Liban : Ouvrir une perspective pour combattre la finance prédatrice

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Cette fin de semaine a été marquée par un nouvel accès de violence à Beyrouth : explosions, rafales d’armes automatiques, véhicules incendiés. Six personnes ont perdu la vie, d’autres sont blessées ravivant le souvenir de la guerre civile (1975-1990). Alors que la crise économique et sociale atteint des sommets, les réflexes communautaires et la polarisation politique exacerbent les tensions.

Saboter l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth

Le 4 août 2020, une double explosion frappait le port de Beyrouth en raison d’un stockage de nitrate d’ammonium. Elle fit 214 victimes, 6500 blessés, dévastant des quartiers entiers de la capitale. Depuis, tous les responsables politiques en place tentent de torpiller l’enquête. Un premier juge a été écarté pour avoir voulu interroger des dignitaires du régime. Il revient désormais au juge Tarak Bitar de conduire l’instruction dans un contexte de pression inouïe. Ce magistrat a déjà convoqué l’ancien premier ministre Hassan Diab ainsi que quatre anciens ministres en vue de leur inculpation. Ils ne se sont jamais présentés. Ces jours-ci, il venait de délivrer un mandat d’arrêt contre le député et ex-ministre du mouvement chiite Amal, Ali Hassan Khalil. Afin de contrecarrer le travail de la justice, le Hezbollah et Amal, mis également en cause dans ce drame, organisaient une manifestation qui avait rassemblé quelques centaines de personnes, afin d’exiger le dessaisissement de Tarak Bitar. Dans ce qui s’apparente à une tentative de coup de force contre le système judiciaire, des factions chrétiennes dont celle de Samir Geagea, par ailleurs allié de l’Arabie Saoudite, ont contribué à l’escalade des affrontements communautaires en décrétant vouloir bloquer l’arrivée du cortège à Beyrouth-Est. Les « Forces Libanaises » de S. Geagea ont tiré sur la foule amenant l’armée libanaise à s’interposer.

Ces responsables, sans foi ni loi, jouissent d’une impunité constante les encourageant dans le crime jusqu’à abandonner les victimes de Beyrouth qu’ils ont visé par des tirs cet été.

Une classe politique criminelle et corrompue

Le néolibéralisme et le confessionnalisme clanique féodal ont conduit le pays à la ruine. La totalité de l’appareil de production a été sabordé, la livre libanaise s’est effondrée de 90% alors que le chômage et l’inflation battent des records plongeant 75% d’une population exsangue et abasourdie sous le seuil de pauvreté. Si les barons du régime continuent de festoyer sur leurs yachts au vu et au su de tous, ils ont aussi transféré d’importantes sommes à l’étranger lors des manifestations de 2019 tout en imposant des restrictions bancaires draconiennes toujours en vigueur. Les pénuries sont partout : produits de première nécessité, carburant, électricité, médicaments générant des trafics en tout genre dans lesquels trempent les différentes factions. Le système scolaire, de santé et de protection sociale se trouve dans un état de désespérance absolue voire inexistant.

L’effondrement est sans fin et la catastrophe humanitaire totale. Ceux qui le peuvent s’exilent alors que les autres, tentent désormais de survivre. Les banques avec leurs actionnaires, soutenues par les occidentaux et renflouées par des conférences de donateurs, portent la responsabilité de la mise en place d’un système frauduleux et du désastre actuel. Sur l’euthanasie d’une société, ils se sont édifiés des fortunes colossales.

Cet écroulement n’est pas seulement le fait d’une bande de mafieux mais résulte aussi du délitement mondial gangréné par le mensonge permanent.

La contre-offensive de la classe dirigeante

Espérer des changements de cette classe politique est un vœu pieu. Jamais les chefs de guerre, les familles féodales et prédatrices ne se réformeront. Pour autant, la grande bourgeoisie libanaise a entrepris sa contre-offensive pour maintenir la structure du pouvoir. Le nouveau gouvernement est véritablement celui de la finance. Il est constitué d’un premier ministre, homme du sérail Najib Mikati et du gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé. Avec l’appui des pro-Washington ou des pro-Téhéran, les juristes américains et la banque Lazare préparent une négociation avec les prêteurs pour enregistrer les pertes qui s’élèvent à 100 milliards de dollars. Ils misent aussi sur une embellie passagère reposant sur l’arrivée de dons (1,5 milliards de dollars), l’assistance aux plus démunis de la Banque mondiale et des droits de tirage spéciaux du FMI pour organiser des législatives en 2022 afin de se maintenir au pouvoir. Faute de mieux, après ses voyages tonitruants à Beyrouth, E. Macron, soucieux de reprendre pied au Liban, en Syrie et en Irak, vient de donner le change à cette bande de mafieux en saluant une étape indispensable pour sortir le pays de la crise.

Ouvrir une perspective

Les organisations démocratiques cherchent à mobiliser les forces sociales qui tiennent encore debout dans la société. Les couches populaires mais aussi la petite et moyenne bourgeoisie sont dans la tourmente. Toutes les activités structurées autour d’ordres professionnels (médecins, avocats…) ont vu dilapider leur épargne sociale placée dans le système bancaire. Ruinés, désormais défiants à l’égard des pouvoirs notamment communautaires ils constituent un tiers de la population libanaise résidente.

Il s’agit de créer un rapport de force afin d’acculer les chefs communautaires et de contrer l’offensive de la classe dirigeante en transposant la pression sur la finance afin que la reconduite du système en place ne soit plus possible. C’est aux actionnaires des banques et à eux seuls de prendre en charge les pertes abyssales et de rapatrier l’argent volé.

L’objectif est aussi d’édifier un nouvel Etat en sortant des accords de Taïef et de bâtir une économie productive. Les Libanais ne quémandent rien. Ils veulent des droits. C’est la raison pour laquelle l’aide internationale doit cesser d’alimenter les caisses des prédateurs. Comme le demande les Libanais, elle doit être affectée à l’édification d’un système public d’enseignement, de santé et de protection sociale.

Dans ce combat, les communistes expriment leur totale solidarité avec le peuple libanais et les organisations progressistes qui portent des orientations de rupture radicale en faveur de la justice et de la paix.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient