Inflation et pouvoir d’achat – Quelles causes et que faire ?

Une inflation qui n’est pas transitoire et exige de commencer à changer de logique

E. Macron, E. Borne, leurs ministres et les médias dominants prétendent que l’inflation et l’énorme souffrance du pouvoir d’achat est un problème transitoire qu’il suffit de régler avec quelques rustines et « chèques cadeaux » que, soit dit en passant, il fera payer par les couches moyennes salariées.

Au contraire, le pouvoir d’achat est une question politique qui nécessite de changer de logique par des mesures immédiates, mais ouvrant vers un changement de système. Au cœur de celles-ci, la question des salaires et de l’emploi, et donc des entreprises qu’on abreuve d’aides publiques en leur laissant « toute liberté ». Mais c’est aussi la question des services publics et des revenus de « remplacement » écrasés (retraites, minima sociaux, allocations formation) car les entreprises refusent de les financer, d’embaucher et de payer correctement. Il faut s’opposer au capital en agissant sur les gestions des entreprises qu’il domine. On peut l’engager immédiatement.

Un pouvoir d’achat mis en cause par l’inflation et par des revenus insuffisants

Le pouvoir d’achat est attaqué à deux bouts : 1. la hausse des prix s’emballe et atteint des taux jamais vus depuis des décennies, 2. les revenus sont attaqués par le blocage salarial engagé depuis longtemps, par le mitage de l’emploi (chômage, précarité) et des dépenses sociales.

Le prix du carburant atteint des sommets ainsi que celui de l’électricité (+28 % en moyenne pour l’énergie à la consommation), certains produits alimentaires aussi (jusqu’à +40 % pour les pâtes), mais aussi pour les entreprises celui de l’électricité industrielle (+50 %) ou du lithium (x5 en un an !) ou du cuivre. En un mois, avec quatre pleins d’essence, une facture d’électricité, de gaz et un loyer, un Smic est quasiment absorbé.

Plus généralement, la hausse de l’ensemble des prix à la consommation (inflation) accélère et dépasse 5 % en France (5,2 %), dépasse les 8 % en Allemagne (8,7 %) et pourrait atteindre les 10 % aux États-Unis. Elle est très élevée dans les pays émergents et du Sud (et même 70 % en Turquie). Les prix industriels inter-entreprises ont augmenté de 30 % en un an (énergie +60 %).

Au total, l’inflation attaque le pouvoir d’achat « il a même reculé de 1,9 % au premier trimestre, d’après l’Insee, recul historique» car les salaires et les revenus de remplacement (retraites, minima sociaux…) progressent moins vite que les prix des biens (dont le carburant), des services (dont le logement et l’énergie). En outre, une part importante de la consommation échappe de plus en plus aux services publics gratuits (santé, éducation) ou bon marché (Sncf, Edf).

Une inflation du capital et de l’insuffisance de développement humain et écologique

Cette inflation est une inflation du capital, des profits et de l’insuffisance de développement des capacités humaines (emploi, services publics) et écologiques : 1. La valeur du capital est hyper-gonflée financièrement (+60 % en 2 ans, pour le CAC 40) et il est suraccumulé. 2. Pour maintenir son taux de profit, il demande donc plus de profit, en augmentant ses marges. 3. En spéculant. 4. L’insuffisance de la production (PIB) devient patente face à l’énormité de la masse de monnaie qui a été créée. 5. Cette production insuffisante est liée à l’insuffisance criante d’embauches et d’emploi et aux pénuries de certains composants. 6. Elle se conjugue avec l’insuffisance des services publics. 7. Tandis que la production est plus que jamais consommatrice de matières premières (lithium, cuivre, hydrocarbures…).

Une exaspération de la crise

Après une longue période d’inflation financière (capital, immobilier) depuis le milieu des années 1980, mais dont l’effet sur les prix a été masqué par la déflation salariale et sociale, on a une sorte d’emballement structurel des prix. On ne renoue pas avec l’inflation des débuts de la crise systémique de suraccumulation des années 1970. L’emballement semble être en partie d’une nouvelle nature car l’insuffisance de développement humain et écologique s’exaspère, ainsi que les limites de la globalisation néolibérale, tandis que le gonflement du capital par toutes sortes d’aides et par la spéculation financière atteint des niveaux inouïs. Cela fait exploser les prix. S’y concentrent l’ensemble des maux systémiques de la crise, d’autant plus que les salaires et revenus de remplacement ne suivent pas. La réponse à la pandémie et à la crise a considérablement élargi le déséquilibre entre l’excès d’offre de monnaie soutenue par les banques centrales et l’inefficacité sociale de l’offre de biens et services utiles engendrée par l’obsession de rentabilité financière déchainée par le choc pandémique. La course des multinationales pour financer leur R&D par des marges accrues de profits, la R&D pour des sauts technologiques dans plusieurs secteurs (aéronautique, automobile, semi-conducteurs, IA, médicament, etc.), vient encore envenimer les choses.

