Le parti de l’art

Allocution de Fabien Roussel pour l’ouverture de l’exposition « Libres comme l’art ». Extraits.

Confronté à un capitalisme brutal, destructeur, mortifère, le communisme a inspiré, par-delà les tragédies du siècle passé, l’engagement d’hommes et de femmes en très grand nombre, qui avaient en commun d’aspirer à un monde plus vivable. 


Bien sûr, quand il s’agit d’art et de communisme, nous avons affaire à des registres distincts. Mais, ainsi que l’assurait le peintre Georges Braque : « L’art s’infiltre partout ! » Et puis, art et communisme n’ont-ils pas eu souvent en commun de pouvoir se conjuguer dans une conception humaniste de l’avenir ?


Du reste, les auteurs du catalogue de Libres comme l’art — catalogue que nous devons aux éditions de l’Atelier, que je salue ici — restituent, racontent, rendent compte de manière éclairante des choix qui ont présidé à cette exposition, « Le Parti de l’art. Trésors donnés. Trésors prêtés ».


Ils rappellent que si « l’histoire du PCF est faite de hauts et de bas, de conquêtes et défaites, de prises de position, ou d’absences de prises de position, qui ont parfois suscité la colère de militants et d’intellectuels », il a « invariablement soutenu les écrivains, les artistes, a permis l’accès à l’éducation, à la culture. Il a créé des revues, des journaux, des maisons d’édition, a aidé à la création de films... »


Parce que nous sommes les héritiers de cette tradition, nous avons résolument la volonté de continuer à prendre le parti de l’art ! 
Car, tout de même, quel parti politique français peut s’enorgueillir d’avoir tant agi au service de la culture et d’avoir compté en son sein parmi les plus grands intellectuels, les créateurs les plus en vue ? (…)


De Charlie Chaplin à Bertolt Brecht pour l’international, de Picasso à Giacometti, de Henri-Cartier Bresson à Willy Ronis, de Jean Ferrat et Juliette Gréco à Cyril Mokaiesh, de Gérard Philippe à Jean-Louis Trintignant, de Stellio Lorenzi à Raoul Sangla, de Frédéric Joliot-Curie à Jean-Pierre Vernant ou encore Maurice Godelier, combien compte-t-on de communistes, de carte ou de cœur ? La liste est si longue que l’on me pardonnera celles et ceux que je n’ai pas cités...


Oui, il y a eu, et il y a aujourd’hui, des artistes, des intellectuels, qui jouent un rôle primordial dans le domaine de la pensée, de la culture, de la création artistique ou de la recherche scientifique, et qui sont militants, qui sympathisent avec nos idées, ou qui cheminent à nos côtés. 
Ceux-là, celles-là se reconnaissent simplement dans cette ambition qui consiste à se mettre au service du peuple de France, de cette majorité d’hommes et de femmes qui n’a que son travail pour vivre et que l’on méprise le plus souvent, quand on ne l’écrase pas.


Quel autre sens donner à l’implication, par exemple, d’un Pablo Picasso qui, après la Libération, règle scrupuleusement ses cotisations au PCF, fait des dons, verse aux souscriptions, ou offre ses dessins aux fédérations du Parti et à ses journaux ?
On m’a rapporté qu’un camarade allait ainsi, de temps à autre, chez le peintre des Demoiselles d’Avignon et de Guernica, et qu’à l’invitation du maître il revenait à chaque fois doté de quelques tableaux dont la vente était destinée à alimenter les finances du Parti. Picasso lui disait simplement : « Choisis ce que tu veux ! »


Dans la préface du catalogue que je citais tout à l’heure, Pierre Laurent souligne que, dès ses première années d’existence, l’originalité du communisme français fut d’avoir mis l’art au cœur de l’entreprise d’émancipation humaine à laquelle il consacre tous ses efforts. 
Comme le formulait le peintre Ladislas Kijno, né à Varsovie et qui vécut longtemps à Nœux-les-Mines : « Il ne suffit pas de donner un toit et du pain aux hommes, il faut mettre du Gauguin dans les assiettes et Rimbaud dans les verres. »
Cela se sera traduit, entre autres, par le rôle capital joué par notre parti, comme d’ailleurs par la CGT, dans la création du festival de Cannes ou du festival d’Avignon... 


J’ai la faiblesse de penser que cet entrecroisement permanent entre les révolutions artistiques du siècle écoulé et le combat des communistes n’aura pas été étranger à l’exception culturelle française. Une exception qui résiste toujours, en dépit des coups de boutoir que tentent de lui porter les grands groupes marchands et les géants du numérique en prétendant régir la langue et modeler l’imaginaire.
En évoquant cette question, vous comprendrez que je songe à notre regretté Jack Ralite. Qui d’autre peut le mieux symboliser notre attachement à la liberté de création ? (…)


Parler de la relation si singulière des communistes à l’art et à la création m’amène à une réflexion plus générale, que je voudrais vous faire partager.


La politique comme l’art, parce qu’elles sont des créations humaines, tâtonnent, cherchent, se cherchent. Elles peuvent faire preuve de fragilité. C’est Aragon qui disait, en se l’appliquant à lui-même, qu’il convenait d’éviter à tout prix « l’assurance triomphale d’avoir raison ». Convenons toutefois qu’elles ont également en commun — sauf lorsqu’elles sont régies par l’égoïsme ou le besoin maladif de confiscation — la volonté toute humaine d’affirmer la vie.


L’art peut, par ailleurs, se cantonner au constat, à l’approbation, à la célébration, à la dénonciation, à la protestation, être tout cela à la fois. Mais il peut aussi porter une nouvelle représentation de la réalité, qu’il en ait l’intention ou non. Balzac, on le sait, disait écrire « à la lueur de deux vérités éternelles : la religion et la monarchie. » Ce qui n’empêchait pas Victor Hugo de le ranger, indépendamment de ses idées politiques, « dans la forte race des écrivains révolutionnaires, qu’il l’ait voulu ou non ».


L’art est essai, tentative d’atteindre autrui, proposition, promesse, ouverture. Il ne peut se construire que dans un rapport à l’autre. Non seulement il permet de voir ce que nous ne voyons pas, et qui parfois est juste sous notre nez, mais davantage encore, il est en capacité de se situer devant. Par l’émotion, le plaisir, il s’essaie en quelque sorte à ouvrir la voie. 


Pour cela, l’art prend des risques, car il doit impérativement inventer ses propres outils pour saisir le mouvement du réel. À chaque nouveau défi, il se doit de trouver une manière de le relever. Il appartient au mouvement, à la dynamique. Il évoque la part indicible que renferment les choses, en se confrontant à la réalité qui est sans cesse changeante. « On est là pour essayer de trouver les solutions de demain », selon le peintre Hervé di Rosa.  


Ce qui est valable pour l’art ne l’est-il pas pour la politique, surtout quand celle-ci se veut transformatrice ? L’invention prime. Pour avancer, pour bâtir du nouveau, la remise en question est chose nécessaire, et celle-ci n’est évidemment pas l’effacement du passé mais seulement son dépassement. (…)