La Chine, l’ONU, le multilatéralisme et le monde émergent, cibles de Trump

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Le coronavirus est devenu pour les États-Unis un nouveau facteur de conflit avec la Chine. La confrontation, déclenchée d’abord sur le front commercial puis sur celui de la haute technologie, est portée avec fracas sur le terrain de l’idéologie par un Trump à la recherche d’un bouc émissaire. Au moment où le peuple américain réalise l’ampleur et l’impact de la pandémie sur son territoire, son président multiplie les charges contre Pékin l’accusant de «dissimulation» et de «violation du Règlement sanitaire international». On assiste à une politisation extrême de la pandémie enclenchant une polémique, insupportable au vu de la meurtrière situation planétaire, actuelle mais aussi à venir, propre à faire replonger une opinion publique, dans un état d’esprit de type «guerre froide» d’un monde bi-polaire. L’arsenal de propagande auquel les États-Unis sont accoutumés pour briser tout ce qu’ils considèrent comme ennemis potentiels - un rappel s’impose sur les manipulations qui ont conduit à l’agression contre l’Irak et aux divers coups d’État en Amérique latine - est réquisitionné. La théorie du complot resurgit notamment visant cette fois un laboratoire de recherche biologique de Wuhan, d’où se serait échappé le Covid-19. En dépit des récusations de la communauté scientifique, la rumeur s’étoffe.

Un think-tank réactionnaire britannique la «Henry Jackson Society» a proposé de poursuivre le gouvernement chinois devant les tribunaux internationaux, pour réclamer des dommages et intérêts encourageant le Royaume-Uni à déposer plainte devant la Cour permanente d’arbitrage de la Haye, pour rupture des engagements sanitaires. Ce que laisse entendre Dominic Raab, secrétaire des Affaires étrangères britannique lorsqu’il assure que Pékin devra «rendre des comptes». Le sénateur républicain Josh Hawley, et plusieurs membres du Congrès des États-Unis, ont initié une «enquête internationale» sur la gestion de l’épidémie par le Parti communiste chinois. L’État du Missouri vient de déposer plainte contre la Chine pour «avoir caché des informations cruciales» et d’être «responsable d’une pandémie mondiale inutile et évitable». Dans la foulée, quelque dix mille citoyens des quatre coins du monde ont chargé des avocats d’introduire une action en justice contre Pékin. Ils réclament des dédommagements de plusieurs trillions de dollars. Loin de prendre ses distances avec cette campagne et de tenter de promouvoir la coopération et la solidarité internationales qui s’imposent, le président français jetait de l’huile sur le feu en affirmant sans autre argument valable, dans une interview au Financial Time: «des choses se sont passées (en Chine NDLR) dont nous ne sommes pas au courant».

Pour les puissances néo-libérales, il devient de plus en plus impératif de traîner la Chine sur le banc des accusés: l’épidémie leur fournit de nouveaux griefs s’ajoutant à leur mise en accusation fondamentale contre Pékin: celle de ne pas respecter un mode de développement et une mondialisation version «consensus de Washington». Deux facteurs ont particulièrement irrité les États-Unis et leurs alliés. Après de graves retards pris à ses débuts dans la gestion de la crise sanitaire et reconnus, le gouvernement chinois n’a pas hésité à mettre en berne sa croissance économique pour répondre à l’urgence sanitaire par une mobilisation nationale d’une ampleur exceptionnelle. Tous ces efforts ont été salués comme ayant contribué à la maîtrise de l’épidémie par l’Organisation mondiale de la Santé et notamment par la revue «Science». Mais durant ces semaines cruciales durant lesquelles la Chine puis ses plus proches voisins faisaient face à un virus inconnu, les pays développés regardaient avec hauteur les alertes lancées par Tedros Adhanom Ghebreyesus, pour généraliser les tests, tracer les malades, les isoler et fournir les équipements de protection. Avec une certaine condescendance, ils sont apparus plus enclins à se croire à l’abri de telles épidémies qui frappent habituellement les pays émergents. L’inertie dont on accable aujourd’hui l’OMS apparait comme un justificatif à postériori de leurs politiques sanitaires désastreuses alors que le virus passait les frontières. Ces fiascos d’État tant en Europe qu’aux États-Unis, ont fragilisé la position dominante de ces pays. Alors que l’Union européenne se mettait aux abonnés absents et que Trump ne jurait que par la logique économique, la Chine vivant une très timide sortie de crise proposait au reste du monde, non sans relais médiatique, une aide médicale aussitôt requalifiée de «diplomatie des masques» et d’«outil de propagande». A l’arrivée de l’aide en Italie, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell s’agaçait (24 mars) d’une “politique de la générosité”. “La solidarité, ça ne s’instrumentalise pas”, renchérissait la secrétaire d’État aux Affaires européennes Amélie de Montchalin (29 mars), en accusant la Chine de “mettre en scène” les secours apportés. Il est vrai que la vidéo partagée dans les réseaux sociaux d’un employé de la société italienne Svecom à Montecchio Maggiore, hissant le drapeau chinois à la place de celui de l’UE a fait grincer des dents à Bruxelles.

Dans cette levée de boucliers, la proposition du gouvernement chinois faite au G20 d’organiser une coopération internationale sanitaire et de prendre des initiatives communes pour que le monde entier puisse s’en sortir n’a pas trouvé d’écho dans les capitales occidentales. Il en est de même de l’appel du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres d’un «cessez-le-feu mondial immédiat» pour faire face à un ennemi commun: le COVID-19. Pire que ce silence: les salves de Trump contre l’OMS et son directeur général accusé de collusion avec Pékin .Un prétexte pour suspendre la contribution américaine déjà envisagée et une agression directe, au-delà de la cible que constitue son grand rival asiatique, contre toutes les institutions internationales de l’ONU, garante du multilatéralisme dont la Maison Blanche ne veut pas entendre parler. À l’heure où la communauté internationale doit se rassembler, les manipulations politiques trumpistes sont la dernière chose dont le monde a besoin. L’ampleur de la crise pandémique, comme l’ensemble des défis planétaires à relever, exige une réponse collective. Une vision que la Chine défend et qui en fait un «pôle d’attractivité» dans un monde émergent, largement démuni sur le plan sanitaire, économique et alimentaire et sous la pression des règles de la mondialisation capitaliste et financière. Et ce monde veut se faire entendre. Ce qui vient de se passer lundi dernier à l’Assemblée générale de l’ONU est à ce titre significatif. Une résolution avancée par le Mexique proposant un «accès équitable» aux «futurs vaccins», et soutenant le rôle crucial joué par l’OMS a été adoptée à l’unanimité. Les dispositions de confinements adoptées ayant modifié les règles de vote, les États-Unis n’ont pas réussi à bloquer le texte. Un camouflet pour Trump, peut-être un grand pas pour l’humanité.

Dominique BARI
membre de la Commission des relations internationales du PCF
ancienne correspondante de l'Humanité en Chine