1. Causes (résumé)

• Déclenchement de l’inflation :

- Sortie des confinements : Chaînes mondiales d’activités désorganisées + production insuffisante car on n’embauche pas et on ne forme pas assez.

- Spéculation sur les matières premières (pétrole, gaz, lithium, cuivre) et alimentaires (démultipliée par la guerre en Ukraine)

• Explication

- Les masses d’argent (aides + création monétaire BCE) sont allées aux profits, pas à l’emploi, très peu à la production. Or, beaucoup plus de monnaie pour la même production entraîne, toutes choses égales par ailleurs, des prix plus élevés de cette production.

- Une production qui consomme toujours plus de matières premières, parce que les entreprises n’ont pas engagé de véritable transformation productive

• Raison profonde : la domination du capital

- L’envolée de sa valeur (+60 % en 2 ans) exige que, pour au moins maintenir son taux de profit, il augmente ses profits, gonfle ses marges.

- Ses pouvoirs dans les entreprises, les banques et sur les aides d’État lui permettent de s’opposer à une utilisation de l’argent (aides publiques, crédit) pour l’emploi, les salaires, le pouvoir d’achat, les services publics.

- Il spécule, délocalise, investit contre l’emploi, accumule toujours plus.

2. Remèdes de fond (que viser) :

Augmenter l’ensemble des salaires (dont le SMIC, mais pas seulement).

Développer l’emploi. En obtenant des entreprises qu’elles créent des emplois et développent la formation des salariés, ce seront des centaines de milliards de richesses supplémentaires qui seront créées, et qui permettront d’augmenter les salaires sans risque inflationniste.

- Qualifier, former et rémunérer la formation.

- Développer les services publics (santé, éducation, transports, énergie, logement social…).

- Engager un tout autre type de production, écologique et sociale.

3. Propositions. Réponses

Immédiates qu’un gouvernement peut mettre en œuvre dès l’été.

- Salaires et revenus publics + Smic : Augmenter le Smic (1 900 euros brut, 1 500 net, en mensuel).

- Augmenter le point d’indice des fonctionnaires (+10 % tout de suite, aller vers +30 %).

- Augmenter les minima sociaux et les retraites, faire bénéficier les plus de 18 ans des mêmes droits que tous les adultes (RSA…).

Jeunes

- Instaurer un revenu d’autonomie-formation supérieur au seuil de pauvreté, pour tous les jeunes de plus de 18 ans s’engageant dans un projet de formation.

- Rémunérer les stagiaires et apprentis à 80 % du Smic horaire.

Financement et leviers

- Salaires des entreprises : Conditionner les aides publiques aux entreprises (100 à 200 Md€, selon les estimations) à des augmentations salariales conséquentes, nettement supérieures à l’inflation, et à l’instauration de l’égalité salariale femmes-hommes. Cette mesure peut être appliquée immédiatement, par décret, plus rapidement que les conclusions de négociations salariales. Exemple : Carrefour bénéficie de 700 millions d’exonérations sociales issues de l’ex-CICE, soit 7 000 euros par salariés !

- PME-TPE : Mobiliser le système de bancaire (notamment public) pour appuyer les TPE/PME dans cette augmentation des salaires, avec des taux de prêt d’autant plus bonifiés que leurs investissements développent les salaires et l’emploi.

- Emploi : Engager immédiatement des « pré-recrutements » de jeunes à l’hôpital (jusque 100.000) et à l’éducation nationale (jusque 60.000), dans un cadre revalorisé (salaires temps et conditions de travail) : c’est-à-dire une entrée en formation spécifique, un présalaire durant cette formation et un engagement d’emploi après la formation, en contrepartie d’un engagement du jeune à y travailler un certain nombre d’années.

