Iran : L’élection d’Ebrahim Raïssi, un nouveau coup de force du régime

Une élection présidentielle s’est déroulée le 18 juin en Iran dans un climat de mécontentement général face à la crise économique, sociale et sanitaire.

À la prévarication, à la corruption et à la mauvaise gestion structurelle des dirigeants s’ajoutent les sanctions illégales américaines qui écrasent le pays et placent Téhéran en marge de la scène internationale. En dépit de la permanence des conflits sociaux, des révoltes quotidiennes mais aussi de l’immense aspiration au changement, il serait hasardeux de faire des projections sur les évolutions ultérieures. Si le peuple iranien est largement ouvert au dynamisme du monde, il demeure attaché aux traditions nationales et religieuses, si bien que le régime dispose encore de capacités de résistance.

Le coup de force du Conseil des Gardiens de la Constitution

Depuis la révolution, les partisans du régime se divisent en trois pôles qui peuvent être en rivalité : le clergé chiite, les Gardiens de la Révolution (pasdarans) et les technocrates civils. Le clergé, qui se sait aujourd’hui impopulaire, est dans une fuite en avant pour se maintenir au pouvoir.

En Iran, les candidats à la présidentielle sont sélectionnés par les religieux du Conseil des Gardiens de la Constitution. Cette institution s’est livrée à un véritable coup de force en verrouillant le scrutin puisqu’elle a éliminé tous les prétendants qui n’ont pas été jugés loyaux envers la République islamique, c’est-à-dire les réformistes et les conservateurs modérés, si tant est que cette distinction puisse encore avoir un sens aux yeux des Iraniens. Sur les sept postulants retenus, on compte cinq ultra-conservateurs et deux personnalités modérées très peu connues du public.
Le Guide suprême, Ali Khamenei, les factions cléricales et conservatrices ont pesé de tout leur poids pour que l’ayatollah Ebrahim Raïssi devienne le prochain Président de la République. Ultraconservateur, il occupe le poste de chef de la Justice et a su montrer qu’il percevait les activistes comme des menaces pour le système privilégiant la répression et la violation des droits humains. Il était le procureur révolutionnaire qui a ordonné de massacrer, dans les prisons, des milliers d’opposants de gauche en 1988.

Une élection au service d’un projet politique

Même si le Président de la République ne dispose pas de pouvoirs majeurs, l’importance des enjeux explique ce blocage du scrutin. Les ultra-conservateurs s’emploient à corseter toutes les évolutions en contrôlant tous les pouvoirs, notamment dans la perspective de la succession du Guide suprême, âgé de 82 ans. Ils doivent également endiguer la colère des couches populaires qui se sont soulevées entre 2017 et 2018 et en novembre 2019. La crise a amené les insurgés à remettre en cause le système politique. Dans les débats télévisés, les candidats triés sur le volet ont éludé cette question. Les dirigeants actuels souhaitent circonscrire le champ des négociations de Vienne à la seule question du nucléaire et il en va de même pour les activités bancaires pouvant mettre en évidence des avoirs illicites accumulés par certains d’entre eux.

Plus fondamentalement, la mainmise sur tous les organes de pouvoir vise à instaurer un projet plus global confortant le principe de Velayat-el Faqih (supériorité du religieux sur le politique). Ali Khamenei souhaite transformer la république en régime islamique. L’élimination du républicanisme va de pair avec l’exclusion de toute idée de citoyenneté et vise à fonder une civilisation basée sur des valeurs exclusivement religieuses.

Sans surprise, Ebrahim Raïssi a remporté les élections avec 61,9 % des voix. Mais la perte de légitimité du régime islamique, les crises et l’absence d’alternatives ont amené les Iraniens à s’abstenir massivement. La participation s’élève à 48,8 %, ce qui constitue le taux le plus bas depuis 1979. Cette situation pourrait, dans la durée, fragiliser Ebrahim Raïssi face aux autres factions au pouvoir.

L’Iran face à de nouveaux défis

Le redressement économique et les évolutions stratégiques régionales dans un rapport de force inédit constitueront les priorités du nouveau gouvernement.

L’échec de la politique d’Hassan Rohani, après le retrait des États-Unis de D. Trump de l’accord sur le nucléaire, a plongé l’Iran dans une violente récession, a provoqué la fuite des investisseurs et une chute des recettes pétrolières. L’accord de Vienne avait pour objectif d’encadrer la surveillance des activités nucléaires iraniennes afin que le programme civil ne débouche pas sur la fabrication de la bombe atomique. En échange, Téhéran pouvait bénéficier d’un assouplissement des sanctions. Téhéran a depuis riposté en faisant tourner ses centrifugeuses débordant le cadre d’un programme civil. Toutes les parties ont actuellement la volonté de voir aboutir les discussions.

De sa réactivation dépend le redressement économique dont les conservateurs entendent tirer profit. La concrétisation de contrats avec la Russie et la Chine, avec lesquelles l’Iran entretient des rapports stratégiques, en découle également. Le partenariat avec Pékin demeure le plus prometteur. Il prévoit des investissements massifs (métro, télécommunications, chemins de fer, pétrole, mines) en contrepartie d’un approvisionnement stable en pétrole. De semblables accords ont été signés avec l’Irak, l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Les dirigeants iraniens, qui font preuve d’un certain pragmatisme, n’excluent pas de renouer leurs relations commerciales avec des entreprises européennes.

Enfin, même si la présence iranienne en Irak, en Syrie et au Liban structure l’hostilité d’une nébuleuse qui réunit l’Arabie Saoudite, Israël et les États-Unis, de sensibles évolutions se dessinent à l’échelle régionale qui pourraient avoir un impact significatif sur la situation. Un timide dialogue s’est en effet engagé entre Riyad et Téhéran ouvrant la voie à une possible détente.

Les Iraniens attendent peu de choses de l’élection d’Ebrahim Raïssi, mais la levée d’une partie des sanctions constituerait un soulagement pour une population exsangue.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient