La tragédie indienne

Alors qu’en février dernier, les médias s’interrogeaient sur la possible immunité collective développée en Inde en raison d’un taux d’incidence faible, aujourd’hui l’épidémie de Covid-19 semble hors de contrôle.

On compte maintenant quotidiennement plus de 260 000 nouvelles contaminations et près de 4 500 décès. Ces chiffres morbides sont la partie visible de l’iceberg car d’aucuns disent qu’ils ne reflèteraient qu’une partie de la réalité sanitaire du pays.

L’Inde, qui est un des principaux producteurs de vaccin (AstraZeneca), connaît une véritable tragédie : pénurie de médicaments et d’oxygène, hôpitaux et morgues surchargés…les failles du système de santé sont béantes. Des patients meurent chez eux ou aux portes des hôpitaux saturés. Les lieux de crémation sont également surchargés, même le bois manque pour les bûchers. A Chausa, dans l’Etat du Bihar, plus de 70 corps ont été retrouvées flottant sur le Gange, là où les familles, dans l’impossibilité de trouver des places pour les incinérer, les ont déposés. Et la campagne de vaccination est au minimum puisque environ 3% des habitants seulement ont été vaccinés.

Face à la tragédie, les forces de gauche rassemblées

Cette situation catastrophique que subissent les populations indiennes a poussé les principaux responsables politiques de l’opposition, dont le Parti communiste d’Inde, à envoyer une lettre au Premier ministre Narendra Modi pour exiger le déploiement d’une véritable campagne de vaccination. Parmi les demandes énumérées dans ce courrier : l’approvisionnement du pays en vaccins, une production locale et des injections administrées gratuitement à toute la population. Autres exigences formulées : la réorientation des fonds pour l’achat de vaccins et d’oxygène pour les hôpitaux et l’annulation de la réforme des marchés agricoles qui mobilise des milliers de paysans dans les rues depuis septembre 2020.

Non seulement le gouvernement ne répond pas aux préoccupations du monde rural, dont dépendent de manière directe ou indirecte 70 % de la population indienne mais, de surcroît, il accuse les paysans d’être responsables de la reprise de la pandémie et d’empêcher de circuler les véhicules de secours ainsi que les camions transportant des bouteilles d’oxygène.

C’est à force de communication que Narendra Modi s’échine à ternir le mouvement des paysans fortement soutenu par la population. Or, sur le terrain de la résistance, c’est la solidarité qui est mise en œuvre. Les syndicats organisent la distribution de kits alimentaires et sanitaires, et mettent en place des centres de vaccination mobiles. Alors que de son côté, le gouvernement, minimisant la présence et la dangerosité du virus, a encouragé des milliers de pèlerins hindous à se rendre sur les rives du Gange de janvier à avril pour la grande fête Kumbh Mela. Tout ce qui a été fait de positif dans cette situation de pandémie est le résultat des politiques des différents Etats, jamais du gouvernement de Calcutta.

Les répercussions politiques

La gestion catastrophique de la crise sanitaire et économique n’est pas sans répercussion sur l’aura de Narendra Modi. Lors des dernières élections régionales, début mai, le Parti du peuple indien (BJP) du Premier ministre a subi un revers électoral. Malgré la pandémie, Narendra Modi a organisé des meetings et affiché son soutien aux grands rassemblements, mais n’est pas parvenu à gagner l’Etat du Bengale-occidental qui est resté aux mains du Trinamool Congress, ni même l’Etat du Tamil Nadu où la Fédération dravidienne du progrès a battu une coalition où régnait le BJP. Quant au Kerala, le Front démocratique de gauche (LDF), emmené par le Parti communiste d’Inde (marxiste), a été largement reconduit à la tête de l’Assemblée tandis que le BJP ne dispose d’aucun élu.

Cette victoire du rassemblement des forces progressistes n’est pas sans lien avec les politiques menées. Au cours de la crise sanitaire le gouvernement du Kerala a distribué des kits alimentaires gratuits et versé une allocation moyenne de 7 300 roupies (87 euros) à la majorité des ménages afin de prévenir les impayés de loyer et de couvrir les dépenses courantes. Lors du précédent mandat, le LDF a augmenté le salaire minimum dans 80 branches professionnelles, revalorisé les pensions des travailleurs agricoles (de 156 à 1 425 euros), recruté de milliers d’infirmiers dans le secteur hospitalier et mis en place une protection sociale pour les 30 000 travailleurs migrants ainsi qu’un programme d’alphabétisation. Autant de mesures qui font aujourd’hui du Kerala un Etat d’exception en Inde, où, de manière globale, les inégalités explosent, l’alphabétisation est au plus bas et les discriminations se démultiplient.

L’économie au cœur des relations internationales

En mars dernier, Narendra Modi se targuait d’être à la tête de la « pharmacie du monde » mais la réalité est tout autre. Des pays, parmi lesquels les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni, apportent ou proposent leur aide mais aussi la Chine, en conflit avec l’Inde sur leur frontière commune, le Pakistan, l’ennemi juré, sans oublier les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite.

De son côté, la France a livré des lits et des appareils respiratoires. Mais elle s’est surtout fait remarquer par la venue mi-avril de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, davantage intéressé par les intérêts économiques de la France dans le sous-continent et dans la zone indo-pacifique plutôt que par la situation sanitaire du pays.

A peine le ministre était-il revenu de son séjour qu’EDF annonçait avoir proposé une offre pour la construction de six réacteurs de type EPR entre Bombay et Goa, dossier qui était bloqué depuis 2018. Autre sujet qui tient à cœur J-Y Le Drian, la vente de Rafale. Des appels d’offres ont été lancés allant potentiellement jusqu’à 150 avions. L’Inde en a déjà acheté 36 en 2016, pour près de 8 milliards d’euros. Cette vente n’était d’ailleurs pas passée inaperçue. En 2018, l’ONG Sherpa avait demandé au Parquet national financier (PNF) d’enquêter sur des soupçons de financements occultes lors de la vente des Rafale mais en vain. Mediapart a mené une enquête publiée début avril 2021 sur les soupçons de corruption et le refus d’enquêter des agences anticorruption française et indienne. Selon le média, le Parquet national financier et l'Agence française anticorruption auraient fermé les yeux sur des actes de corruption en lien avec la vente de ces avions de chasse du groupe Dassault à l'Inde. L'enquête implique, en France, la responsabilité de deux présidents de la République, du ministre Jean-Yves Le Drian, de l'Agence française anticorruption (AFA) et du Parquet national financier. Le silence du gouvernement et des médias dominants fut alors et demeure entier. Le Parti communiste français demande qu’une enquête indépendante soit menée et que la lumière soit faite sur les accusations portées à l’encontre de ces responsables. Il demande au gouvernement de notre pays et à l’UE que toute l’aide possible soit apportée au peuple indien dans sa lutte contre la pandémie, notamment en levant les brevets sur les vaccins produits sur place.

Méline Le Gourriérec
membre de la Commission des relations internationales du PCF