Municipales : Des villes numériques pour l’humain

Les expressions de ville intelligente, de smart city, de ville numérique fleurissent avec la promesse de nombre de services censés faciliter la vie et rendre l’espace urbain plus interactif, plus participatif, plus mobile, plus écologique, et plus sûr.


Au-delà des belles promesses d’un avenir radieux, il y a une réalité : nous sommes et nous serons de plus en plus connecté·e·s et entouré·e·s de capteurs (objets du quotidien connectés, smartphones, véhicules connectés, géolocalisation, mobiliers urbains, caméras, puces RFID, implant corporel…) qui collectent en permanence des milliards de données sur notre vie et notre environnement.


Liés à la puissance de calcul des ordinateurs, à l’extension des réseaux de télécommunication à très haut débits et aux développements des techniques d’intelligence artificielle, la maîtrise et l’exploitation de ces milliards de données représentent donc des enjeux de pouvoirs culturels, politiques et économiques qui impliquent des réponses démocratiques et éthiques fortes, du niveau communal au niveau mondial. La révolution numérique engendre des bouleversements de nature anthropologique dans l’espace urbain, au travers desquels s’affrontent, dans une tension entre émancipation et aliénation, des visions antagonistes de l’avenir des sociétés humaines et de leurs rapports avec leur environnement.


L’enjeu est de savoir si les politiques publiques de demain seront élaborées et mises en œuvre par les habitant·e·s avec leurs élu·e·s, où si elles seront dictées par IBM, Cisco, Siemens, huawei et les grandes plateformes du capitalisme global. Les élu·e·s n’ayant plus le choix que de passer des marchés publics avec les uns ou les autres. Nous devons prendre le pouvoir sur la socialisation de nos données personnelles dans l’espace urbain : Allons-nous offrir gratuitement, sans maîtrise, sans contrôle citoyen, aux plateformes capitalistes nos données afin qu’elles se construisent des rentes sur leurs valorisations et qu’elles les utilisent pour nous vendre sur l’étagère les politiques publiques de leurs choix ?


La maîtrise et l’exploitation des données collectées dans l’espace urbain doivent au contraire être mises au service de l’intervention citoyenne. Cela implique pour les municipalités de s’entourer des compétences adéquates, y compris en termes de postes de Data scientifique.


Une politique communale de la donnée devient nécessaire. Il s’agit de considérer que l’ensemble des données recueillies par les différents services communaux et propres aux compétences de la commune, et par les différents capteurs urbains installés sur la voie publique et les bâtiments municipaux forme un Commun de la ville qui doit être placé sous gouvernance municipale.


L’économie dite collaborative ou de partage est devenue une économie grise vampirisée par des plateformes telles Blablacar, AirBnB… Dans le cadre municipal, il est temps de rechanter ce terme de collaboratif en développant de véritables plateformes coopératives et solidaires, d’entraide et de partage, où les régis de quartier, les maisons de quartiers, les maisons des tiers lieux, ou encore les services municipaux joueraient de rôle de tiers de confiance. On peut ainsi offrir les mêmes services que les plateformes capitalistes mais avec une dimension de retissage des liens sociaux sur un territoire donné. Cela peut aller de la simple plateforme d’échange de petits services mise à la disposition des particuliers et des TPE à des plateformes coopératives relevant d’une l’économie sociale et solidaire créatrice d’emplois de qualité.


Les exemples de telles plateformes ne manquent pas : Coopcycle, les oiseaux de passage,.Mobicoop… Les communes peuvent travailler à la constitution des réseaux de plateformes coopératives capables de battre en brèche l’hégémonie parasitaire du capitalisme de plateforme de service à la personne.

Deux scénarios d'avenir


En matière de sûreté des personnes, deux scénarios d’avenir sont possibles : soit une ville sécuritaire où chacun est surveillé en permanence par divers capteurs et sera noté en fonction de son comportement, soit au contraire ces capteurs sont mis au service d’une conception solidaire de la ville, afin de protéger les personnes en situation de fragilité et d’isolement, et ainsi pouvoir anticiper sur les risques et dangers qu’elles courent, et afin aussi de rompre l’isolement par une mise en réseau de toutes et tous. Les plateformes sociales participatives peuvent jouer un rôle de médiateur afin d’établir des liens de confiance et de solidarités : garde et accompagnement à l’école d’enfants, récupération de courrier et de colis en absence, accompagnement pour des opérations ambulatoires, petits travaux, prêt de matériels…


Aujourd’hui la dématérialisation des services publics, « l’État plateforme » comme le dit Macron, vise le plus souvent à décourager le citoyen ordinaire de faire valoir ses droits, à réduire le nombre d’emplois statutaires et la présence territoriale des services publics, à externaliser et privatiser, à livrer sur un plateau aux firmes du capitalisme de plateforme les données personnelles des usagers et les données publiques, et à surveiller la population.


Il est temps de rompre avec cette numérisation nuisible des services publics où on contraint les collectivités territoriales à acheter sur l’étagère des politiques publiques les firmes du numérique. Il s’agit au contraire de remettre sur sa base la pyramide, en partant des besoins des habitants de la commune, et des expériences métiers des agents territoriaux. Sans oublier l’impact écologique de toute dématérialisation : le numérique devrait en 2020 représenter près d’un tiers de la consommation électrique mondiale.


L’objectif ne doit pas être de dématérialiser les services publics municipaux mais de bâtir des systèmes d’information qui fassent sens par rapport au projet de service public de la ville.
Le fait qu’une commune dispose d’une masse considérable de données permet d’avoir une vision globale de la ville, de ses évolutions et d’anticiper sur les besoins sociaux, sanitaires, culturels, écologiques, éducatifs, d’urbanisme et de mobilité. Mettre tous ces éléments à disposition de la population pour décider ensemble et simuler différents scénarios d’avenir de la ville devient un véritable acte de démocratie et d’écologie participative.


De nombreux outils dits de civic techn se sont développés : plateformes de débat et de partage d’idées, consultations citoyennes en ligne… Si les technologies civiques numériques offrent des opportunités inédites de participer et d’agir sur la vie de la cité, elles suscitent aussi des comportements consuméristes par rapport à l’action municipale. Si elles touchent des personnes habituellement éloignées des dispositifs participatifs traditionnels, comme les jeunes générations et les actifs, elles sont aussi facteur d’exclusion d’autres publics fragilisés socialement. Elles doivent donc être pensées en relation avec toutes les autres formes de participation citoyenne pour déboucher sur du contact et de l’engagement humain.


Nos concitoyens et concitoyennes n’ont pas besoin de ville technologiquement intelligente, mais de ville politiquement intelligente, où l’humain est la solution et non le problème. C’est ce à quoi œuvrent les communistes et leurs élu·e·s.


Yann Le Pollotec
responsable national à la révolution numérique