Devant les ambassadeurs, E. Macron prône une diplomatie « agressive »

Conformément à la tradition, E. Macron a réuni le 1er septembre les ambassadeurs à l’Élysée. Dans un long discours, il s’est livré à une analyse du monde actuel, a évoqué le bilan de la présidence française de l’Union européenne et les tâches de la diplomatie aujourd’hui.

Non sans pertinence, le Président de la République est revenu sur la mondialisation qui modifie fondamentalement les relations internationales en pointant les interdépendances, les problèmes qui sont devenus mondiaux et qui ne peuvent se résoudre qu’à cette échelle. Il invoque sur ce registre les pandémies, le changement climatique, la destruction de la biodiversité, les migrations, les crises énergétiques et alimentaires. Si le monde n’a jamais été aussi interconnecté, les fractures et les insécurités humaines qui l’affectent n’ont jamais été si criantes alors que les normes qui structurent les relations internationales se sont affaiblies.

Si E. Macron est toujours aussi disert sur les enjeux de sécurité globale, ses initiatives concrètes et ses résultats politiques sont proches du néant.

Pourtant, ces tendances suscitent chez le Président de la République de lourdes inquiétudes puisqu’il constate que dans les opinions publiques mondiales, « la confiance n’est plus la même dans le capitalisme libéral », mais aussi que « le libéralisme politique est remis en cause ». Il exprime ses craintes à l’égard des soulèvements populaires planétaires qui ont montré l’ampleur de la délégitimation des classes dirigeantes, des politiques néolibérales et des institutions.
Cela n’empêche pas E. Macron de s’arc-bouter, en gestionnaire des intérêts du capital, sur la défense du système capitaliste. Or les pandémies, actuelles et futures, sont intrinsèquement liées à l’expansion de l’économie marchande, à l’exploitation et à l’appropriation privée des ressources naturelles et ainsi qu’aux logiques productivistes qui les génèrent. Plus meurtrier encore que les virus, il y a le capitalisme qui déstructure les sociétés. Depuis la fin du monde bipolaire, le marché capitaliste, qui devait tout régler, a provoqué l’expansion du chômage, de la précarité et de la pauvreté. La mondialisation libérale a suscité aussi des replis qui sont à la base du communautarisme, du nationalisme et des régressions démocratiques.

Le Président de la République a dressé un bilan pour le moins élogieux de son action pour l’Union européenne durant les six mois de pilotage tournant. Or, il est en échec sur presque tous les grands dossiers énoncés comme des priorités. La transition énergétique, la régulation du numérique ou le smic européen ne sont que de vagues projets n’avançant rien de concret ni de contraignant. Sur la réinvention de l’Europe et son autonomie stratégique le fiasco est patent. Si la crise en Ukraine a donné lieu à un ripolinage de façade de l’unité des États membres, les phénomènes de division au sein de l’UE demeurent puissants, notamment avec la Pologne et la Hongrie. Les évolutions de la politique américaine vers un national-populisme mis en œuvre par D. Trump et repris en partie par J. Biden éloignent tendanciellement, en dépit du conflit ukrainien, le nouveau monde de l’ancien continent. La nécessité, dans ce contexte, de se définir hors du référent états-unien, autour des concepts d’autonomie et de souveraineté stratégique de l’Europe a fait long feu. Le revers sur l’affaire des sous-marins australiens et la constitution de l’AUKUS mais aussi les commandes militaires allemandes à Lockeed Martin ou Boeing en témoignent. E. Macron a donné des gages atlantistes en affirmant que cette ambition se situe en complémentarité de l’OTAN et il a été vertement recadré après sa déclaration de « ne pas humilier la Russie ». Il serait injuste pour autant de ne pas mettre à son crédit quelques « succès », plus particulièrement dans la gestion des frontières puisque la politique répressive à l’égard des migrants s’est renforcée provoquant de nouveaux drames humains.

La guerre en Ukraine est largement traitée dans ce discours. S’il évoque à juste raison la violation des principes internationaux, une guerre hybride mondialisée et une rupture lourde de danger, il se garde bien de mentionner les responsabilités de l’OTAN dans ce conflit. Il réaffirme la poursuite de l’aide massive, sur le plan humanitaire et militaire, à Kiev, sans engagement direct des troupes françaises. Sans exclure la solution négociée, il privilégie de manière significative l’option d’une victoire militaire de l’Ukraine, pérennisant ainsi les affrontements et les drames humains. E. Macron, comme toutes les puissances occidentales, continue d’interpréter ce conflit exclusivement en termes politico-militaires. Or on ne gagne plus les guerres. Plus que les armes et les batailles, ce sont les choix et les options politiques qui sont déterminants. De ce point de vue, V. Poutine ne prendra pas Kiev et l’Occident ne prendra pas Moscou. Il n’y a pas d’autres alternatives que de passer par un transfert politique, même si celui-ci est incertain et à bien des égards périlleux.

