Elections municipales en Italie : Une nouvelle donne politique ?

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Ces élections se sont déroulées les 3 et 17 octobre 2021. Le contexte d’abstention record (45%) a pénalisé tous les partis de gouvernement ou d’opposition.

Le Centre Gauche (Parti démocrate et ses alliés) remporte ces élections. Il dirige désormais 14 des 19 capitales régionales et provinciales où se déroulait le scrutin dont Milan, Bologne et Naples gagnées dès le premier tour et Rome, Turin, Caserte, Latina, Isernia, Savone, Cosenza, Benevento au deuxième tour. Dans les communes moins peuplées, la carte électorale est plus équilibrée. Sur les 118 villes où se déroulait le scrutin, le centre gauche en a gagné 52, la droite 35. Parallèlement, le Parti démocrate remporte deux élections législatives partielles, à Sienne avec son nouveau leader Enrico Letta et à Rome.

Il s’agit d’une inversion de tendance par rapport aux résultats de 2016 et aux scrutins locaux ultérieurs où la droite extrême avait conquis des positions importantes (Région de l’Ombrie et élections municipales dans les ex « régions rouges » d’Emilie-Romagne et Toscane).

La coalition de droite (Forza Italia de Silvio Berlusconi, Lega de Matteo Salvini, Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni) est en échec. Elle conserve de justesse Trieste et surtout la région de Calabre où des élections anticipées avaient lieu aux mêmes dates. Les rapports de force à droite se sont inversés. La Lega qui participe au gouvernement d’« unité nationale » de Mario Draghi, sort affaiblie de ces élections alors que les postfascistes de Fratelli d’Italia, tout en progressant partout en nombre de voix, perdent leur seule capitale de province, Isernia et surtout sont nettement battus à Rome face au Parti démocrate. Forza Italia tire son épingle du jeu en conservant la Calabre et la mairie de Trieste.

Le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) sort très affaibli de ces élections. Il perd les mairies de Rome et de Turin et ne réussit à maintenir une certaine influence que dans les villes où il a passé un accord avec le PD.

La gauche de transformation sociale est de plus en plus en difficulté. Divisée et fragmentée, ses positions institutionnelles s’amenuisent notamment pour ce qui concerne les communistes. Le quotidien « Il manifesto » titrait dans son édition du 23 octobre : « la gauche disparaît alors que le pays s’éloigne », soulignant le fait que cette gauche « n’a pas su « intercepter » les votes non exprimés par des millions d’électeurs potentiels ne se retrouvant pas dans l’offre politique actuelle. Son fractionnement entre de multiples petits partis issus pour la plupart des divisions intervenues après la dissolution du Parti communiste italien puis du Parti démocrate ; ainsi que du délitement du Parti de la Refondation communiste, la pénalisent. Dans un système institutionnel qui rend très difficile les convergences avec un centre gauche élargi au centre, les listes de convergence ponctuelle avec celui-ci, comme celles de Sinistra Italiana, ne dépassent pas les 3%. Des cas intéressants de convergence à gauche sont néanmoins à signaler à Bologne, Trieste, Savone et plus à gauche en Calabre. Quant aux différentes listes estampillées « communistes » avec ou sans Rifondazione comunista : Parti communiste italien, Parti communiste, Parti communiste des travailleurs … ou d’autres comme celles de Potere al Popolo ; elles sont marginalisées et obtiennent, à quelques exceptions près, des résultats inférieurs à 1%.

L’évolution de la situation politique

En février 2021, Mario Draghi a été nommé à la tête d’un gouvernement « d’unité nationale » associant le Parti démocrate, le Mouvement Cinq Etoiles, la droite berlusconienne et la Lega de Salvini. Les néo-fascistes de Fratelli d’italia sont dans l’opposition tout comme l’ensemble de la gauche radicale et de transformation sociale.

Depuis une bonne vingtaine d’années, le capitalisme italien a trouvé en Mario Draghi son homme providentiel. Lorsqu’il fût gouverneur de la Banque d’Italie puis à la tête de la BCE de 2011 à 2019, Draghi préconisa des réformes structurelles de l’économie italienne afin d’augmenter la productivité du travail et la compétitivité des entreprises : privatisations, privilèges fiscaux pour le capital, coupes dans les pensions de retraites publiques et développement de fonds de pensions privés, précarisation du travail, réduction du déficit et de la dette publique.

Toutes ces mesures d’austérité et de mise en cause des droits sociaux, appliquées par les gouvernements successifs de droite comme du Parti démocrate, n’ont pas sorti l’Italie du marasme économique dans lequel elle se trouve aujourd’hui. Au contraire, les conditions de travail de millions de salariés se sont aggravées ; le nombre de pauvres a été multiplié par trois et 1,5 millions de personne au chômage ou sous-employées ont dû émigrer.

Pendant la période de pandémie Covid-19, l’Italie a enregistré une chute de 8,5% de son PIB et sa dette colossale a continué à croître (158 milliards fin 2020).

Aujourd’hui, Draghi revient pour mettre en œuvre le Plan national de récupération et de résilience (PNRR) lié au Plan de relance européen (2021-2027) : 807 milliards de fonds alloués aux 27 pays de l’UE dont près de 200 milliards pour la seule Italie.

Dans la stricte lignée de l’orthodoxie ordo-libérale imposée par la gouvernance actuelle de l’UE, le PNRR envoyé à Bruxelles avec l’aval de tous les partis du gouvernement, conditionne les aides à apporter aux secteurs les plus affectés par la crise : santé, éducation… relance des investissements productifs dans le secteur public et privé ; aux impératifs de compétitivité et de baisse tendancielle de la dépense publique. Dans le même temps, les comptes publics prévoient une augmentation de 8,5% de la dépense militaire, en lien avec l’objectif d’une défense européenne liée à l’OTAN.

Malgré le consensus établi entre les partis du gouvernement pour mettre en œuvre le PNRR, certaines contradictions, sources de conflits ultérieurs, demeurent.

Bien qu’apparemment conforté par les élections, le PD d’Enrico Letta persiste à ne pas vouloir se démarquer des politiques ordo-libérales qu’il a contribué à mettre en œuvre et qui l’incitent encore à regarder vers les secteurs les plus droitiers au sein du parti, les moins liés à la social-démocratie et qui pourtant ont pris leurs distances.

L’axe de nouvelle coalition potentielle avec le Mouvement Cinq Etoiles pose beaucoup de questions. Le M5S qui a perdu son label de parti « antisystème », mais qui dispose encore d’un groupe parlementaire important, voit ses propositions phares, comme celle du revenu de citoyenneté, contestées au sein même du gouvernement.

On le voit bien avec la discussion budgétaire. Les options d’une réorientation plus sociale des comptes publics défendues notamment par les syndicats, peuvent mettre le PD en porte-à-faux par rapport aux mobilisations populaires potentielles.

La Loi de finances discutée au Parlement acte des compromis au rabais avec la droite et rétablit, certes avec plus de flexibilité dans sa mise en œuvre, une réforme des retraites (réforme Fornero de 2011), qui conduirait à porter l’âge de départ à la retraite à 67 ans. Les critères d’utilisation des dizaines de milliards du fonds de relance européen vont être au centre de la bataille politique et sociale. De premières mobilisations sont annoncées dès novembre sur les retraites et un certain nombre de luttes concernant les restructurations et délocalisations d’entreprises peuvent prendre de l’ampleur, converger et contribuer ainsi à dynamiser une gauche de transformation sociale, aujourd’hui en difficulté, sur des objectifs de progrès social et démocratique.

L’urgence d’un sursaut démocratique

La droite est elle-même en difficulté. En recul au plan local, elle rassemble pourtant dans les enquêtes d’opinion près de la moitié des électeurs (les deux partis de la droite extrême sont à 40%) ; et elle va tenter de faire valoir ses options ultraréactionnaires notamment sur le plan sécuritaire et des réformes de société.

Qu’elle soit associée au gouvernement avec la Lega ou dans l’opposition avec les néofascistes de Fratelli d’Italia, l’extrême droite a entretenu depuis quelques années un climat de tension et de déchaînement contre l’immigration et le monde du travail ; relayée dans tout le pays par des groupes fascistes ultra-racistes comme Casa Pound et Forza Nuova.

Ainsi, quel paradoxe ! Alors que les décrets Salvini anti-immigrés et les politiques odieuses contre les migrants sont encore en vigueur, la justice vient de condamner lourdement et scandaleusement le maire de Riace, Mimmo Lucano, pour avoir fait preuve d’humanité avec les migrants ; dans le même temps, une procédure est engagée contre Matteo Salvini, pouvant déboucher sur une condamnation pour « crimes humanitaires » à l’égard des migrants bloqués au large des côtes italiennes, alors qu’il était ministre de l’Intérieur.

Cette haine s’est traduite le 9 octobre -à l’occasion d’une immersion de Forza Nuova dans les manifestations « anti-vax »- par une attaque sans précédent contre le siège du principal syndicat, la CGIL.

L’imposante manifestation unitaire de l’ensemble de la gauche syndicale associative et politique qui s’en est suivie, témoigne d’un sursaut démocratique réconfortant et porteur d’espoir. A cette occasion, Maurizio Landini, secrétaire général de la CGIL, a pu dire : « qu’au-delà de la CGIL c’était la Constitution italienne issue de la Résistance, qui était visée » et il ajoutait à l’attention du gouvernement : « étendre la démocratie ce n’est pas seulement mettre hors-la-loi les groupes néofascistes factieux. C’est unir le corps social des travailleurs qui sort de la pandémie plus fragmenté que jamais alors que le front patronal, compact derrière la Confindustria est lui particulièrement actif dans la recomposition, voire l’aggravation des conditions d’exploitation. » Le gouvernement « ne peut continuer à agir autoritairement pour faire prévaloir les intérêts du capital au détriment de ceux du Travail ».

Le gouvernement Draghi et les forces qui le soutiennent sont donc au pied du mur. En Italie, le chemin à parcourir par les forces de la transformation sociale, pour inverser les politiques de régression sociale et démocratique, sera difficile. Mais comme ailleurs en Europe, tels sont les enjeux de la prochaine période.

José Cordon
Commission des Relations Internationales- Europe

 

XI e congrès du Parti de la refondation communiste

Le congrès de Rifondazione comunista qui s’est déroulé les 23 et 24 octobre à Chianciano a réuni 250 délégués représentant les près de 3000 adhérents ayant pris part aux discussions préparatoires au plan local.

Maurizio Acerbo a été reconduit comme secrétaire général du parti. Parmi les nombreuses délégations internationales, notamment de la gauche européenne, participant au Congrès, Vincent Boulet représentait le PCF.

Alors que le PRC traverse des difficultés, le document conclusif du congrès a notamment souligné que, trente ans après sa naissance, dans un pays où les politiques néolibérales ont produit une crise profonde, Rifondazione comunista entendait néanmoins contribuer à créer les conditions de son renouveau en « revendiquant les raisons d’une résistance tenace au néolibéralisme et la pertinence d’un communisme démocratique, libertaire, écologiste, féministe, internationaliste renforçant l’action commune de la gauche radicale dans l’espace européen ». D’autre part, « le caractère unitaire du Congrès devrait, en particulier, se concrétiser dans un plus grand enracinement du parti dans les luttes sociales. »

Une conférence nationale se tiendra entre juillet et septembre 2022 pour en définir les contours.