteurs politiques français, dont le président François Mitterrand, sont dans la négation de leur implication. Ils ont tout fait pour maintenir l’étouffoir, et s’assurer que la vérité n’éclate pas. Une phase de déni a été installée, préjudiciable pour les proches des victimes, les rescapés, pour le peuple rwandais, pour notre peuple, et plus largement pour les peuples africains.

Faire ce travail de reconnaissance et cet aggiornamento dès 1994 nous aurait vraisemblablement incités à changer de comportement vis-à-vis du continent. Peut-être cela aurait-il contribué à épargner nombre d’impasses et de crimes engendrés ou accompagnés par l’État français, qui, sans aller jusqu’au génocide, se sont soldés par des désastres dont les peuples en paient toujours le prix fort.

Que l’on songe à la guerre de M. Sarkozy contre la Libye en 2011, à tout ce sang versé, à la promotion du djihadisme que l’on prétend combattre, aux énièmes et lointaines secousses qui se font ressentir encore de nos jours au Mali et dans la sous-région.

Que l’on songe à la déstabilisation de la Côte d’Ivoire voulue par des multinationales, avec le soutien de la pièce maitresse de la Françafrique, le dictateur burkinabé Blaise Compaoré, pour installer au pouvoir, toujours en 2011, un autocrate ultralibéral, Alassane Ouattara.

Que l’on songe au bombardement d’une position française à Bouaké en Côte d’Ivoire en 2004. Un coup tordu, un bombardement de nous-mêmes en quelque sorte qui aurait mal tourné, se soldant par la mort de 9 soldats français et un civil américain. La vérité est trop grosse et l’on ne peut pas la dire, alors il ne reste que l’omerta et le refus obstiné d’ouvrir les archives[3].

Que l’on songe à la Centrafrique qui a sombré dans la violence, conséquence de décennies de domination, de pillages et de turpitudes françafricaines.

Que l’on songe à tous ces peuples obligés encore aujourd’hui de vivre sous la coupe de dictateurs sanguinaires, qui ont été maintenus au pouvoir par l’armée et les intérêts français : Cameroun, Togo, Djibouti, etc. Le cas du Tchad est une illustration de cette matrice d’aveuglement et d’arrogance encore à l’œuvre dont on n’arrive pas à s’extraire et qui pourtant creuse une impasse. Le pays, surtout le nord, est en proie au chaos. La situation est telle que M. Macron s’est senti obligé de se rendre aux obsèques du dictateur Idriss Déby, mort d’une balle perdue, et de légitimer le putsch de l’armée sous la houlette du fils du dictateur. Mais, devant la répression impitoyable et choquante du régime, qui a fait plusieurs morts chez les opposants, M. Macron a dû se dédire quelques jours après en précisant qu’il n’était « pas pour un plan de succession »…

Cette affligeante et très actuelle page sombre prouve à quel point il devient compliqué de jouer les pompiers pyromanes. En réalité, ce schéma pose la question du « domaine réservé » du Président de la République qui fait reposer la politique étrangère et militaire de la France uniquement sur ses volontés, et qui ne rencontre jamais de contre-pouvoir ni d’objection. C’est dire l’urgence de changer de politique dans l’intérêt de nos peuples, en France et en Afrique. Ces changements ne peuvent pas être cosmétiques comme c’est le cas avec le projet d’ECO qui prolonge le Franc CFA, par une modification du nom et la levée de quelques irritants politiques, afin de renforcer la domination monétaire. Une décision prise dans le dos des peuples, et à terme une nouvelle impasse, alors que montent les ressentiments envers la politique de la France. Il serait temps de retenir les leçons du passé.

Collectif Afrique du Parti communiste français

 

[1] Front Patriotique Rwandais qui a amené au pouvoir Paul Kagamé, toujours en fonction aujourd’hui.

[2] Il faut d’autant plus le regretter que cela aurait aussi permis de comprendre pourquoi la commission était dirigée, au mépris des usages parlementaires, uniquement de membres du groupe majoritaire de l’époque, Messieurs Brana, Cazeneuve, et Quilès. Ce travail aurait également permis de démontrer que cette mission d’information a été mise en place pour contrer une commission d’enquête déposée par le député communiste Jean-Claude Lefort dès 1995, et qui est une instance bien plus contraignante qu’une mission d’information, puisque les personnes qui sont convoquées témoignent sous serment et ne sont pas libres de refuser une convocation.

[3] Tout récemment une cour d’assise française vient de condamner par contumace les auteurs présumés du bombardement, que, pour certains, des ministres français à l’époque s’étaient empressés de faire libérer. Un des pilotes condamnés vit à Abidjan. Son avocat a fait savoir qu’il n’a même pas été convoqué par la justice française et qu’il clame son innocence parce qu’il n’était pas en fonction le jour du bombardement. Pendant ce temps, les vrais coupables, les commanditaires, courent toujours. Rappelons que le bombardement de Bouaké avait servi à la France de déclencheur pour anéantir l’aviation ivoirienne et venir à la rescousse de la rébellion afin de déstabiliser la Côté d’Ivoire. Après Bouaké en novembre 2004, l’armée française a tiré sur des manifestants pacifiques et désarmés, provoquant la mort de dizaines d’Ivoiriens innocents.