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En rendant public le 20 avril au soir, leur accord de gouvernement, le Premier ministre intérimaire israélien, Benjamin Netanyahu et le général, ancien chef d'état-major Benny Gantz, ont certes mis fin à près d'un an et demi de crise gouvernementale et parlementaire, après le troisième scrutin législatif du 2 mars dernier. Mais ils ont aussi créé une machine infernale contre la démocratie en Israël et ouvert une nouvelle étape dans la mise hors-la-loi internationale de ce pays au risque sérieux d'affrontements dans ce Moyen-Orient labouré par les guerres.

Les deux compères ont convenu de gouverner chacun à leur tour durant 18 mois, le premier impétrant étant Netanyahu. Les six premiers mois de gouvernement - en cours de formation - à compter de sa confirmation par la Knesset, seront exclusivement consacrés, selon l'accord, à légiférer d'urgence pour venir à bout de la crise sanitaire du covid19. L'accord ne contient aucun élément de programme de gouvernement!

Mais ils ont fait une exception: la mise en route du plan concocté avec Trump (le "deal du siècle") d'annexion de la vallée palestinienne du Jourdain, des colonies israéliennes de Cisjordanie et de "larges surfaces de terres" attenantes, ainsi que le "transfert" au bantoustan palestinien prévu par le plan, d'une partie de la Galilée israélienne. Environ 200 000 habitants israéliens arabes seront automatiquement déchus de leur citoyenneté israélienne puisqu'ils ne seront plus des habitants de l’État d'Israël, auxquels, selon la Déclaration d'Indépendance de 1947, "il assurera la plus complète égalité sociale et politique".

L'"Accord de gouvernement d'urgence" Netanyahu-Gantz préconise en son article 28: "Le Premier ministre et le Premier ministre d'alternance agiront ensemble pour réaliser un accord de paix avec tous nos voisins et pour développer une coopération régionale dans une variété de domaines économiques (...)". A aucun moment le terme "Palestiniens" ou "Autorité palestinienne" n'apparaît dans le document qui poursuit: "Tenant compte de la déclaration du président Trump (le "deal"), les deux chefs de gouvernement "agiront en plein accord avec les États-Unis, y compris en ce qui concerne les cartes" de l'annexion, "et avec un dialogue international sur ce sujet".

Tout ceci sera effectué "tout en recherchant la sécurité et les intérêts stratégiques de l’État d'Israël, y compris le besoin de maintenir la stabilité régionale, le maintien des accords de paix" (ceux avec l’Égypte et la Jordanie) et la recherche d'accords de paix futurs".

Le 1er juillet prochain, précise le contrat du "gouvernement d'urgence", Netanyahu - «pourra soumettre l’accord conclu avec les États-Unis sur l’imposition de la souveraineté [en Cisjordanie] à l’approbation du cabinet et/ou de la Knesset». Selon les extraits de l'article 29 publiés par le "Times of Israel", «la loi sera adoptée le plus rapidement possible… et ne sera pas perturbée ou retardée par les présidents de la Chambre ou des commissions des Affaires étrangères et de la Défense», c'est-à-dire celles qui sont dévolues en copropriété "alternative" aux amis de Gantz.

Le coup du siècle pour Netanyahu

Il est manifeste que Netanyahu qui, jusqu'à présent préférait appliquer l'annexion rampante avec la prolifération de colonies, veut faire son "coup du siècle" en mettant fin, comme le souhaite Trump et son électorat, définitivement à l'idée d'un État palestinien souverain en Cisjordanie, Gaza avec sa capitale, Jérusalem-Est. Dans ce sens on peut estimer que la reconnaissance par Trump, en violation du droit international, de la souveraineté israélienne sur tout Jérusalem et le Golan syrien occupé, a été un test grandeur nature quant aux réactions ou, malheureusement, la quasi-absence de protestations des puissances régionales et internationales.

Ceci dit, le président américain veille d'abord à ses propres intérêts ("America First"). On peut en effet estimer qu'il ne concrétisera son "deal" israélo-états-unien que si sa mise en œuvre ne nuira pas à sa réélection, mais au contraire la facilitera. Et l'on sait combien les États-uniens dans leur très grande majorité sont opposés à l'idée d'une guerre de plus, avec l'ouverture d'un nouveau front de conflits, que pourrait éventuellement susciter une décision inopportune. D'où la réaction du secrétaire d’État Mike Pompeo. Tout en se félicitant de l'accord Netanyahu-Gantz, le ministre des Affaires étrangères de Trump a déclaré "quant à l'annexion de la Cisjordanie, finalement les Israéliens prennent ces décisions, ainsi c'est une décision israélienne. Nous travaillerons étroitement avec eux pour partager nos points de vue dans un cadre privé".

Dès le début de février l'ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, avait rappelé que seul Trump était le maître du jeu "Toute action unilatérale avant la conclusion du processus du comité" Kushner chargé de fixer la carte de l'annexion, "mettrait en danger le plan et sa légitimation américaine", a-t-il déclaré en ajoutant: "Les gens devraient savoir que si la position du Président est simplement ignorée, alors nous ne serons pas en position d'aller de l'avant".

Protestations pour la forme

"La formation d'un gouvernement israélien d'annexion signifie la fin de la solution à deux États et le démantèlement des droits du peuple palestinien (...)", a déclaré pour sa part le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh.

Quant aux autres réactions, celle des puissances qui pourraient imposer le droit international, elles ont été plutôt du domaine de la forme. Le commissaire européen aux Affaires étrangères, Josep Borrell a affirmé que "l'Union européenne réitère que toute annexion constituerait une violation grave du droit international". Il n'y a pas eu de vote: selon la presse israélienne au moins six pays membres de l'UE s'étaient opposés à cette prise de position.

Le coordinateur spécial de l’ONU pour le Proche-Orient, Nickolay Mladenov, a déclaré: "La perspective dangereuse d’annexion par Israël de parties de la Cisjordanie occupée est une menace croissante. Si une telle décision était mise en œuvre, elle constituerait une violation grave du droit international, porterait un coup dévastateur à la solution à deux États, fermerait la porte à un renouvellement des négociations et menacerait les efforts visant à faire avancer la paix régionale" a affirmé Nickolay Mladenov.

Quant à la France, seul notre ambassadeur auprès des Nation unies, Nicolas de Rivière s'est exprimé. L'annexion "constituerait une violation manifeste du droit international, qui prohibe strictement l'acquisition par la force de territoires occupés" a-t-il déclaré jeudi en ajoutant: "Une telle démarche, si elle est mise en œuvre ne passera pas sans être mise en question et elle ne sera pas oubliée dans nos relations avec Israël". Même tonalité pour le ministre irlandais des Affaires étrangères: Simon Covoney a rappelé que "l’annexion de territoires par la force est interdite par le droit international, y compris la Charte des Nations unies". Nulle allusion à d'éventuelles sanctions, dont pourtant ces puissances sont friandes.

C'est aux États-Unis même que les réactions de plusieurs organisations juives ont été marquantes. L'Union du judaïsme réformé, la plus grande des associations juive d'Amérique du Nord, s'est dite "encouragée qu'Israël ait un nouveau gouvernement", toutefois, a souligné son président, le rabbin Rick Jacobs, "Nous en appelons au nouveau gouvernement de s'abstenir d'action unilatérales, particulièrement l'annexion unilatérale, qui pourraient gêner ou contrecarrer la relance du processus de paix dans le cours ou le long terme". D'autres, comme J-Street ou encore Israel Policy Forum, qui soutient la solution à deux États indique que "le nouveau gouvernement israélien devrait se préoccuper de ne pas ajouter au fardeau [du coronavirus] de nouvelles épreuves auto-infligées qui pourraient avoir des conséquences de long terme". Seul l'Aipac, véritable lobby pro-israélien où les Évangéliques pro-Trump ont la haute main, n'a pas fait état des projets d'annexion.

Mais c'est en Israël que l'accord de gouvernement a provoqué le plus de colère. La "honteuse trahison de Gantz" rejoignant Netzanyahu (sa comparution en justice devrait en principe avoir lieu le 24 mai prochain) est dénoncée jusque dans la rue par une partie de ses électeurs. Ces derniers - soit 24 % de l’électorat - avaient voté pour lui principalement dans l'idée de "tout sauf Netanyahu". La gauche sioniste du Meretz et du parti travailliste - dont les dirigeants ont rejoint le contrat gouvernemental, Itzik Shmuli, ministre des Affaires sociales et Amir Peretz à l’Économie - voyaient dans l'ex-chef d'état-major - qui mena deux guerres de répression féroce contre les Palestiniens de Gaza, en 2012 et 2014 - accompagné de son ami et prédécesseur Gabi Ashkenazi, celui qui allaient remettre la politique israélienne sur la voie de "centre-gauche". Lors du scrutin du scrutin du 9 avril dernier, son parti Bleu-Blanc avait certes obtenu un peu moins de sièges que le Likud de son futur associé, mais il pouvait réunir autour de lui une alliance plus forte que celle de Netanyahu. Il aurait pu constituer un gouvernement "minoritaire" avec le soutien des quinze députés de la Liste jointe, regroupant des partis "arabes" et les communistes.

Un gouvernement en deux "blocs"

Prétextant la nécessité d'une union nationale d'urgence sanitaire il s'est lancé dans un pseudo partage de pouvoir avec son ex-rival dans un système de camisoles de force apparemment réciproques mais dont le seul maître est le Premier ministre sortant. Le nouveau gouvernement israélien est composé de 52 ministres et vice-ministres: chaque poste ministériel est double dans un système constitué officiellement de deux "blocs". Il y aura deux résidences, l'une pour le premier ministre en fonction (Netanyahu la conservera après son remplacement théorique au bout de 18 mois par Gantz) et l'autre qui est à installer de toute pièce, pour son futur remplaçant. Il en va de même pour les résidences et les activités des ministres et de leurs "double"…

Ceci n'est qu'un des aspects les plus ubuesques et les plus scandaleux aux yeux de la population: ce gouvernement coûtera l'équivalent de plus d'un quart de milliard d'euro, une somme pharamineuse pour un pays de 9 millions d'habitants et qui compte plus d'un million de chômeurs, soit 25% de la population active.

Selon un sondage publié par le magazine +972 (voir le lien https://www.972mag.com/poll-israelis-positive-view-jewish-arab-relations/) une faible majorité d'Israéliens juifs sont prêts à coopérer dans la vie quotidienne avec leurs compatriotes arabes. En revanche, c'est une majorité d'Israéliens arabes qui disent vouloir vivre en bonne entente avec leurs compatriotes juifs. De même, une très petite minorité de Juifs seraient disposés à voter pour un "parti arabe" dont le programme pourrait leur convenir et une large majorité d'Israéliens arabes acceptent de voter pour un "parti juif" qui répondrait à leurs aspirations. Cet apparent paradoxe est encore renforcé par le fait que ce sont les plus jeunes parmi les Juifs qui se disent les plus radicalement opposés aux Arabes. Cet état d'esprit est le reflet d'un sentiment de "sans issue" largement répandu: un identique vote par défaut s'est exprimé dans nombre de votes pour "King Bibi" (par référence au mythe biblique du "Roi d'Israël") parce qu'on ne voit personne d'autre capable de mener à bien la vie du pays. "On sait que c'est un escroc, mais il sait y faire!" est ce qu'on entend trop souvent. Ainsi, les deux tiers des électeurs soutiennent l'accord entre les deux comparses, tout en étant convaincus, pour 40% d'entre eux, que Netanyahu ne tiendra pas parole!
Dans le même temps, les deux tiers des électeurs de l'alliance Bleu-Blanc auraient accepté qu'il constitue un gouvernement minoritaire avec le soutien de la Liste jointe. La dignité des 15 députés de cette alliance impressionne plus d'un en Israël. On ne peut s'empêcher ici de citer quelques phrases du discours prononcé à la Knesset, le 22 avril à l'occasion de la journée de la Shoa, par Bas Mansour Abbas - le député représentant le Mouvement islamique au sein de la Liste jointe (voir le lien http://www.ujfp.org/spip.php?article7802): "Il y a 26 ans, j’ai, pour la première fois, observé deux minutes de silence. Je l’ai fait notamment par respect pour mes collègues sur les bancs de l’université hébraïque de Jérusalem. Aujourd’hui je formule la prière du Coran en mémoire des six millions de juifs victimes de la Shoah et qui ont péri durant la seconde guerre mondiale. (...) Arabe palestinien de foi musulmane, (...) j’exprime mon empathie avec le souvenir des souffrances et des douleurs des rescapés de la Shoah, et de leurs familles. J’exprime ma solidarité avec le peuple juif, ici et dans le monde, qui a été choisi par les nazis pour être assassiné et exterminé.(...) Politiciens, religieux ou toute personne qui ne peut pas se débarrasser du racisme, de la haine de l’autre et qui n’a de cesse d’envisager des guerres: ne profanez pas la Shoah! (...) Je prie pour que tous les habitants du pays, juifs et arabes connaissent et retiennent la leçon d’humanité de la Shoah. Reconnaître la souffrance de l’autre peuple et ses droits à vivre en paix, en sécurité, et dans la tolérance, dans la réalisation de deux pays, de deux peuples et de deux États."

Et comme en écho, on entend le discours du communiste Ayman Odeh, chef de file de la liste jointe, le 19 avril au meeting rassemblant en toute discipline de "distanciation" plusieurs milliers de manifestants sur la place Rabin à Tel Aviv. Organisée par un mouvement qui s'identifie "Drapeau noir", la démonstration a regroupé notamment des représentants de la "gauche" de Bleu-Blanc, dont notamment le député Yair Lapid, du parti Yesh Atid, criait haut et fort son refus d'un gouvernement d'extrême droite de Netanyahu. Dans sa déclaration, Ayman Odeh saluant le fait que c'était la première fois qu'un membre de la Liste jointe était invité, a souligné: "par notre sort commun, nous combattons la cruelle épidémie du coronavirus, ensemble médecins, soignants et pharmaciens arabes et juifs. Ce sort commun doit se poursuivre pour toutes les causes qui nous sont chères: la paix, la démocratie, l'égalité et la justice sociale (...). Ce n'est pas facile pour moi de me trouver ce soir aux cotés de certains des intervenants, mais nous devons voir l'objectif principal - ce n'est seulement par une lutte commune juive-arabe que nous pourrons vaincre. Cette crise présente une puissante chance pour un large front judéo-arabe pour la paix et la démocratie.

Ils n'étaient certes que quelques milliers. Mais ils sont la survie de la démocratie en Israël. Puissent nos gouvernants comprendre l'énormité de leur responsabilité: ils se doivent de refuser la stratégie mortifère du plan Trump-Netanyahu allant jusqu'à la destruction de l'espoir d'un État palestinien libre et indépendant et qui porte en elle la mort de la démocratie de la jeune nation israélienne.

Michel MULLER
Collectif pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens
membre de la commission des relations internationales du PCF