Le droit à la mobilité pour tous, au fondement de l'engagement communiste

À quelques mois de l’élection présidentielle, toujours propice aux surenchères, les thèmes nationalistes et xénophobes de l’extrême droite structurent une partie du débat médiatique.

L’identité de la France, de l’Europe serait menacée par des flux migratoires sans contrôle submergeant le continent. La théorie du « grand remplacement », véritable supercherie raciste, serait déjà à l’œuvre, laissant penser que les immigrés se substitueraient à terme aux Français. Il s’agit d’une forfaiture dans la mesure où les migrants ne contribuent que marginalement à la croissance démographique. Sur un autre registre, la théorie du « choc des civilisations » rejette l’altérité tout en stigmatisant l’autre, en suggérant une supériorité, en pointant des distinctions, en fabriquant des affrontements qui n’ont pas lieu d’être dans une période où aucune culture ne peut organiser le monde en ignorant les autres.

L’extrême droite attise les préjugés, les peurs et les mensonges, alors que la mondialisation ouvre une ère d’hypermobilité. Tout est fluidité dans le domaine culturel et économique. Mais le droit à la mobilité est entravé pour les hommes et les femmes au travers de restrictions, de dissuasions et de féroces répressions. Le lieu de naissance les assigne à de formidables inégalités de niveau de vie ou d’accès à la liberté de circulation.

Près de 272 millions d’individus vivent dans un pays différent du leur, soit 3 % de la population mondiale. Ce chiffre augmente au même rythme que la croissance démographique. On est donc loin de la déferlante annoncée. Ces données sont d’une remarquable stabilité, traduisant tout à la fois le caractère structurel des migrations et l’impuissance des politiques à infléchir ces évolutions.

Les migrants quittent leur pays sous la contrainte des inégalités et des violences mais ne viennent pas des pays les plus pauvres ni des catégories les plus démunies. Ils appartiennent à une petite minorité de personnes éduquées et formées, disposant de ressources, alors que les damnés de la Terre sont condamnés à l’immobilité.

Face à ces flux, les pays européens adoptent une politique mortifère de fermeture des frontières avec des conséquences abominables. Depuis 1990, 40 000 migrants ont perdu la vie en Méditerranée. Cette obsession à contenir les migrants ainsi que le renforcement de Frontex est très coûteuse en argent public. Elle est aussi un juteux business pour les multinationales de la sécurité et de la défense, mais aussi pour les organisations mafieuses de passeurs.

Pour autant, ces politiques s’avèrent totalement inefficaces. Le besoin de migrer est si impérieux que rien n’empêche le passage des frontières. La seule conséquence est de rendre ces migrations plus chères et plus dangereuses.

Cette obstination s’explique par plusieurs facteurs. Fermer les frontières, faire la guerre à l’immigration rassure une frange de l’électorat qui s’arc-boute sur une conception étroite de l’identité. Plus fondamentalement, le système international fonde la souveraineté des États sur des entités territorialisées, limitées par des frontières. Avec la mondialisation, la territorialité et les frontières sont fragilisées, tandis que les migrations modifient quelque peu les compositions démographiques. Dans cette configuration, l’immigration est perçue comme une anomalie ne permettant pas de penser les politiques migratoires. Dans cette perspective, les migrants n’appartiennent pas à notre héritage, ne sont pas intégrables, constituent un coût en vivant aux crochets de la société et en prenant le travail aux Français.

Or toutes les études démontrent que l’apport de l’immigration est positif. Ces hommes et ces femmes sont actifs pour déployer des projets économiques et occupent des emplois dans des domaines utiles où la main-d’œuvre fait souvent défaut. De plus, les politiques hostiles à l’égard des migrants se traduisent par une attractivité moindre de la France et des bénéfices économiques plus faibles que dans les autres pays européens. Cela résulte des discriminations massives qui ont cours dans notre pays dans l’accès à l’emploi, au logement, mais aussi dans le racisme structurel que l’on trouve chez une partie des forces de l’ordre.

Il y a donc urgence à mettre en œuvre une nouvelle politique qui ne distingue plus les migrants économiques, climatiques et les réfugiés dans des catégories qui ne sont plus opérationnelles. En effet, les migrations d’aujourd’hui ne se font plus de manière directe. Elles sont fragmentées pour des motifs qui mêlent à la fois les guerres, le climat, les violences faites aux femmes et l’économie.

La libre circulation des hommes et des femmes doit devenir un droit fondamental permettant de briser le joug des passeurs. Là où ces dispositifs existent, ils ne se traduisent pas par une augmentation massive des migrations. Après une période de rattrapage courte, une phase de stabilisation s’installe. Il faut donc organiser des voies légales et sécurisées des migrations.

Le problème essentiel ne réside donc pas dans l’arrivée des migrants mais dans la crise de l’accueil, de l’asile et les discriminations.
Le Sud de l’Europe (Italie, Grèce, Espagne) sont les pays de « première arrivée », appellent souvent à la solidarité européenne et à modifier les traités de Dublin. L’Allemagne a ouvert ses frontières en 2015 tout comme l’Autriche et la Suède, mais les ont largement refermées maintenant. L’Europe pourrait paraître divisée mais reste unanime sur sa politique d’ « Europe forteresse ».

Pire, l’Europe se défausse des migrants sur d’autres pays comme la Turquie pour externaliser la gestion. Il ne faut pas s’étonner que dans ces conditions, R.T. Erdogan ou A. Loukachenko s’en servent comme élément de chantage.

La déshumanisation des migrants est une honte absolue, alors que la solidarité et la fraternité indispensables devraient être au cœur de la construction européenne afin de ne pas laisser cette identité aux identitaires. C’est le sens du communisme.

Cécile Dumas
responsable-adjoint du secteur international,
chargée des enjeux migratoires
Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international,
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient