Turquie / Municipales: une cinglante défaite pour Erdogan

Affront, revers électoral... les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser l'échec cinglant que vient de subir R.T. Erdogan à l'occasion du scrutin municipal qui s'est tenu ce dernier dimanche de mars.

Les modifications institutionnelles ont récemment accentué la présidentialisation du régime transformant chaque consultation en plébiscite. R.T. Erdogan n'a pas ménagé sa peine pour écraser de son omniprésence une campagne qui s'est déroulée dans un climat de tensions et de menaces. Toutes les ressources publiques ont été mobilisées pour clientéliser une frange notable de l'électorat tandis que la quasi-totalité des médias ont exprimé outrageusement leur allégeance servile à l'égard du pouvoir privant l'opposition, qualifiée de "terroriste", d'audience. R.T. Erdogan a multiplié les promesses envers sa base conservatrice et religieuse et a menacé d'envahir le Rojava (Syrie) pour mobiliser l'électorat nationaliste.
Après quinze ans de pouvoir sans partage et de croissance économique, l'AKP (islamo-conservateur) a dû faire face à l'usure du pouvoir, au rejet de l'autoritarisme tyrannique qui polarise la société et à une tempête économique. En effet, Ankara est confrontée à une récession sans précédent qui place le pays au bord du gouffre : chômage, inflation record et affaissement monétaire rongeant le pouvoir d'achat.

Afin d'amortir les conséquences du mécontentement, l'AKP a renoué une alliance électorale forgée après 2015 avec le MHP (extrême droite). Cette union totalise 51,6%, en retrait par rapport aux législatives et à la présidentielle de 2018. Avec une majorité des voix, ce socle électoral résiste et permet le maintien d'un ancrage local dans une majorité de municipalités. Cependant, la perte des capitales politiques et économiques, Ankara et Istanbul, mais aussi des grandes villes comme Adana, Mersin ou Antalya constitue une défaite symbolique considérable si bien que l'on peut évoquer un début d'affaiblissement structurel.

L'alliance d'opposition, composée du CHP (social-démocrate) et du IYI (extrême droite) a su se réorganiser et revendique des victoires marquantes dans les capitales, les métropoles et les régions les plus riches du pays. Le choix du Parti démocratique des peuples (HDP) de ne pas présenter de candidats dans l'ouest du pays afin d'éviter une dispersion des voix pour battre les représentants du pouvoir s'est révélée déterminante.
En dépit des purges gigantesques et d'une terreur suavement distillée parmi les opposants, aucune intimidation ou pression n'est parvenue à endiguer la résistance des peuples de Turquie.

C'est dans ce contexte qu'il s'agit d'apprécier les résultats du HDP. Depuis 2015, R.T. Erdogan a relancé une guerre ouverte contre les démocrates de Turquie et le peuple kurde. Quatre-vingt-quatorze maires ont été placés en détention et leurs municipalités soumises au contrôle d'administrateurs civils issus du pouvoir. Certains parlementaires ont été emprisonnés et condamnés, dont S. Demirtas, alors que plus de 5000 dirigeants du HDP sont incarcérés. Le HDP n'a pratiquement pas pu faire campagne en raison de la répression militaire et para-militaire. Avec des scores légèrement en retrait par rapport à ceux de 2014 que l'atmosphère d'hostilité généralisée explique aisément, le HDP revient en force en reprenant les métropoles de Diyarbakir, Mardin et Van ainsi que de six autres provinces. Il s'agit indéniablement d'une victoire pour cette force progressiste, démocratique, féministe, écologique et pacifique. Élections après élections, le HDP s'inscrit dans le paysage politique alors que de multiples luttes sont menées notamment pour mettre un terme à l'isolement du leader kurde A. Ocalan.

Ces municipalités constitueront des points d'appui face à la fuite en avant répressive et liberticide du pouvoir qui entend déjà priver le HDP de son magnifique succès en révoquant les maires ou en entreprenant des poursuites judiciaires contre les nouveaux édiles d'opposition. L'absence de consultations avant 2023 pourrait donner au pouvoir un répit alors que les défis s'accumulent : crise économique, tensions en Syrie, avec les États-Unis ou l'Union européenne, défiance de l'électorat...

La France et l'Union européenne doivent tirer les conséquences de ces municipales en cessant leurs connivences avec ce pouvoir despotique et soutenir les forces démocratiques de Turquie. Il est temps de dire STOP ERDOGAN et dans ce combat, le PCF ne ménagera pas son engagement solidaire.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient