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A l'heure où ces lignes sont écrites, il ne manquerait plus que 6 délégués à Joe Biden pour atteindre la barre des 270 requis afin de revendiquer la victoire à l'élection présidentielle du 3 novembre.

Malgré la menace de coup de force, pour ne pas dire de coup d’État institutionnel, de Donald Trump dès sa première déclaration dans la nuit du 3 au 4 novembre et réitérée jeudi soir, le décompte des voix se poursuit et le suspense se ressert autour des résultats de quatre États clés.

Le scrutin de 2020 est inédit à plusieurs égards.

Inédit de par son enjeu central: la possibilité de «sortir» Donald Trump pour des millions d’Étasunien-ne-s qui, depuis 2016, n'ont cessé de se mobiliser contre sa candidature puis sa politique brutale, rétrograde, raciste, machiste, xénophobe et «illibérale». Sortir une bonne fois ce président et «chef suprême des forces armées», comme l'appellent ses fidèles diplomates, qui aura le plus creusé, peut-être depuis Nixon, les divisions et fractures internes profondes de la société américaine et le plus accru les instabilités et insécurités internationales, peut-être depuis les Bush père et fils.

Inédit de par le nombre de participants aux élections: historique en 120 ans! Jamais autant d’Étasunien-ne-s ne se sont pressés aux urnes, ou n'ont voté par correspondance ou en différé, et ce malgré des centaines de milliers d'électeurs afro-américains ou hispaniques écartés encore du scrutin. Joe Biden, en particulier, décroche à lui seul la palme d'or avec le total le plus élevé des voix de tous les candidat-e-s à la présidentielle.

Cependant les Démocrates échouent de peu à reprendre la majorité au Sénat tandis que les Républicains manquent d'en faire de même à la Chambre des représentants. 50-50 ou 0 partout, la balle au centre.

Les jours qui viennent seront le temps de l'analyse fine et rigoureuse des résultats, indispensable à une compréhension de l'état politique et idéologique du pays et de ses corrélations sociologiques, et du rapport de forces qui maintenant pourrait faire clairement éclater le cadre du système électoral où le principe «un homme/une femme – une voix» n'est pas respecté, de même que le bipartisme rigide, Parti républicain – Parti démocrate, dont l'alternance était conçu pour garantir le pouvoir aux uniques intérêts de la classe bourgeoise étasunienne, les banques et les marchés.

Comme en 2016, Donald Trump ne remporte pas le vote «populaire» (c'est-à-dire le suffrage universel): avec plus de 69,5 millions de voix sur les 145,4 millions dépouillés, il accuse un retard de près de 4 millions de suffrages sur son concurrent, Joe Biden. Mais Donald Trump enregistre un gain notable sur 2016, et Joe Biden fait jeu égal dans de trop nombreux États pour pouvoir prétendre à un quelconque raz-de-marée en sa faveur.

Cela peut signifier que le calcul des dirigeants démocrates de miser sur un candidat centriste, âgé, «blanc», au programme classique, rassurant pour nombre de membres des classes dirigeantes et susceptible de rallier des voix trumpistes, n'emporte pas l'adhésion de celles et ceux qui exigent des changements forts portés par les mobilisations sociales et politiques de ces 5 dernières années.

Cela montre surtout, peut-être, que le trumpisme survivra bien à Donald Trump lui-même, et que le combat continue pour le peuple et les forces d'émancipation humaine et de transformation sociale non seulement pour contrer les forces ultraconservatrices et ultranationalistes, populistes et «illibérales», mais aussi pour peser sur la présidence de Biden auquel il ne suffira pas de trouver les bons mots de réconfort pour en finir, par exemple, avec le racisme institutionnel aux États-Unis et les violences policières ou les inégalités sociales qui ont encore explosé sous les effets des conséquences économiques de la crise sanitaire.

Le «trumpisme» est installé dans de larges segments de l'électorat «blanc», toutes classes confondues mais d'abord dans les classes dominantes ou moyennes inférieures comme supérieures; mais il rallie aussi des votes «noirs» et «hispaniques», particulièrement, cela a été relevé pour avoir fait la différence en Floride, parmi les anti-castristes cubains. Se contenter de cet instantané ne suffira pas à comprendre les dynamiques, souvent contradictoires, qui traversent le peuple. Dans certains États, où l'augmentation du revenu minimum à 15 dollars (soit près de deux fois le taux institué au plan fédéral) avait été plébiscité, Trump enregistre de très bons scores. Son «Amérique d'abord» sur le plan économique incarnerait-elle pour les électeurs - c'est l'une des contradictions à étudier - un choix plus crédible, plus efficace en temps de crise globale que le néolibéralisme porté par Joe Biden?

Enfin, faut-il comprendre que le manque d'enthousiasme sur la candidature de Biden qui l'aura empêché de remporter une victoire franche et nette, indiscutable, est la seule conclusion à tirer des résultats? Car on se souvient nettement que Bernie Sanders au cours de la course à la primaire était apparu, de par sa volonté de rupture avec les politiques libérales et sa dynamique de campagne, comme étant le mieux placé pour battre à plate couture Donald Trump ; l'histoire dira si 2020 aura été ce rendez-vous manqué mais, quoi qu'il advienne, date est prise.

Sylvie Laurent, historienne et spécialiste des États-Unis, voit dans l'élection de dizaines de représentants de la gauche de transformation (militant-e-s syndicaux, Black Lives Matter, militant-e-s féministes et LGBTQIA+, militant-e-s écologistes...) l'expression d'une vague de fond qui vient de loin et qui repose sur une nouvelle génération d'actrices et d'acteurs politiques et sociaux mobilisé-e-s pour changer en profondeur la société américaine et sa politique intérieure comme extérieure. Le vote Trump illustre, dit-elle, «les derniers sursauts d'une Amérique qui n'est déjà plus».

Que l'agonie, dans ce clair-obscur, nous semble longue mais le compte à rebours est bien lancé. Avec dignité et fermeté, les rues du pays résonnent d'un chant d'espoir: «Que la bête meure». Cette Amérique-là, c'est notre Amérique à nous.

Lydia SAMARBAKHSH
responsable du secteur International du PCF