Dans ce contexte, E. Macron a fait l’annonce d’une nouvelle loi de programmation militaire qui se traduira par une augmentation du budget, et il appelle ses homologues européens à faire de même, tout en promouvant le commerce des armes « Made in France ».

La Chine qualifiée de « rivale systémique » est la seconde grande affaire du discours d’E. Macron. Sa montée en puissance, sa capacité à concurrencer l’hégémonie occidentale est source d’inquiétude. L’objectif vise clairement à endiguer l’ascension de Pékin et de fabriquer un nouvel ennemi permettant de redonner corps à la mobilisation générale dans le cadre d’un retour à une vision bipolaire du monde. Le duel pour la suprématie mondiale structure désormais une partie des relations internationales. La position du Président de la République se caractérise par son ambiguïté. Tout en rappelant sa proximité avec les États-Unis, il affirme que la diplomatie française n’est ni « alignée », ni « vassalisée » et ne souhaite pas une « scission de l’ordre mondial ». Il considère que la France n’est pas prête « à avoir une stratégie de confrontation » avec la Chine dans la zone Indo-Pacifique. Il soutient cependant que l’indépendance géopolitique n’est pas à équidistance entre les deux capitales, tandis que les conclusions du sommet de l’OTAN à Madrid contredisent ces déclarations.

Nous avons des divergences avec la Chine et nous avons exprimé nos principes et nos valeurs avec constance et fermeté. Pour autant, nous ne devons pas devenir les aides de camps des États-Unis. La Chine n’est ni un allié, si cette notion a encore un sens, ni un adversaire. Elle poursuit ses intérêts et nous avons les nôtres. De ce fait, elle peut être dans certains cas un partenaire ou un compétiteur. Si la concurrence est un état de fait, l’affrontement résulte d’un choix politique et militaire. La France et l’Union européenne ont tout à perdre en se laissant entraîner dans cette spirale conflictuelle.

L’autre motif d’inquiétude pour E. Macron est lié aux échecs politiques en Afrique et plus particulièrement au Sahel, ainsi que la remise en cause de plus en plus explicite, par les peuples, de la politique néocoloniale conduite depuis des décennies. Sur ce sujet brûlant, il n’esquisse aucune perspective si ce n’est de mener le combat sur les réseaux sociaux contre « la propagande anti-française » menée par la « Russie, la Chine et la Turquie ». Pour cela, il entend enrégimenter les ambassadeurs mais aussi les journalistes de France 24 et de RFI dans la promotion de la politique française. Ce n’est pas ainsi que l’on renversera la tendance. Les pays africains ont besoin de respect, de développement, d’égalité, de liberté, de démocratie et de paix par des coopérations mutuellement avantageuses afin de répondre aux défis auxquels ils sont confrontés. L’arrogance, le pillage des ressources, l’instrumentalisation des conflits, le soutien à des régimes corrompus affaiblissent les États et nourrissent le terrorisme et les ressentiments.

Enfin, la situation au Maghreb et au Moyen-Orient tient une place restreinte. À côté de l’ambition de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien, la souveraineté de l’Irak ou du Liban, E. Macron se félicite des accords d’Abraham et considère que la sécurité d’Israël est une priorité, sans mentionner la politique d’apartheid, de colonisation, d’occupation militaire des territoires occupés et l’opposition d’Israël, en violation du droit international, à la constitution d’un État palestinien dans le cadre des frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.

es ambassadeurs ont donc reçu leur feuille de route les appelant à être plus « agressifs » afin de promouvoir la guerre économique, l’attractivité du pays par une liquidation des droits sociaux et une promotion de l’influence et du rayonnement de la France.

E. Macron se gargarise de mots sur le multilatéralisme, la réinvention de l’Europe, l’auto-attribution par la France de ce rôle d’acteur d’une relance du système international. Quant à la pratique, les choses demeurent plus obscures entre non-aboutissement, échecs et in fine permanence d’une ligne atlantiste.

Pascal Torre
responsable adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient