Emmanuel Macron entend s'inscrire dans l'accablante lignée de ses prédécesseurs qui ont fait du Liban, de Napoléon III à nos jours, un «État à la souveraineté conditionnée», un «État tampon» selon la formule de Georges Corm. Oui, la France porte une lourde responsabilité dans le destin tragique du Liban. Les rivalités impérialistes ont façonné le Grand Liban en 1926 et , sous le régime mandataire, c'est Paris qui a institué le confessionnalisme dans l'ordre public. Au rythme d'ingérences multiples, Paris n'a cessé de soutenir les chefs communautaires, issus de la guerre civile, qui ont saigné leur pays. Parmi eux, Rafiq Hariri, proche de Jacques Chirac, qui a impulsé la vague néolibérale et a constamment reçu l'onction de Paris et de Riyad.

Ces acteurs sont responsables de la crise actuelle. La dollarisation de l'économie, la reconstruction hyper-financiarisée, la baisse des impôts des plus riches, les accords de libre-échange ont conduit à la ruine. L'endettement atteint 170% du PIB, les banques privées affichent des pertes abyssales favorisant la fuite des capitaux et le blocage de l'argent des épargnants. La devise nationale s'est effondrée, l'inflation s'est envolée, les services publics (eau, électricité) ont été bradés tandis que la liquidation de l'appareil productif entraîne des importations massives. En 2019, la bulle spéculative a implosé provoquant une crise sociale. Le chômage et l'émigration ont explosé, le pouvoir d'achat s'est effondré et la misère frappe la moitié de la population. L'establishment financier prédateur et l'oligarchie politique corrompue continuent de privatiser les ressources publiques pour entretenir leur clientèle et sont à prêts à détruire le pays pour assurer leur survie.

La conjoncture actuelle a amplifié les difficulté: la guerre en Syrie qui a amené 1 à 1,5 million de réfugiés, les rivalités américano-iraniennes et les pressions d'Israël pèsent sur la situation du pays. La pandémie de Covid19 et la crise sanitaire puis l'explosion du port de Beyrouth, conséquence de l'incurie des dirigeants, ont porté le coup de grâce. Cette caste a toujours trouvé les moyens de tirer profit des tragédies. Ainsi, la nomination récente de Mustapha Adib comme premier ministre vise à entreprendre des réformes imposées par le FMI et la Conférence du Cèdre afin de pérenniser le système. Emmanuel Macron vient d'effectuer deux visites au Liban dans un style post-colonial appelant de ses vœux la formation d'un gouvernement d'unité nationale. Il s'en remet donc aux criminels actuels confortant ainsi le confessionnalisme en contradiction avec les exigences des Libanais. Le président français joue sur le désarroi de la population mais la déception risque d'être immense hypothéquant au passage le crédit de la politique française.

Le Liban n'est pas un État mendiant ! Il dispose de ressources pour sortir du néant. Aider le Liban, c'est écouter son peuple, le mouvement populaire, et agir pour un État civil, laïc et démocratique, pour le rejet des injonctions du FMI ainsi que la suspension des accords de libre-échange afin de permettre la renaissance du potentiel agricole et industriel. Aider le Liban, c'est mettre un terme au cynisme de l'Union européenne sur la question des migrants. Aider le Liban, c'est s'opposer aux pressions américaines qui, par la loi Caesar, empêchent les investissements en Syrie pour sortir du marasme. Cela passe aussi par la remise en cause de l'appui inconditionnel de Paris à la politique d'Israël et au plan Trump sur la Palestine qui déstabilise le Liban et nourrit les ingérences iraniennes et turques.

Lydia Samarbakhsh
membre du Comité exécutif national du PCF chargée de l'International

Tribune publiée dans l'Humanité du 8 septembre 2020.