Les luttes en Europe portent l’exigence d’un plan d’urgence social

La semaine passée fut marquée par la concomitance de mobilisations massives en Europe. Le 9 novembre, la Belgique et la Grèce ont connu une journée de grève générale largement suivie. Le 13 novembre, 500 000 Madrilènes ont manifesté contre la politique de destruction de la santé menée par le gouvernement régional de la capitale, dominé par une droite radicalisée. Les travailleurs et les travailleuses de la santé britanniques se sont joints aux cheminots et aux dockers dans un mouvement social qui s’installe dans la durée contre les gouvernements conservateurs successifs, dont le dernier en date, celui de Rishi Sunak, prépare un budget tellement radicalement austéritaire que la presse le surnomme « budget Halloween ».

Ces mouvements, au-delà de la diversité des contextes nationaux et des gouvernements qui sont au pouvoir dans les différents pays, soulignent la centralité de la question sociale, des mobilisations sociales et du monde du travail et le rôle décisif des organisations syndicales en Europe. Ces manifestations et ces mouvements revêtent plusieurs traits communs.

Elles sont marquées par leur caractère de masse. La manifestation de Madrid est la plus importante depuis les « marées » anti-austérité. La grève générale en Grèce est la plus massive depuis les grandes manifestations de 2015. Ce sont donc des mobilisations très larges, y compris sur le plan de la participation syndicale. Les trois centrales belges, y compris les démocrates-chrétiens, ont été partie prenante de la grève générale. Les syndicats du secteur privé ont appelé au mouvement en Grèce, aux côtés de celui de la fonction publique.

Par ailleurs, les mêmes exigences reviennent d’un pays à l’autre : la question de la hausse des salaires face à l’inflation et à l’explosion des prix de l’énergie. Les comburants de ces mobilisations peuvent différer en fonction du contexte national. En Belgique, la colère est exacerbée par le corset de la loi de 1996 qui encadre l’augmentation des salaires à la situation des pays voisins. La question communautaire, instrumentalisée par la droite et l’extrême droite flamandes, passe au second plan face à l’urgence sociale. En Grèce, le gouvernement conservateur et autoritaire de Mitsotakis, trop occupé à ne pas être emporté par le scandale des écoutes contre des dirigeants de Syriza et à réprimer les manifestations étudiantes, a abandonné la population face à une inflation les plus élevées de l’UE et à l’augmentation de 330% des prix de l’énergie en un an.

Ces mobilisations et les revendications portées par le mouvement social et syndical dessinent les contours de ce que pourrait être un plan d’urgence européen : augmentation immédiate des salaires, mesures pour baisser rapidement les prix de l’énergie, défense des services publics.

Ces exigences posent donc la question de leur traduction politique et des médiations politiques capables de les porter dans une perspective majoritaire de classe. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique, les directions sociales-libérales restent omniprésentes dans le champ politique à gauche tout en n’y étant pas capables d’y répondre. Partout, dans les différents contextes nationaux, la gauche est à la croisée des chemins. Le social-libéralisme a conduit à des reculs et des défaites majeures. Il a durablement coupé la gauche de sa base sociale. Cela pose à l’ensemble de la gauche et particulièrement aux forces de transformation sociale la question stratégique des alliances de classes et des constructions politiques à vocation majoritaire. La réflexion existe partout sur les moyens de renouer avec le monde du travail et les classes populaires. Cela prend des formes très différentes, du travail dynamique mené par le PTB en Belgique qui s’affirme sur le champ politique comme le principal relais des exigences sociales, au « projet de pays » porté par la Gauche unie d’Espagne et le PCE et les tentatives de constitution de nouvelles convergences avec le projet « Sumar » de Yolanda Diaz, et au nouveau programme de gouvernement de Syriza qui cherche le moyen de tirer les leçons de ses échecs passés. Dans le même temps, chacune de ces forces est confrontée à la question des rapports de force politiques généraux en Europe et dans leurs pays, auquel on peut ajouter la spirale d’effondrement tragique dans laquelle se trouve Die Linke, et l’avenir de la gauche italienne, portée elle aussi par le mouvement syndical face au gouvernement d’extrême droite.

La bataille centrale est la bataille de classes et le rapport de force qui en est issu. Ce sont eux qui vont être importants dans les prochains mois, face à l’extrême droite et face aux bourgeoisies européennes, alors que la Commission européenne, dans le plus pur européisme libéral, vient de formuler un plan de restauration des règles budgétaires instaurant un contrôle encore plus sévère sur les budgets des États de l’UE que dans leur version antérieure.

Les prochains mois seront déterminants en Europe, pour les peuples européens et pour les forces de la gauche européenne.

Vincent Boulet
membre de la Commission des relations internationales du PCF
responsable du collectif Europe