- Financement : Mobilisation du pôle public bancaire existant déjà (à élargir par la suite avec des nationalisations) pour alimenter un Fonds national, puis européen, de développement des services publics pour les financer par des avances à 0 % issus des crédits de la BCE. Ces avances financeraient notamment les pré-recrutements et le Fonds reprendrait les dettes passées (hôpital, Sncf…) pour que ses intérêts tombent à 0 %.

Réunion d’une conférence salaires, emploi, formation et transformation productive (et pas seulement salaires), instaurant des conférences permanentes de suivi (puis à terme d’élaboration).

Prix

- Bloquer les loyers et les prix d’un certain nombre de produits de première nécessité.

- Instaurer une transparence sur la formation des prix et des marges (il ne s’agit pas de figer certaines marges de la grande distribution au détriment des petits producteurs), avec des comités de suivi par département munis de pouvoirs contraignants, une obligation d’information des travailleurs dans les entreprises par le patron, un droit de saisine de ces comités par les représentants élus des travailleurs ou les représentants de la population (cf. projet de loi Chassaigne « visant à encadrer les marges de la grande distribution et à garantir le revenu des agriculteurs »).

Spéculation et marchés

- Suspendre et remettre en cause le fonctionnement du « marché » européen de l’électricité (aujourd’hui tarifée en instantané au prix de l’énergie la plus chère !).

- Interdire l’achat à terme « à découvert » de matières premières et alimentaires, en France ; porter cette mesure dans l’UE et au niveau mondial (comme une mesure temporaire pour permettre son application immédiate).

- Mobiliser les stocks alimentaires européens et mondiaux existants.

Dollar

- Porter la proposition de ne plus libeller les achats internationaux en dollar, mais dans une monnaie commune mondiale nouvelle, non soumise au dollar.

Moyen terme

- Le financement de ces mesures se fait par des avances qui seront recouvrées sur la croissance d’activité à venir, et ne nécessite pas d’impôts spécifiques en regard.

- Nationalisation d’entreprises stratégiques et de poids.

- Une autre politique du crédit.

- Engager une véritable transition écologique et sociale des entreprises et de la production.

- Institutions de suivi et de planification décentralisée, sociale et écologique : des conférences permanentes démocratiques « Emploi, salaires, formation, transformation productive » nationale et décentralisées dans tous les territoires, où sont pris des engagements, qui disposent d’un levier financier (crédit + aides publiques) et organisent un suivi du respect des engagements, avec la possibilité de pénaliser ou de renforcer les aides.

4. Initiatives (du PCF)

- Conférences de presse dans tous les départements, qu’ils aient des candidats communistes ou pas, selon les cas, faisant connaître nos propositions et celles déposées par nos députés durant la mandature précédente.

1. Interpellation de l’État (préfets, délégation nationale ?) pour exiger une autre conditionnalité des aides publiques.

2. Interpellation des banques pour exiger d’autres critères à leurs prêts.

3. Interpellation de l’État et des ARS pour engager des pré-recrutements immédiats.

4. Interpellation pour la création d’un Fonds de financement des services publics, français puis européen, à 0%, avec le pôle public bancaire et les crédits du la BCE.

- Un appel national (sur change.org) à soutenir ces quatre points.

- AG des communistes pour les mobiliser, les outiller, les former et tenue d’une campagne nationale du PCF qui ira au-delà des législatives.µ

 

Frédéric Boccara et Commission économique

le 29 mai 2022

 

Propositions de loi (PPL) des députés communistes sur ce sujet :

- PPL déposée en octobre 2021 "visant à lutter contre les inégalités salariales" : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4593_proposition-loi#

- PPL déposée en septembre 2021 "visant à étendre l’allocation de rentrée scolaire aux parents d’enfants en maternelle": https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4473_proposition-loi#

- PPL déposée en mai 2021 "pour des mesures d’urgence en faveur des intermittents de l’emploi" : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4138_proposition-loi#

- PPL déposée en octobre 2020 "visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité"

- PPL déposée en janvier 2019 "visant à augmenter le salaire minimum et interprofessionnel de croissance et les salaires en accompagnant les très petites entreprises et petites et moyennes entreprises" : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b1610_proposition-loi#

- PPL déposée en mai 2016 par A. Chassaigne « visant à encadrer les marges de la grande distribution et à garantir le revenu des agriculteurs : https://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/propositions/pion3681/(index)/propositions-loi/(archives)/index-proposition