L’été des festivals… et après ?

Le 28 avril, Édouard Philippe annonçait l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes jusqu’à la mi-juillet. Le Festival d’Avignon, celui d’Aix-en-Provence, le Printemps des comédiens, Solidays, Rock en Seine, Les Nuits de Fourvière, le Printemps de Bourges, Hellfest, la quasi-totalité des festivals de l’été 2020 est annulée. Quelques-uns ont pu se maintenir au prix d’une programmation réduite et en se « réinventant ». Des événements ont été repensés, déplacés en extérieur, des mesures sanitaires drastiques et de « distanciation » ont été prises. Mais le compte n’y est pas.

Les difficultés rencontrées par les festivals pendant la crise du Covid ont révélé les contradictions de la vie culturelle française, entre un modèle vu prioritairement sous un angle économique et touristique, et les attentes des politiques culturelles et la dimension structurante des festivals sur les territoires. L’offre de festivals est proliférante en France, signe de la richesse de sa création artistique, mais dans une grande dépendance des équipes artistiques à ce « marché » de l’événementiel, dépendance qui s’avère contradictoire avec la « permanence artistique » nécessaire aux équipes comme au développement culturel des territoires. Les festivals sont pris dans des enjeux de communication territoriale liés au tourisme, au commerce local, à l’emploi saisonnier et n’échappent pas à l’instrumentalisation économique et politique de la culture.

Leur impact sur l’économie des communes est clair : on considère qu’un euro investi dans un festival procure à son territoire d’accueil des retombées économiques pouvant aller jusqu’à 5 euros. Une étude de l’IRMA de 2016 portant sur 8 festivals de musique des Pays-de-Loire indiquait que pour un total de subventions de l’ordre de 2,1 M€, les retombées directes sur les territoires s’élevaient à plus de 9 M€. Autre festival de cette région, le fameux Hellfest, bien connu des amateurs de métal et autres « musiques extrêmes », engendre quant à lui plus de 20 M€ de retombées économiques, sans commune mesure avec les modestes subventions qu’il reçoit.

Le Festival d’Avignon a dû annuler sa 74e édition, et son « off » aurait pu cette année rassembler plus de 1 500 spectacles. Si la plupart des « grandes » productions nationales et internationales ne sont pour l’essentiel que différées, il n’en est pas de même pour les centaines de créations du Festival Off, pour lesquelles Avignon constitue un « marché du spectacle » qui conditionne souvent la vie économique des compagnies pour une ou deux saisons. Ce sont des centaines de spectacles qui ne verront pas le jour. Notons que la direction du Festival vient d’annoncer du 23 au 31 octobre 2020 la tenue de la « Semaine d’art en Avignon », clin d’œil au nom donné en 1947 par Jean Vilar à ce qui allait devenir le Festival d’Avignon. 7 spectacles pour 35 représentations, des débats, des rencontres… Belle initiative, mais qui ne suffira pas à juguler l’hémorragie des productions annulées et reportées, et il est hautement improbable qu’un « off » puisse y trouver place.

Lors de sa visio-conférence du 6 mai dernier, Emmanuel Macron, tout en livrant son étonnante vision du déconfinement du monde de la culture, a égrené diverses mesures financières et sociales de soutien à la culture, dont celle – bien venue – de la prolongation au 31 août 2021 des droits aux intermittents (pour lesquels les décrets se font attendre, ce qui n’est pas pour rassurer). Invitant les artistes à « se réinventer », le Président constate doctement qu’il faudra « collectivement s’adapter »… et alors qu’Avignon prend la décision d’annuler, dans la foulée est décidée l’ouverture du Puy du Fou !

Au-delà de la question des festivals d’été, il est clair qu’il relève de la responsabilité de la puissance publique de mettre en place un plan d’urgence en faveur des activités artistiques et culturelles dans leur globalité. C’est ce que demandent l’ensemble des organisations professionnelles. Ces urgences, clairement identifiées, passent notamment par un accompagnement renforcé aux équipes artistiques du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma afin de compenser non seulement les pertes de recettes mais aussi les surcoûts occasionnés par les mesures sanitaires indispensables. Ce plan devra en premier lieu accompagner la reprise de l’activité artistique : commandes publiques, résidences de création, aides à la création, soutien aux tournages… C’est l’avenir de la création comme celui du service public de la culture qui sont en jeu aujourd’hui.

Et bien évidemment, au-delà de ce « plan d’urgence », c’est toute la politique culturelle de l’État et de l’ensemble des pouvoirs publics qui est à remettre sur le métier. Après la bien venue « Convention citoyenne pour le Climat », n’est-il pas temps de lancer la « Convention citoyenne pour la Culture » ? 

Nous pourrions la nommer « États généraux de la culture »… 

Jean-Jacques Barey, Mirabelle Rousseau