Le pouvoir indonésien et l'athéisme

Le 26 mai dernier, une quarantaine de personnes ont participé par visioconférence à l’initiative organisée par l’association Solidarité Indonésie avec les Cahiers de l'Histoire et le département international du PCF à l’occasion du 100e anniversaire du Parti communiste indonésien (PKI). Une brochure avec l’ensemble des interventions sera publiée ultérieurement.

Retrouvez, ci-dessous, l'intervention de Pascal Lederer, chercheur physicien, sur l’athéisme et le PKI.

 

Le pouvoir indonésien et l'athéisme

L'opinion française n'est pas très bien informée sur l'Indonésie. Parmi nos compatriotes qui ont entendu parler de la dictature de Suharto, arrivé au pouvoir grâce à un coup d'État accompagné du massacre des progressistes et communistes, règne de façon massive l'idée que la démocratie a été rétablie en 1998, avec l'organisation d'élections libres, puis l'accès au pouvoir de personnalités de gauche comme Abdurrahman Wahid (Gus Dur) puis Megawati Sukarnoputri.

Élément central de la Constitution indonésienne depuis son indépendance proclamée par Sukarno en 1945, le Pancasila (les Cinq principes) est la base d'un compromis entre les nationalistes et les islamistes, compromis qui garantit l'unité du peuple indonésien. Ces cinq principes sont:

  1. La croyance en un Dieu unique.PKI100ans.jpg
  2. Une humanité juste et civilisée.
  3. L'unité de l’Indonésie.
  4. Une démocratie guidée par la sagesse à travers la délibération et la représentation.
  5. La justice sociale pour tout le peuple indonésien.

L'interprétation du Pancasila fait l'objet depuis l'origine de luttes idéologiques. Pour le Parti communiste indonésien (PKI), qui a adopté le Pancasila dès le début, ses principes garantissent la liberté de conscience. Jamais le PKI n'a considéré que la croyance en un Dieu, quel qu'il soit, était un obstacle à l'établissement d'une société libérée des dominations coloniales, impérialistes et du pouvoir des propriétaires des grands moyens de production et d'échange.

Pendant l'Ordre Nouveau, après 1965 sous la dictature de Suharto, l'interprétation donnée au Pancasila était celle de l'interdiction de l'athéisme.

Il y a encore quelques années, la carte d'identité indonésienne devait mentionner la religion de sa ou de son titulaire.

Le thème de l'athéisme continue aujourd'hui d'être une arme idéologique et politique contre les droits politiques des citoyennes et citoyens indonésiens. Le PKI, accusé d'athéisme, n'est toujours pas autorisé légalement, les victimes du politicide de 1965 n'ont toujours pas reçu de compensation de l'État pour les souffrances infligées depuis l'instauration de la dictature. Certes, Gus Dura a eu quelques paroles de regret, a permis aux rescapés communistes et à leur famille persécutée de participer aux élections; mais de droit à l'organisation d'un parti politique qui se réfèrerait au marxisme, point.

Le PKI, comme le PCF, considère que si le marxisme est un corpus théorique et philosophique pour comprendre et analyser rationnellement les évolutions du monde, et agir sur lui, la religion relève d'une autre catégorie de pensée. La liberté de conscience religieuse, comme celle de ne pas croire, fait partie, pour les communistes, des droits imprescriptibles qui doivent régir une société humaine démocratique.

100ansPKI.jpgLes forces réactionnaires indonésiennes entretiennent sciemment la confusion entre une position philosophique, le matérialisme, qui considère que l'être précède la pensée, et une position politique, qu'il attribue indûment au PKI, qui nierait aux citoyens le droit de croire et pratiquer leur religion. Or la philosophie marxiste n'est pas un athéisme, c'est un matérialisme radical, ce qui est tout autre chose. Le marxisme ne se confond nullement avec le dessein «d'abolir la foi». Le matérialisme marxiste n'est pas contre la foi, il est ailleurs. Un croyant membre du parti communiste à part entière peut parfaitement partager une conception matérialiste du monde et donner à sa vie le «surcroît de sens» de sa foi. Rien dans l'histoire du PKI ne légitime la propagande réactionnaire selon laquelle ce parti interdirait la foi et sa libre pratique. De hauts dirigeants communistes indonésiens étaient «hadj», et animaient aussi des organisations religieuses comme «Nurul Islam» ou «Sarekat Islam» du temps de Sukarno. Ils ont été déportés dans les camps de l'Ordre Nouveau».

Le PKI considère que l'intolérance religieuse fait l'affaire des forces d'oppression sociale, en divisant, dans le peuple, ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas: ils pourraient s'unir pour faire progresser la démocratie, viser à épanouir chaque personnalité humaine, et affaiblir ou renverser le pouvoir du grand capital.

Pour le PKI, l'État doit garantir le droit de chaque citoyenne et chaque citoyen de pratiquer la religion de son choix, ou de ne pas croire en Dieu.

L'athéisme, attribué à tort au PKI, est une arme de l'oligarchie indonésienne contre lui. L'interdiction du PKI et la répression contre le PKI perdurent, en particulier au nom de la lutte contre l'athéisme.

L'Indonésie doit reconnaître, dans la pratique, la liberté de conscience. Elle doit reconnaître et réparer les crimes commis contre le PKI et les démocrates indonésiens, notamment au nom de la lutte contre l'athéisme. Elle doit reconnaître la liberté d'organisation politique pleine et entière, en finir avec l'interdiction du PKI.

La démocratie indonésienne restera une démocratie fondamentalement limitée tant que la liberté d'organisation politique pleine et entière ne sera pas reconnue, tant que ne sera pas levée l'interdiction du PKI.

Pascal LEDERER