La crise malienne expliquée par le Pr Issa N’Diaye

Mercredi 27 novembre 2019, le professeur Issa N’Diaye a été auditionné par le secrétariat du secteur international du PCF et les membres du collectif Afrique sur la situation économique, politique et sécuritaire au Mali et dans la région sahélienne.

Issa N’Diaye, ancien ministre de l’Éducation du Mali, est un acteur de premier plan du mouvement démocratique de son pays. Il est également un militant associatif, président du Forum Civique qui est un «espace de réflexion et d’action». Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et livres et est régulièrement sollicité par la presse nationale et internationale pour livrer son analyse sur la situation de son pays et de toute la région sahélienne. Ces deux derniers ouvrages* en date, publiés avec le concours de la Fondation Gabriel Péri, sont des chroniques du processus de décomposition de l’État et de la démocratie au Mali.

Au cours de son exposé, Issa N’Diaye a abordé divers aspects de la crise qui secoue le Mali et notamment l’émergence politique des religieux; les accords d’Alger, le projet de révision constitutionnelle et les risques d’ethnicisation des institutions et de l’armée avec la régionalisation envisagée; le dialogue national; les causes de la faiblesse de l’armée malienne; l’intervention militaire française et son arrière-plan stratégique et politique dans le contexte d’un État faible et d’une économie minée par le trafic de drogue; la question de la réforme du franc CFA.

Issa N’Diaye décrit une situation tendue et complexe marquée par l’extension de l’insécurité, des violences à répétition contre des civils, attaques contre les forces armées maliennes et étrangères. Il y a un sentiment d’abandon des populations et d’inefficacité des forces étrangères. D’où le rejet de la force française Barkhane et des troupes de l’ONU par de nombreuses couches de la société. À l’intérieur du pays, des populations érigent des barricades sur les routes pour entraver la circulation de ces troupes. Des marches de protestation sont organisées contre la présence militaire étrangère dans les villes et notamment à Bamako. Des slogans anti-français sont allègrement repris et des figures respectées de la société établissent un lien direct entre l’insécurité et la présence des troupes françaises et onusiennes. L’armée malienne qui est formée depuis plus de cinq ans par des experts européens reste extrêmement faible face aux attaques des groupes armés djihadistes. Ses positions sont attaquées avec à la clé à chaque fois des pertes importantes en vies humaines dans ses rangs.

Au nord du Mali, à Kidal, c’est le statu quo: l’État n’y exerce pas sa souveraineté, ce qui amène de nombreux Maliens à soupçonner une complicité entre les forces françaises et les mouvements armés touaregs. Issa N’Diaye estime que l’accord d’Alger est rejeté par les populations, alors que les pressions de la France et de l’ONU pour son application sont de plus en plus fortes. De son point de vue, cet accord, s’il est appliqué en l’état, aura pour conséquence de conduire à la partition du pays sur des bases ethnico régionalistes.

Pour Issa N’Diaye, il faut en finir avec les discours qui nient les convoitises sur les ressources minières et parfois même leur existence et penser à un changement stratégique. Il estime indispensable de faire aboutir le dialogue national et de reconstruire l’État malien sur des bases démocratiques et républicaines. Il plaide pour le respect de la souveraineté nationale et la franche collaboration avec la France et les autres acteurs extérieurs. Pour lui, il est maintenant établi que malgré la présence de la force Barkhane et ses 4 500 hommes et de la Minusma et ses 13 000 soldats, le Sahel connaît une déstabilisation lente et diffuse. Le scénario que l’on pouvait redouter au lendemain de l’intervention militaire française au Mali se déroule dangereusement. Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec. Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude pour aller et venir et occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier. Pour Issa N’Diaye les solutions sont ailleurs, dans la réponse aux immenses défis sociaux, économiques, environnementaux, pour donner des perspectives aux Sahéliens, singulièrement aux jeunes.

Félix ATCHADE
Collectif Afrique du PCF

 

* Issa N’Diaye: Démocratie et fractures sociales au Mali, tome I : Silence, on démocratise!, 228 p. ; tome II : Le festival des brigands, 314 p., Éditions La Sahélienne, Bamako, 2018