De l’inconsistance de la pensée stratégique de Macron

Emmanuel Macron a exposé le 6 février 2020, dans un discours à l’École militaire, devant un parterre de généraux et de diplomates, ce qu’il qualifie être sa vision stratégique de la défense nationale de notre pays. Depuis 1959 et le général de Gaulle, il est le premier Président de la 5e République à faire cet exercice devant l’École militaire.

Là s’arrête la comparaison, car comme l’écrivait Karl Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois.(…) La première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

Contrairement à Macron et pour avoir été blessé trois fois en 1914-18 et avoir connu la boucherie de Verdun, de Gaulle savait d’expérience que la guerre n’est ni fraîche, ni joyeuse et qu’on y meurt et qu’on y tue. Chose qui échappe totalement à Macron qui n’a de la guerre qu’une vision abstraite entre jeu vidéo, défilé du 14 Juillet et cérémonies d’hommage posthume aux Invalides.

Par une brève allocution, de Gaulle avait dessiné une véritable vision stratégique de la défense fondée sur l’indépendance nationale qui conduisit à la constitution de la force de frappe nucléaire autonome des États-Unis, à la sortie en 1966, commandement intégré de l’OTAN, et à l’expulsion des troupes américaines stationnées sur notre sol. Cette vision stratégique, les communistes l’ont combattue tout en reconnaissant sa cohérence et en approuvant l’attitude de de Gaulle face aux États-Unis et à l’OTAN.

Or, aujourd’hui le très long et verbeux discours de Macron n’a pas dessiné de vision de ce que devrait être une défense assurant l’indépendance nationale de la France. Il n’a été qu’opération de communication visant à camoufler la servitude de notre pays vis-à-vis de l’OTAN et des États-Unis, sous un assemblage incohérent de petites phrases destinées à faire le « buzz » sur les réseaux sociaux.

Certes, en entrant à l’Élysée, Macron avait une stratégie : sortir l’Union européenne de la crise par le militaire en en faisant sous « leadership » français un pilier de l’OTAN à égalité des États-Unis. Ce pilier se serait appuyé sur une industrie d’armement européenne intégrée autour de la France (constructions aéronautiques et navales), l’Allemagne (armement terrestre) et l’Italie (armement naval). Ce nouveau pilier devait se consacrer principalement à soutenir l’armée française dans la bande sahélo-saharienne. Cette stratégie s’est effondrée, car les États-Unis et tous les États membres de l’Union européenne et de l’OTAN s’y sont d’une manière ou d’une autre opposés. Seuls reste les projets d’un char et d’un système de combat aérien franco-allemand, et la calamiteuse association de Naval Group avec l’Italien Fincantieri, ce qui n’empêche les membres européens d’acheter massivement des armements made in america qui les mettent sous total contrôle informationnel du Pentagone comme avec l’ultra couteux avion de combat F35.

In fine après avoir joué le fier-à-bras en déclarant « la mort cérébrale » de l’OTAN, Macron capitule en rase campagne avant même d’avoir combattu Trump, en affirmant sa conviction « que la sécurité à long terme de l’Europe passe par une alliance forte avec les États-Unis (…) la France en fait chaque jour l’expérience dans ses opérations ».

Dans son discours Macron constate passivement la fin du traité d’interdiction des missiles nucléaires de portée intermédiaire et les risques qui pèsent sur le traité limitant les armes stratégiques. Or, les États-Unis et l’OTAN portent une responsabilité principale et accablante dans cette reprise de la course aux armements nucléaires en Europe. Au lieu de prendre des initiatives politiques pour contrer ce retour de la course aux armements nucléaires, Macron a déclaré urbi et orbi à propos de la force nucléaire française que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». Que les États de l’Union européenne qui le souhaitent pourraient « être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion », ce qui constitue une véritable provocation faite à la Russie en raison des relations de celle-ci avec la Pologne et les Pays baltes.

Là où le discours de Macron devient véritablement schizophrène, c’est lorsqu’il déclare à justement raison que les menaces les plus importantes qui pèsent sur notre indépendance nationale ne sont pas d’ordre militaire mais d’ordre économique et technologique : « Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe. Il nous faut, au niveau européen, maîtriser nos infrastructures maritimes, énergétiques et numériques. (…) Nous nous sommes même abandonnés entre Européens, poussant tant de pays du Sud de notre Union européenne à laisser des investisseurs prendre ce que nous ne savions pas acheter, ce que nous poussions à privatiser, quand bien même ces infrastructures étaient stratégiques. Funeste erreur ! Nous devons, pour ces infrastructures critiques, retrouver, au niveau européen, une vraie politique de souveraineté ! »

Comme s’il n’avait pas été le ministre de l’Économie qui a privatisé l’aéroport de Toulouse, qui a laissé la Troïka dépecer la Grèce et comme s’il n’était le Président de la République qui fait tout pour privatiser ADP. De plus, au lieu de braquer les projecteurs sur la paille des Chinois et des Russes, il ferait mieux de mettre en pleine lumière la poutre que constitue l’espionnage industriel et politique massif que pratiquent les États-Unis vis-à-vis de l’Europe, comme l’a démontré Édouard Snowden. Ce sont les États-Unis, il est vrai avec la complicité au moins passive de Macron, qui se sont emparés de l’entreprise stratégique Alstom Énergie, y compris en emprisonnant ses dirigeants ! Ce sont les États-Unis qui tentent d’abattre à coups d’amendes Airbus ! Face aux États-Unis, la Chine et la Russie sont moins des menaces que de potentiels alliés objectifs.

Enfin, faute de travailler de vraies solutions politiques et économiques, Macron s’obstine à ensabler l’armée française dans une guerre sans fin dans la bande sahélo-saharienne. Non seulement cette intervention militaire française n’endigue en rien la montée en puissance du terrorisme islamique, mais il le renforce de par les exactions et la corruption des armées et des gouvernements des régimes que la France soutient à bout de bras. Ici encore les forces armées françaises tirent les marrons du feu pour l’influence qu’entendent développer les États-Unis en Afrique.

Pas un mot non plus sur la misère de la condition militaire, sur le fait que nos armées sont à la fois en voie de clochardisation, d’externalisation et de privatisation de nombre de leurs fonctions, sur le délitement du lien armée-nation encore aggravé par le pseudo service national instauré par LaREM qui est vécu par l’immense majorité de la jeunesse, à juste raison, comme une brimade inutile.

Au-delà de l’urgence de rompre avec l’OTAN, les enjeux de défense et d’indépendance nationale, de sécurité collective et de paix méritent mieux que la bouillie de chat qu’a servie Macron aux cadres de l’armée à l’École militaire. Ils appellent à un vrai débat auquel les communistes entendent apporter leurs propositions.

 

Yann Le Pollotec, responsable de la commission, Défense nationale - Paix