La loi du profit et l’instrumentalisation des Etats par temps de crise

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Le FMI parle maintenant de « planification » ; l’Union européenne de « stratégie industrielle ». Le langage est très nouveau dans la bouche des hérauts de la mondialisation capitaliste. Est-ce un retournement de situation ? Les classes dirigeantes, prises de vertige face à l’ampleur de la crise, ont été contraintes de mettre en sourdine les dogmes libéraux, allant jusqu’à en « suspendre » certaines et maintenant à évoquer des « réformes » des sacro-saintes règles européennes, comme l’a proposé Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes. Elles sont également face à une crise d’hégémonie qui se manifeste, entre autres, par l’ampleur de la crise démocratique, de la rupture entre gouvernants et gouvernés, la poursuite des mobilisations, mêmes relatives en terme de nombre. Il ne faut pas s’arrêter aux expressions, ni tomber dans la naïveté, mais essayer d’analyser les mouvements structurels qui sous-tendent cette évolution, et ce qu’ils impliquent pour les luttes et le monde du travail.

Il y a deux mouvements qui s’imbriquent, et de cette imbrication peut émerger de nouvelles contradictions. D’une part le fait que la phase néolibérale de développement du capitalisme est sans doute en train de se refermer ; d’autre part que le capitalisme est toujours aussi structuré autour de la loi du profit, plus précisément, en cette période de crise, du retour vers le profit. Autrement dit, la contradiction fondamentale du capitalisme entre le profit et les débouchés joue à plein.

Dans ce contexte, les bourgeoisies sont face à un dilemme, entre la nécessité de maintenir pour un temps des conditions financières faciles pour les investissements et la reprise économique, et celle de protéger le système financier des conséquences possibles et involontaires de leurs politiques.

Deux problèmes découlent de ce dilemme :

  • De savoir comment mettre fin, à un moment donné, à la politique du « quoiqu’il en coûte » et à l’augmentation des dettes publiques.
  • D’éviter que la reprise se fasse dans un climat de concurrence trop débridée. C’est un des facteurs qui expliquent le ralliement du FMI à la « planification » et de l’Union européenne à la « stratégie industrielle ».

En effet, derrière tout cela se trouve la nécessité de rétablir les profits. Plusieurs leviers sont possibles.

  • Celui de se préparer à l’évolution des rapports de force internationaux, à la recomposition en cours de l’ordre du monde et d’y répondre, bien évidemment du point de vue des intérêts des classes dirigeantes.
  • Celui de l’automatisation, du développement des technologies numériques, du télétravail, de l’économie de la donnée. Mais cela nécessite des investissements et un effort en recherche et développement. C’est d’ailleurs un des axes de la politique de la commission européenne, et du récent rapport adopté par le Parlement européen « sur une stratégie européenne pour les données ».
  • Celui des licenciements et de l’augmentation du temps de travail, en cherchant à modifier les rapports de force au détriment du monde du travail. La multiplication des plans de licenciements, qui ont été multiplié par trois en 2020 par rapport à 2019, l’illustre dramatiquement.

Les classes dirigeantes attendent donc des États, ou des institutions régionales comme l’UE, de développer des politiques permettant de répondre à leur dilemme. Les recommandations du FMI à la France de janvier 2021 sont limpides et le résument assez simplement : « A mesure que la reprise s’installera, les mesures d’urgence globales devraient céder la place à des aides ciblées aux secteurs les plus dynamiques de l’économie, tout en mettant en place un filet de sécurité pour les personnes souffrant de la transition. Les efforts de rééquilibrage ne devraient commencer que lorsque la reprise est confirmée mais le processus de planification, en revanche, devrait commencer dès maintenant afin de proposer une solution budgétaire à moyen terme crédible, qui vise la réduction de la dette publique ».

La question n’est donc pas de savoir s’il y aura un retour de bâton, mais quand, comment et dans quelle mesure ; et de s’y préparer. La réponse à ces questions dépendra du rapport de force social et politique. Et de la manière dont le monde du travail et de la création, dans sa diversité, peut se saisir de deux éléments importants qui sont :

  • Enfoncer un coin dans les contradictions qui émergent de la période, par exemple sur la question de la répartition et de l’utilisation de l’argent que les banques centrales injectent des sommes massives pour maintenir les cours boursiers. La distorsion entre le capital financier et le capital industriel n’a jamais été aussi forte. Il est urgent que cet argent soit réorienté vers les services publics et la transition industrielle et écologique.
  • Porter des exigences sur l’emploi, sur la garantie de l’emploi, de la formation et des revenus sociaux, ainsi que sur la réduction du temps du travail. L’OIT a chiffré la perte d’heures de travail en 2020 : elles atteignent 255 millions d’ETP (équivalent temps plein, c’est-à-dire, dans le sens que lui donne l’OIT, 48 heures de travail par semaines). La zone Euro a perdu 35 milliards d’heures de travail en 2020, soit l’équivalent du nombre d’heures travaillées dans un pays comme l’Espagne.

Tout cela dessine quelques-uns des enjeux majeurs pour le monde du travail.

Vincent Boulet
responsables des questions européennes pour le PCF