Europe : pas d’aménagements, mais une autre construction européenne !

visuel_conseil-europe.jpg

Les évènements européens lancés à grand renfort de campagnes de presse et d’hyperboles laudatives se succèdent depuis un an. Certes, le discours est nouveau et la logorrhée technocratique bruxelloise mise en sourdine. Certes, des bougers sont visibles, et ils ne sont surtout pas à négliger s’il l’on veut apprécier finement la situation. Ils sont dû au fait que les classes dirigeantes européennes, dépourvues de projet unifiant sauf à essayer de faire payer la crise aux peuples, sont prises d’effroi devant le risque d’effondrement de la construction libérale européenne.

Que voit-on en réalité ?

Le « sommet historique » de juillet 2020 et le « plan de relance » européen ont trouvé laborieusement leur traduction définitive seulement le 1er juin dernier, onze mois plus tard, avec l’annonce de la première vague d’emprunts sur les marchés financiers. Ce plan est déjà dépassé. Le plan de relance de Biden l’a bien vite ringardisé. 750 milliards d’euros de ce côté-ci de l’Atlantique, 4700 milliards, si l’on cumule les trois plans du nouveau président américain, de l’autre côté.

Le « sommet social » de Porto des 7 et 8 mai derniers se termine par un « engagement social » indécent à la vue de l’ampleur de la crise sociale. Il ne fixe que des objectifs pour 2030 : 78% des 20-64 ans doivent avoir un emploi, au moins 60% des adultes doivent bénéficier d’une formation chaque année, le nombre de pauvres doit être réduit de 15 millions dans l’UE, sur 90 millions. De qui se moque-t-on ? Même la proposition de la Conférence Européenne des Syndicats de rendre contraignant le très modéré et euro compatible socle européen des droits sociaux a été jetée aux orties.

La conférence pour l’avenir de l’Europe, lancée le 9 mai dernier, affiche l’ambition de « donner la parole aux citoyens européens », tout en laissant à la présidence française de l’UE du premier semestre 2022, c’est-à-dire à Emmanuel Macron en campagne, le soin de formuler les propositions sur la base de ses travaux. Cela, d’ailleurs, suscite le scepticisme dans un certain nombre de pays européens, à l’image de l’Espagne.

Une partie des bourgeoisies européennes veut remettre en cause les critères de Maastricht. Chiche ! Mais le diable est dans détails. Plongeons-nous dans leurs publications. Le Conseil d’analyse économique rattaché à Matignon a publié,sous l’impulsion de Jean Pisani-Ferry, une note intitulée « Pour une refonte du cadre budgétaire européen (cae-eco.fr) » en avril 2021. Celle-ci préconise l’abandon pur et simple des critères budgétaires chiffrés uniformes (3% de déficit, 60% de dette, solde structurel à 0,5% du PIB) et leur remplacement par une cible quinquennale, propre à chaque État, fixée au niveau national par un organisme indépendant ; ce cadre pluriannuel serait validé et contrôlé au niveau européen par un Comité budgétaire européen indépendant et par le conseil ECOFIN (conseil des ministres de l’économie et des finances) qui pourrait rejeter un budget national. La marge de manœuvre des États est donc sévèrement limitée par le caractère pluriannuel du cadre, qui reprend le principe des Mémorandums et s’appliquerait également en cas de changement gouvernemental, et par le rôle fédéral renforcé du conseil ECOFIN.

Que cette formule soit finalement retenue ou non, elle démontre que les classes dirigeantes européennes sont à la recherche d’une voie qui sortirait l’UE libérale de sa panne stratégique, tout en sauvant l’essentiel de la construction libérale européenne, à savoir la monnaie unique, la concurrence libre et le marché commun. Pour ce faire, émergerait un fédéralisme de type nouveau, alliant un certain accroissement de la marge de manœuvre tactique des Etats et le renforcement des mécanismes de censure budgétaire.

L’enjeu est donc important, alors que les questions européennes feront partie intégrante de la campagne des élections de 2022 en France : celui d’ouvrir la voie vers une autre construction européenne et de la mettre dans le débat public. Ses principes doivent reposer non pas sur la mise en concurrence des travailleurs les uns contre les autres, mais sur la remise en cause des traités et règles libérales européennes, sur des coopérations entre peuples et nations souverains et associés, sur une réorientation des fonds européens vers l’emploi, les services publics, la souveraineté industrielle, la transition écologique, sous forme de prêts perpétuels aux Etats à 0%, sur l’alignement des droits sociaux et démocratiques vers le haut, et non pas une simple « harmonisation », sur des coopérations industrielles entre pôles publics, sur une refondation radicale de l’Euro, sur la mise sous contrôle démocratique de la BCE, sur la dissolution de l’OTAN et la constitution d’un espace commun de paix, de coopération et de sécurité collective avec les Etats voisins. Ce n’est pas une orientation incantatoire. L’enjeu de « l’Airbus du vaccin » souligné par Fabien Roussel est une revendication très directe ; celle d’un pôle public du médicament au niveau européen qui sera débattu lors des Assises du médicament que le PCF organise le 10 juin prochain en est une autre.

En d’autres termes, ce ne sont pas des aménagements restant dans la logique libérale dont nous avons besoin, mais bien d’une autre construction européenne.

Vincent Boulet
responsable des questions européennes du PCF