Liban : La révolution des urnes n'a pas eu lieu

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En 2019, un grand mouvement social avait donné corps à un rejet massif d’une classe politique libanaise gangrénée et prédatrice, et du système ethno-confessionnel. Ce soulèvement avait été durement réprimé. Que reste-t-il de cette profonde aspiration au changement dans les résultats des élections législatives qui viennent de se dérouler ?

Les résultats confortent le statu quo dans la mesure où l’assemblée demeure dominée par les forces établies.

Ce scrutin a encore été phagocyté par la profondeur de la crise et le poids écrasant des partis traditionnels corrompus et clientélistes. L’oligarchie politico-financière a conduit le pays à l’effondrement : fuite des capitaux, dégringolade de la devise. Conséquence : les banques ont imposé un contrôle de l’argent des déposants les privant d'accès à leurs économies. L’avenir est totalement obscurci pour des millions de Libanais-es dont 80 % vivent maintenant sous le seuil de pauvreté et qu’un tiers de la population est au chômage. Le déblocage d’une énième aide du FMI devrait se traduire par un train de réformes austéritaires.

Jusqu’alors, le parlement était dominé par le bloc chiite, composé du Hezbollah et d’Amal (Nabih Berri), et de ses alliés chrétiens du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun.

Beaucoup de Libanais pensaient que le scrutin était joué d’avance d’où la faiblesse de la participation (41 %) au scrutin. Cette forte désaffection des urnes traduit tout à la fois la désillusion et la résignation des Libanais qui ne font plus confiance aux partis traditionnels et, dans une moindre mesure, à la jeune opposition. L’abstention a été particulièrement élevée dans la communauté sunnite (Saad Hariri) qui avait appelé au boycott.

Le Hezbollah et Amal s’effritent et le CPL est en fort recul, payant, dans sa communauté, son soutien aux chiites. Si bien que cette coalition perd la majorité absolue. L’autre parti chrétien, les Forces libanaises (FL) de Samir Geagea, farouchement opposé au Hezbollah et à Michel Aoun, et soutenu par l’Arabie saoudite, sort quant à lui renforcé.

Les forces de changement effectuent certes une percée. Treize candidats issus de la contestation populaire de 2019 ont été élus. Ils ont fait mordre la poussière à certains caciques. Ils ne forment pas un bloc homogène mais constituent une opposition réformatrice et non communautaire. Ils auront du mal cependant à se faire entendre pour tracer une autre voie.

Le Parlement est donc divisé, sans majorité, polarisé entre amis et adversaires du Hezbollah, et menacé de paralysie. Aucun des blocs n’est en mesure de former un gouvernement ce qui hypothèque toute sortie de crise – si tant est que les potentats le veuillent vraiment… ce dont on peut douter.

Cette polarisation est venue occulter le débat sur la crise et a compliqué la tâche de l’opposition mais, pour beaucoup de Libanais-es, la véritable fracture s’établit entre le système politique, économique, judiciaire, bancaire et sécuritaire, d’un côté, et les exigences de progrès, de justice et de paix, de l'autre.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient